L'intérieur magnifique d'une église gothique

Deux milliardaires, un même combat : le come-back des cathos

D’un côté, le Breton, Vincent Bolloré. De l’autre, le Normand, Pierre-Édouard Stérin. Entre les deux, une seule ambition : remettre leur église au centre du paysage médiatique.

La séquence a fait grand bruit. Et elle a valu à CNews une amende de 100 000 euros. Le 25 février 2025, dans son émission En quête d’esprit, la chaîne présente l’interruption volontaire de grossesse comme « la première cause de mortalité dans le monde ». Depuis 2020, chaque dimanche, l’émission se donne pour mission d’aborder l’actualité « d’un point de vue spirituel et philosophique ». Au programme, « La science à l’appui de la foi ? », « Le mariage à vie, une folie ? », ou encore « Satan : un adversaire trop discret ? ».

Aymeric Pourbaix, présentateur fidèle

En quête d’esprit fait partie de l’arsenal d’évangélisation de la galaxie Bolloré. Diffusée sur CNews et en format radiophonique sur Europe 1, elle est produite en partenariat avec l’hebdomadaire France Catholique – trois médias contrôlés par le milliardaire. Pour incarner cette alliance, Aymeric Pourbaix, présentateur et directeur de la rédaction de France Catholique. Le très pieux journaliste est un fidèle de la « bollosphère » : déjà en 2004, il faisait partie de l’équipe de l’abbé Grimaud – prêtre traditionaliste et influent confesseur de Vincent Bolloré – chargée de créer Dieu Merci ! L’émission religieuse a été diffusée sur Direct 8, ancêtre de C8, pendant sept ans.

Omniprésent sur les programmes religieux de Bolloré, Aymeric Pourbaix anime aussi des débats en préambule de messes diffusées en direct sur CNews et C8. On le retrouve aussi aux manettes des Belles Figures de l’Histoire, émission qui dresse le portrait des grands saints de l’Église, de sainte Germaine de Pibrac au saint curé d’Ars en passant par les plus connus, saint Antoine de Padoue ou le grand saint Pierre.

Chantal Barry et ZeWatchers : l’évangélisation par la téléréalité

Si l’aridité de ces formats ne vous convainc pas, peut-être préférerez-vous Bienvenue au monastère. Diffusée début 2024, la téléréalité invite des personnalités à une retraite au couvent Saint-Dominique de Corbara, en Corse. Parmi les invités, l’ancienne actrice de X Clara Morgane, Simon Castaldi, fils du présentateur du Loft, ou le champion des Douze Coups de midi Paul El Kharrat.

Le programme reprend le concept d’une émission créée en Hollande. Il est produit par ZeWatchers, une holding montée pour investir dans des startups et des contenus propageant des valeurs chrétiennes, apprend-on dans une longue enquête du journal Le Monde. L’organisation discrète n’a pas de site Web. Elle est dirigée par Chantal Barry, femme de médias et évangéliste convaincue. Elle a cofondé en 1982, avec notamment son époux, Euro Media Group, plus grand groupe européen de prestations techniques dans l’audiovisuel, avant de revendre ses parts en 2014. Elle compte parmi les intimes de Vincent Bolloré depuis plus de quarante ans. C’est grâce à elle et à son mari que le milliardaire a mis un pied dans le monde des médias, raconte Le Monde. En 2001, alors que l’État privatisait la Société française de production (SFP), le couple Barry s’associait à Vincent Bolloré pour son rachat. L’année suivante, Vincent Bolloré obtenait sa première fréquence TNT et lançait Direct 8.

C8 pioche également dans le catalogue de Saje, dont ZeWatchers est actionnaire à 15 % aux côtés des catholiques de la charismatique Communauté de l’Emmanuel. C’est notamment à ce distributeur que l’on doit Unplanned, film farouchement antiavortement, le polémique Sound of Freedom, l’histoire d’un mormon venant au secours d’enfants victimes de trafic sexuel adoubée par la sphère complotiste, Vaincre ou Mourir, premier film produit par la Société du Puy du Fou et financé par Studiocanal (propriété de Vivendi, dont Bolloré est l’actionnaire principal), qui défend l’idée que la France dans sa majorité n'a jamais réclamé la chute de Louis XVI ni sa décapitation, et moins encore celle de Marie-Antoinette, ou encore The Chosen, série américaine en cinq saisons qui offre une version « musclor » de la vie de Jésus. Saje est également le distributeur de Sacré-Cœur, documentaire fiction sorti début octobre et ayant dépassé les 250 000 entrées.

