Une jeune et belle militante avec une pancarte  - No -

Et si on arrêtait de rechercher la pureté militante ?

© Olena Shvets

Pour militer et défendre une cause, faut-il forcément souffrir et trimer ? C'est cette question que pose Sarah Durieux dans son livre Militer à tout prix ? Entretien.

Depuis plus de dix ans, Sarah Durieux, ancienne directrice France de la plateforme Change.org, évolue au cœur des luttes. Dans son nouvel essai Militer à tout prix ? , elle décrypte la façon dont les milieux militants, bien que luttant contre les oppressions, peuvent reproduire une culture discriminante et excluante qui entrave leur action. Elle dessine ainsi les contours d’un activisme fondé sur la résistance, le soin et la joie.

Vous expliquez vous remettre d’un burn-out depuis les législatives de 2024. Quel a été votre chemin personnel ?

Sarah Durieux : Assez solitaire, même si j’ai eu un soutien familial. Sortir des milieux militants pendant un temps m’a permis d’aller mieux, et ça a presque été un regret j’aurais voulu y trouver un accueil, mais à la place je ressentais la nécessité d’être à la hauteur, de rester productive pour être “valable”.

L’écriture de ce livre a commencé en 2021 et a suivi mon cheminement et mon épuisement militants : plus j’écrivais, plus je militais, plus le livre était alimenté par mes propres expériences. Y ajouter mon témoignage s’est imposé à moi. J’en parlais à des militants autour de moi qui m’expliquaient être aussi en souffrance. Pour moi, cela a été thérapeutique d’imaginer à quoi nos espaces militants pourraient ressembler, en m’appuyant aussi sur des cas concrets comme l’association Lallab, qui travaille avec des femmes musulmanes victimes de racisme et de sexisme. Leur approche, centrée sur le soin et la joie, privilégie l’accueil et le bien-être des personnes avant de penser aux actions à mener.

Vous dénoncez une “approche binaire du bon et du mauvais militant” pouvant aussi causer souffrances et exclusion…

S. D. : On parle de “pureté” militante, mais je pense qu’il s’agit en réalité de survie : quand on est mis en vulnérabilité – ce qui est le cas de nombre de militants ayant subi de violentes oppressions –, on retrouve alors une reconnaissance sociale et un sentiment d’appartenance au groupe grâce à la radicalité de nos opinions : “si tu n’es pas assez radical, alors tu n’es pas un vrai militant et tu seras exclu.” Je pense qu’on peut avoir une exigence politique sans être dans cette approche binaire, qui interroge aussi d’un point de vue stratégique : plutôt que de pratiquer l’exclusion, nous devrions élargir les groupes en les rendant plus accueillants !

Vous observez une culture productiviste militante. Comment expliquer ce phénomène, et qu’engendre-t-il ?

S. D. : L’utilisation des personnes comme des outils productifs, vivre pour travailler, la surexploitation… On retrouve ces logiques capitalistes souvent critiquées par les activistes dans le militantisme à travers une valorisation des personnes surproductives, qui sont toujours présentes, actives, et ont plus de moyens financiers. À l’inverse, les personnes moins productives – parce qu'elles travaillent, sont handicapées ou malades – sont dévalorisées. Cette culture productiviste met donc à l'écart les plus précaires. Elle s’accompagne de l’idée selon laquelle militer doit être difficile, et que si on n’en souffre pas, c’est que l’on n’est pas suffisamment engagé. À cette notion de sacrifice est souvent adjoint un vocabulaire militaire. Je pense pourtant qu'on peut réinventer un militantisme où il ne s’agit pas que d’être contre quelque chose ou de se battre, mais aussi de créer une connexion et du pouvoir entre les gens. C’est pourquoi, outre l’organisation et la définition d’objectifs clairs, il faut sortir d’une approche hiérarchique et opter pour une décentralisation des décisions et de l’action, à l’image des modèles anarchistes et féministes. Suivre une même stratégie, mais avec une autonomie des groupes de personnes concernées.

Le numérique et les réseaux sociaux ont-ils fait émerger de nouvelles problématiques dans l’organisation de l’action collective ?

S. D. : Prendre la parole de manière plus directe a fait émerger des voix peu entendues, comme celles de personnes luttant contre le racisme ou contre le validisme. Toutefois, les réseaux sociaux ont accentué une médiatisation des militants qui peut aller jusqu’à la starification. Outre la question de la concentration du pouvoir entre les mains de ceux qui détiennent un gros compte YouTube ou Instagram, cela interroge aussi sur la manière de reconnecter ces personnalités individuelles aux mouvements structurés pour obtenir des changements concrets. Cette médiatisation peut aussi minimiser l’importance de tous ceux qui œuvrent en coulisses : porte à porte, distribution de tracts, organisation… Or, au-delà de la cause, on milite aussi pour le lien social et pour être reconnu par ses pairs. Si la reconnaissance ne va qu’aux personnes visibles, cela peut générer frustration et mise à l’écart.

En quoi prendre en compte les émotions dans les espaces militants est-il stratégique pour les luttes ?

S. D. : Je plaide pour la réconciliation de l’émotion et de la raison dans le discours politique et dans le fonctionnement militant. Il s’agit de refuser le modèle patriarcal et suprémaciste blanc où la culture est associée aux hommes, au savoir, à l’analyse, et la nature aux femmes, aux personnes racisées, à l’émotion.

Dans le militantisme, et en particulier dans cette période que je qualifie de préfasciste, il y a une nécessité à se mettre en mouvement, à préparer une forme de résistance – mais celle-ci doit aussi être émotionnelle. Quand on a l’impression que tout s’écroule autour de nous, on va chercher du réconfort. Ce réconfort et ce temps pour le soin doivent être donnés dans nos collectifs, sans quoi nous risquons d’entrer dans une forme de stupeur et de désengagement.

Que faire pour que les milieux militants ne voient pas leurs rangs désertés ?

S. D. : Partout dans le monde, les droits civiques sont réduits et l’espace démocratique rétrécit. Il y a donc une urgence à structurer des mouvements dans lesquels les gens pourront trouver du pouvoir et se protéger. Cela est nécessaire pour que les activistes déjà en place puissent continuer de militer, et que les nouveaux se sentent en confiance pour intégrer les mouvements. Lors des dernières législatives – aller chercher des publics à qui on parle peu d’ordinaire et qui n’ont jamais milité – a porté ses fruits. Il est fondamental de prendre soin de nos héritages militants et d’établir une connexion entre ceux qui ont une mémoire historique du militantisme et les plus jeunes, à l’image de la campagne de constitutionnalisation de l’IVG sur laquelle j’ai travaillé. Je pense que c’est ainsi qu’on crée de la solidarité et de la résistance. Faisons en sorte que les personnes qui sont déjà là restent, et que celles qui n’ont pas encore commencé se lancent !

À LIRE : Sarah Durieux, Militer à tout prix ? , Hors d'atteinte, février 2025

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commentaires

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  1. Avatar Axel B dit :

    Bonjour,

    sujet intéressant mais le lien vers le livre est cassé.

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