Une jeune femme et un médecin sur fond d'ovocytes bleu

En attendant bébé, elles ont décidé de congeler leurs ovocytes

De plus en plus nombreuses, de plus en plus jeunes, les femmes s’organisent pour ne plus être soumises à l’horloge biologique. Récit.

Cet article est la première partie d'une enquête consacrée à la congélation d'ovocytes. La deuxième partie se trouve ici.

Lucie est une pionnière. Lorsque la loi bioéthique est promulguée en août 2021, elle a 31 ans, et le sujet l’intéresse depuis un moment. Pourtant, au moment de se lancer, Lucie n’est pas sûre de vouloir des enfants. Ce qu’elle sait en revanche, c’est qu’elle n’en veut pas tout de suite. « Je suis entrepreneure, je démarre ma boîte, je ne gagne pas beaucoup d’argent, mon statut est précaire, je n’ai pas de congé mat. Mais il ne s’agit pas que du travail, lance-t-elle. J’aime trop ma vie ! Ça me saoule que la biologie soit comme ça. Si je pouvais faire des enfants à 45 ans, je le ferais ! » Pour cette entrepreneuse de la tech qui a créé une appli pour permettre aux couples d’explorer leur sexualité, congeler ses ovocytes est une « aération mentale ». Elle sait néanmoins que ce n’est « pas une solution miracle ». « C’est important pour moi de continuer à interroger mon désir de maternité. » Aujourd’hui, elle est en couple et ce projet mûrit », dit-elle.  

Jusque-là, en France, la procédure n’était accessible que pour raisons médicales. Les femmes qui souhaitaient préserver leur fertilité devaient se rendre dans les pays voisins – Espagne, Belgique… –, à raison de plusieurs milliers d’euros. La loi bioéthique de 2021 rend la procédure accessible à toutes les femmes entre 29 et 37 ans, sans raisons médicales et gratuitement. « C’est une chance de fou de pouvoir accéder à ça », se réjouit Lucie.

L’horloge tourne…

Ingrid, ingénieure en biologie et data scientist de bientôt 33 ans, n’est pas sûre non plus de vouloir un jour des enfants. C’est sa gynéco qui lui a rappelé que "l’horloge tourne". « Elle m’a parlé de l’autoconservation, sur un ton qui fait peur – je pensais qu’elle allait m’annoncer quelque chose de grave. Sur le moment, ça m’a mis un coup de vieux, mais finalement je suis heureuse qu’elle l’ait fait. » Pour l’instant, elle n’est pas certaine de suivre la procédure jusqu’à son terme. Elle a jusqu’au mois de juin, la date prévue pour la ponction, pour réfléchir. « Je pense le faire, je ne voudrais pas le regretter dans quelques années. »

D’autres sont déterminées dans leur désir de grossesse. Laura, 35 ans, infirmière de santé au travail, voulait être « une maman jeune ». Après une fausse couche, une grossesse extra-utérine et quelques complications, elle a dû subir l’ablation d’une trompe de Fallope. « Avec mes antécédents, on m’a fait comprendre que le jour où je voudrais un enfant, ce serait plus compliqué », dit-elle. Aujourd’hui, elle est dans un parcours de bébé solo. « L’homme de ma vie, j’ai le temps de le trouver. Être maman, je n’ai pas le temps. » Juliette*, cadre d’entreprise de bientôt 36 ans, est dans un projet d’enfant avec sa compagne. Comme celle-ci a 40 ans, c’est elle qui portera leur premier enfant, se sont dit les futures mamans. En attendant, Juliette conservera ses ovocytes, comme sa compagne avant elle. Margaux*, 33 ans, est à la tête d’une startup. En 2022, quand elle se lance dans l’autoconservation, elle sait qu’elle veut des enfants, mais ce n’est pas le bon moment pour elle. « Il y a un environnement assez anxiogène autour de la fertilité, je voulais que l’envie d’enfant ne soit jamais une pression. » Le fait d’avoir congelé ses ovocytes l’a « soulagée d’un poids énorme », dit-elle. « Un an plus tard, je savais que c’était le bon moment pour moi de faire un enfant, ne plus avoir ce stress a joué. » Aujourd’hui, elle est enceinte, sans avoir utilisé les gamètes préservés. 

Groupes WhatsApp et apéros dînatoires

La demande est réelle et les cliniques font face à un afflux de patientes difficile à juguler. Malgré cette popularité, les informations restent éparses. Pour comprendre davantage ce qui les attend, les femmes s’organisent et partagent leurs informations dans des groupes de soutien informels. « J’essaie d’aider mes amies qui passent par ce protocole et j’ai créé des apéros dînatoires chez moi pour parler de ce sujet chez moi, confie Laura. Il y a une forme de solidarité, c’est tellement intime, on est très bienveillantes entre nous. » 