Une discrète mais influente agence

C’est aussi sous l'influence de ZeWatchers que Bolloré a investi dans l’agence de communication Progressif Media. Son directeur et cofondateur Émile Duport est un militant antiavortement. Le rôle de l’agence, selon Libération, est de concevoir des campagnes d’influence alignées sur la vision réactionnaire du milliardaire. Progressif Media a ainsi édité le magazine RGNR de l’influenceur Thierry Casasnovas, « intégriste et traditionaliste » de son propre aveu, notamment dans ses positions sur l’avortement, lancé en politique depuis 2024 avec son mouvement Vivants ! Progressif Media a aussi participé à l’application Canto, « dirigée par d’anciens militants radicaux et dont le répertoire, à côté d’airs traditionnels, abritait des chants militaires du IIIe Reich ». L’agence est également à l’origine du projet Corsaire, destiné à « doxxer » les activistes de gauche.

Stérin, le Bolloré new gen ?

Voilà pour la stratégie bolloréenne – qui inspire Pierre-Édouard Stérin. Lui aussi est un milliardaire – il a fait fortune via son entreprise de coffrets cadeaux SmartBox. Lui aussi est un fervent catholique et farouchement antiavortement. Et lui qui a l’ambition de devenir saint a décidé de mettre sa fortune au service de l’évangélisation des masses – quitte à déshériter ses enfants.

Stérin avance à découvert, et son ambitieux plan, nommé Périclès et révélé par L’Humanité en 2024, s’étend des médias à la philanthropie en passant par l’éducation, la politique et l’immobilier. Un projet tentaculaire à 150 millions d’euros sur dix ans, a-t-il prévu. Le Monde rapporte, par exemple, qu’avec le promoteur immobilier Monasphère, dont il est l’un des codirigeants, le milliardaire prévoit de faire sortir de terre des hameaux chrétiens pour accueillir des familles souhaitant « vivre fraternellement dans les valeurs de la foi ». Le premier de ces villages devait voir le jour à L’Île-Bouchard, près de Tours, sur des parcelles vendues au promoteur par la Communauté de l’Emmanuel, avant que le projet ne soit repoussé par des collectifs de citoyens. Le promoteur serait en discussion avec une dizaine d’autres lieux. Le milliardaire prévoit également d’ouvrir dès la rentrée 2025 l’Académie Saint-Louis, un pensionnat catholique hors contrat et réservé aux garçons. Le projet pédagogique est fondé sur « l’éducation intégrale », soit une approche chrétienne holistique : morale, physique et intellectuelle.

Une entreprise médiatique contrariée

Pour ce qui est des médias, Stérin déroule aussi son plan. Son grand projet ? Marianne. Alors qu’il était le mieux placé pour reprendre l’hebdomadaire aux mains du milliardaire tchèque Daniel Křetínský, les négociations prennent officiellement fin en juillet 2024, face au rejet unanime des salariés. Un coup dur. « Il a besoin d’une marque médiatique, mais il échoue là où Vincent Bolloré a réussi,estime Alexis Lévrier, historien des médias, pour Secrets d’info. La force de Bolloré, c’est qu’on ne l’entend pas. Pour l’instant, Pierre-Édouard Stérin est trop visible pour être efficace. »

Même déconvenue chez Bayard. Fin 2024, Alban du Rostu, ex-bras droit de Stérin l’ayant assisté dans sa tentative de rachat de Marianne, est recruté au poste de directeur de la stratégie et du développement par le groupe de presse, qui édite notamment les titres chrétiens La Croix, Pèlerin et Notre Temps. Las, quelques jours après l’annonce, et face à la fronde des journalistes et des auteurs, Bayard renonce à son embauche. « Nous défendons un catholicisme qui n’est pas identitaire », justifie un journaliste au Monde.

