Un femme debout sur une plage interloquée et mécontente de l'homme allongé sur le sable

Dating…, ton univers impitoyable (et parfois hilarant)

© Rdne

Sur Facebook, dans le groupe « Neurchi de date claqué », des dizaines de milliers d’internautes partagent des histoires de rendez-vous amoureux calamiteux, cocasses et toujours savoureux. Fleur bleue, s’abstenir.

Il y a ces fameux prétendants (hommes et femmes) qui ne ressemblent pas à leur photo, des premiers rendez-vous beaucoup trop alcoolisés, des enfants non déclarés et de multiples candidat.e.s très insistant.e.s. Dans le groupe Facebook baptisé « Neurchi de date claqué » (comprendre : chineur d’histoires de rendez-vous pourris), près de 140 000 membres racontent leurs recherches de l’âme sœur (ou d’un coup d’un soir) sur les applis de rencontre. Ici, les récits de dates se suivent et ne se ressemblent pas, mais ont un point commun : ils sont tous désastreux et régulièrement hilarants.

« On se sent seul, mais on ne l’est pas. »

Si de parfaits inconnus partagent les aspects les moins glorieux de leur vie privée, c’est qu’à défaut de trouver l’amour, ils veulent trouver matière à rire. « J’y vais pour m’épancher, lire les réactions des autres, mais aussi garder une trace », raconte Augustin, 28 ans, éducateur et journaliste sportif à Paris. Des dates claqués, il en a eu quatre, dont trois « vraiment galères ». « Le pire est lorsque j’ai accepté d’héberger une fille à qui je parlais. Elle ne m’a pas calculé de la soirée, elle jouait sur son portable et ne me regardait pas. Elle a fini par partir. C’était un peu fou. »

Des anecdotes rocambolesques auxquelles certains prêtent une portée éducative. Aubin, 22 ans, installé dans le Puy-de-Dôme, s’est inscrit pour rire, mais aussi « prendre des notes et essayer d’éviter d’avoir ou d’être un date claqué ». Les bonnes pratiques qu’il a identifiées : organiser le rendez-vous dans un lieu public et proposer de payer – un sujet de querelle récurrent dans les commentaires. Sarah aussi s’est inscrite sur le groupe pour étudier. Elle a 31 ans et est redevenue célibataire il y a un an après une histoire de huit ans. « J’avais envie de lire les expériences des autres. » Une façon de s’armer pour le pire – qu’elle a pour l’instant évité. « Mon date le plus claqué est un homme qui m’a volé une bouteille de jus de fruit dans mon frigo. Ce n’est rien, mais j’étais quand même surprise ! »

Un date (du mot « rendez-vous » en anglais) claqué est une « situation cocasse dont on n’arrive pas à se tirer », définit Eva*, 38 ans, célibataire depuis deux ans. « Quand je racontais mes histoires à mes potes, ils me disaient ‟il faudrait écrire un livre”. Mais je leur disais que tout le monde vivait la même chose. On se sent seul, mais on ne l’est pas. » 

Le code a changé

Si les membres du neurchi ont pris le parti d’en rire, l’univers du dating n’en reste pas moins impitoyable. « Avant les applis, j’étais sur les sites de rencontre, retrace Coralie*, 46 ans, installée en Bretagne. Lycos, Meetic…, je peux presque faire l’historique de cette évolution. » Son constat : « Les gens n’étaient pas aussi bizarres que maintenant. Les mecs étaient plus respectueux, davantage dans une démarche de construire une relation qui dure. Aujourd’hui, il y a moins de dialogue, c’est très transactionnel, dans la consommation. Les applis correspondent à la société dans laquelle on vit : les gens cherchent une connexion immédiate. Si tu ne remplis pas les critères, ils passent à autre chose. » Un vocabulaire économique auquel tous et toutes ont recours spontanément. Pour un même constat : le dating est un marché comme les autres, où l’on se vend et se consomme. Pour le romantisme, on repassera.