Les conversations sont très « pratico-pratiques », détaille Lucie. L’entrepreneuse a créé un groupe WhatsApp qui s’est progressivement élargi. « On s’est beaucoup entraidées. Il y a plein de petites questions qu’on n’est pas sûre d’avoir comprises, des choses qu’on ne demande pas au médecin. » Faut-il enlever son stérilet, être à jeun pour faire les examens, quelles questions poser, comment emmener sa glacière au travail pour faire ses injections à heures fixes… « J’ai pas mal d'amies qui sont dans la même situation que moi, abonde Ingrid : elles sont trentenaires, n’ont pas de copain et pas d’enfants. Forcément, ça les intéresse beaucoup. Je vais à mes rendez-vous avec une liste de questions, je prends les informations pour tout le monde. »

Conquête féministe mais CSP+

Cette solidarité trouve sa place dans ce que nombre d'entre elles qualifient d’avancée féministe. « C’est une vraie chance pour les femmes. Certaines se retrouvent dans des situations de couple inconfortables : elles essaient de convaincre leurs partenaires de faire un enfant, eux ne veulent pas. Ça permet de se libérer de cette angoisse et d’éviter de faire un enfant avec la mauvaise personne. « Ça redonne de la liberté d’action », partage Margaux.

« Ça peut être vu comme une avancée ou une façon de renvoyer la femme à son rôle de mère », nuance Juliette. Elle penche plutôt pour la première. « On n’impose rien, on propose juste cette solution. Ça permet de s’adapter à nos modes de vie et d’épargner aux femmes qui ont des projets d’enfants à 35 ou 40 ans certaines difficultés. » Lucie loue elle aussi « une conquête féministe » qu’elle nuance : « Ça s’inscrit aussi dans une politique nataliste. D’un point de vue social, je me demande si seules les femmes privilégiées ont recours à cette procédure ; celles qui peuvent parler aux bonnes personnes, qui sont dans un groupe social où on se pose la question du moment où avoir des enfants. Même si c’est remboursé, ça ne suffit pas. Il y a un contexte culturel et social. » « À 200 %, acquiesce Juliette. J’en ai parlé dans mon milieu professionnel parce que j’ai une démarche assez militante. Mais ma cheffe est une femme, je suis entourée de gens plutôt engagés, de gauche. Dans un autre climat, je ne sais pas si j’aurais eu cette confiance. » Sa démarche est politique mais aussi pratique : en prévenant son entourage, elle se donne le droit, si les effets secondaires sont lourds, de « refuser des réunions stressantes, éviter quelques déplacements pros ».

Des hommes concernés 

Dans cette aventure, les partenaires trouvent – elles et eux aussi – leur place et leur avantage à défier un peu la flèche du temps. Margaux a été accompagnée par son conjoint actuel, le père de leur enfant à naître. « Je lui en ai parlé dès le début. Je me disais que ça pourrait nous servir si on voulait un enfant plus tard, je ne voyais pas ça comme quelque chose juste pour moi. Il trouvait ça cool, il m’a accompagné tout au long du processus. Il m’a fait les piqûres tous les soirs, est venu avec moi à l’hôpital. » Même chose pour Lucie, en couple lors de la procédure et dont le conjoint a été présent autant physiquement que psychologiquement. « Je lui en ai parlé rapidement, il était dans le soutien et était content que je fasse ça. On fait des calculs un peu basiques, on pense au deuxième enfant. Au sein du couple, ça donne de la liberté. » 

Laura revendique quant à elle un parcours plus individuel. Lors de sa première ponction, elle est en couple. « C’était difficile parce que mon partenaire avait l’impression que c’était pour nous que je le faisais alors que cette démarche était complètement personnelle. Ça ne m’a pas aidé. Pour la deuxième ponction, j’étais redevenue célibataire et avec le même traitement, j’ai eu beaucoup moins d’effets secondaires. Je l’ai mieux vécu parce que je m’étais rapproché de mon objectif. » « La valeur sûre, c’est nous-même », tranche-t-elle.

Avant de se quitter, Lucie glisse une dernière remarque – de quoi mettre cette avancée sociale et scientifique en perspective. « J’ai dit à ma grand-mère de 90 ans que j’ai fait ça, elle a halluciné. Le rapport à la maternité, au choix, à la liberté… Elle me soutient à fond, mais c’est assez inimaginable pour elle, elle a l’impression de vivre dans le futur. »

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commentaires

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  1. Avatar les joyeuses meres dit :

    Bonjour, votre article est vraiment éloigné de la réalité et manque de révéler l'effet d'annonce du gouvernement depuis l'ouverture de la loi - cf article de Libération hier 11/12/24 "Conservation des ovocytes, La course contre la montre des patientes" par Amelie Quentel : "D'après un rapport de l'organisme public publié en juillet, 26740 demandes de premières consultations on été déposées depuis aout 2021, pour seulement 2552 ponctions effectuées en 2023, et 2138 en 2022. Dix mois d'attente au niveau national et 14 mois en Ile de France."
    La demande est si forte que les soignants doivent faire des choix de priorité, ce qui est contraire à la loi, sans un contexte général de manque de moyens au sein de l'hôpital publique.

  2. Avatar Anonyme dit :

    Il faut aussi prendre en compte que beaucoup de femmes ne peuvent même pas prendre rendez vous en fonction de l age. Certain hôpitaux ne prennent pas au dessus de 34 ans...

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