En attendant, Stérin place tout de même ses pions. En 2022 et 2023, il entre au capital de Neo, un « Brut du terroir » 100 % vidéo et maison mère du féminin Lou média (et sa vision traditionnelle de la famille hétérosexuelle, d’après Arrêt sur Images), de Crayon, chaîne de débats sur YouTube, et de Factuel, média à tendance extrême droite désormais en cessation de paiement. Face aux scandales et aux appels à boycott provoqués par la révélation de Périclès, Le Crayon a fait sortir en octobre Pierre-Édouard de son capital. En juin, le milliardaire a racheté le compte X d’information Cerfia et son 1,2 million d’abonnés. Selon La Lettre, il serait également sur le point de prendre des parts dans Explore Media, média vidéo de référence de l’ « edutainment », et il reconnaît, au micro de France Inter, avoir des vues sur Valeurs actuelles.

Agence d’influenceurs et VR

Comme Bolloré avant lui, Stérin investit dans le secteur de l’influence. Début 2024, il s’offrait l’agence Marmeladz. Dans une esthétique multivitaminée, on retrouve des figures comme l’intervieweur Jeremstar, le tiktokeur Benoît Chevalier, ouvertement gay et adepte de maquillage à paillettes, ou le comédien Sami Ouladitto. Des stars de la Gen Z, pas franchement estampillées catholiques traditionalistes. Plus proche de la DA du milliardaire, Acutis, agence de communication au service de l’Église, dont le nom est un hommage à Carlo Acutis, jeune ado bientôt canonisé, mort d’une leucémie foudroyante en 2006 et surnommé « l’influenceur de Dieu ». L’agence Acutis, financée par Stérin, représente une soixantaine d’influenceurs, que l’on a pu croiser notamment lors de La Nuit des influenceurs chrétiens, au Collège des Bernardins et retransmise sur KTO TV. Parmi les stars de la cathosphère, Paul Adrien d’Hardemare, présentateur en soutane de La Nuit des Influenceurs (262k followerssur TikTok) et cofondateur d’Acutis, dont il s’est depuis retiré.

Pierre-Édouard Stérin étend son évangélisation jusqu’au milieu de la tech avec Pitch My Church, soirée dans laquelle des entrepreneurs chrétiens viennent pitcher leurs projets. La cinquième et dernière édition s’est tenue en 2023, au Collège des Bernardins, toujours animée par frère Paul Adrien et financée par le Fonds du Bien Commun. Le milliardaire normand est aussi friand de nouvelles techs et a investi dans de nombreuses entreprises de réalité virtuelle. Le Conseil national de la XR (CNXR) s’en émeut, selon Le Monde : dans une newsletter, le conseil dénonce « l’éventualité d’une influence idéologique exercée via des expériences immersives ». 

Bolloré, Stérin, même combat

Bolloré et Stérin roulent-ils ensemble ? Pour l’instant, chacun avance dans son couloir – avec une large tête d’avance pour Bolloré (d’autant que Stérin traverse des difficultés tant financières que réputationnelles, selon plusieurs médias). Mais on découvre certains liens. Dans le jury de La Nuit des influenceurs (sponsorisée par Stérin), on trouvait Hubert de Torcy, fondateur de Saje (proche de Bolloré). Les cinq ans de La Nuit des Biens Communs (Stérin) ont été retransmis sur C8 (Bolloré). À la soirée Pitch My Church de 2023 (Stérin), Émile Duport, de Progressif Media (Bolloré), partageait une table ronde avec Anne-Louise Moiroud, du Fonds du Bien Commun (Stérin). Le 24 juin 2025, les deux milliardaires coorganisaient le « Sommet des Libertés », qui réunissait les principales têtes d’affiche de l’extrême droite. Un mariage d'intérêt, avec le monde comme témoin.

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
le livre des tendances 2026
commentaires

Participer à la conversation

Laisser un commentaire