Emmanuel, 35 ans, prof d’université basé à Arles, a lui aussi observé les évolutions dans les usages des applis. « Les premières fois que j’ai essayé, c’était encore un marché assez neuf, un peu bordélique, spontané, sans trop de codes. C’est à ce moment que les couples qui marchent toujours se sont formés. En 2018, c’est la grosse démocratisation des applis. On entre dans une ambiance de supermarché, un marché de Noël permanent, on concrétisait très facilement, le fonctionnement était souple et assez enivrant. » À ce moment-là, il rencontre une femme et se case pendant deux ans. Depuis son retour, il trouve que l’atmosphère s’est dégradée. « Les gens sont devenus plus méfiants et plus zappeurs que pendant la ‟période supermarché”. Il y a plus d’évitement et de ghosting. » Les applis ont changé, ou peut-être est-ce lui, se dit-il. On n’a pas le même rapport à l’amour à 35 ans qu’à 25. 

Ghosting, breadcrumbing et situationship

Conséquence de plus de dix ans de swiping intensif, les aspirants à l’amour semblent avoir la bougeotte. « Il y a une espèce de lassitude, déplore Coralie. Les gens cherchent des sensations fortes et ont une vision déconnectée de la réalité du couple : à la première difficulté, ils s’en vont. » « Il peut arriver que tout se passe bien, mais la moindre erreur est de trop, confirme Antoine, 35 ans, employé dans l’informatique dans le sud de la France. Pour toi, ce n’est rien, mais comme il y a un choix immense, la personne en face peut facilement passer à autre chose. »

Les plus courageux confrontent leur partenaire pour le leur annoncer. Les autres pratiquent le ghosting, cette fâcheuse habitude de disparaître sans laisser de trace et surtout sans donner d’explication (pour un ghosting efficace, nombreux sont celles et ceux qui bloquent l’autre également sur les réseaux, toujours sans explication. Un autre neurchi, « Neurchi de ghosting », permet aux « ghostés » et aux « ghosteurs » de raconter leurs expériences). À cette tendance s’ajoute désormais le breadcrumbing, soit l’action de laisser des miettes d’attention à l’autre pour conserver son intérêt. Au cas où. « Ils essaient de maximiser leurs prospects », traduit Coralie, empruntant encore au langage commercial. Là encore, une attitude dénoncée par plusieurs des bachelors et bachelorettes

« De manière générale, j’ai l’impression que l’on devient de plus en plus indépendant, isolé, renfermé sur son monde et qu’on a moins envie de construire des choses à deux, analyse Sandra, maman d’une fille de 15 ans et séparée depuis quatorze ans, installée dans les Ardennes belges. C’est sûr qu’habiter ensemble, ce n’est plus du tout la même vie : tu ne manges pas forcément des chips affalée dans ton canapé lorsque tu es en couple. » Elle-même est soucieuse de conserver son indépendance. « Quand tu as déjà été en couple, mariée puis séparée avec les épreuves que ça implique, tu n’as pas forcément envie d’y retourner. » Elle souhaite quand même « une relation un minimum construite, où je peux me projeter ». Pas simple.

« Si tu dis que tu ne veux que du cul, ça n’aide pas. »

Julia, tatoueuse de 29 ans qui a travaillé en Suisse, en France et au Japon, a été de celles qui ne veulent pas s’engager. « J’ai installé Tinder à 22 ans quand je me suis séparée de mon premier copain. Depuis, je n’ai pas réussi à me mettre en couple », partage-t-elle. Sa peur à elle était de se « remettre en relation exclusive ». « Ne pas avoir accès à Tinder, et donc à beaucoup de gens à qui parler, me faisait un peu paniquer. Je voulais rester sur l’appli, au cas où », dit-elle en évoquant un sentiment de FOMO (fear of missing out, soit la peur de rater quelque chose en étant absent). Elle se met en relation libre, mais finit par tomber amoureuse d’un homme qu’elle ne souhaite pas partager. Ses sentiments ne sont pas réciproques. « Cette peur de me mettre en couple est devenue une peur de ne pas être en relation exclusive », poursuit-elle. En surpoids, peu sûre d’elle, Julia parle de fragilité émotionnelle. Les applis n’aident pas. « En cherchant des relations libres, il y avait cette idée qu’il était facile de coucher avec moi. On avait tendance à ne pas me respecter, à ne pas me considérer émotionnellement. »

Coralie aussi déplore un manque d’égard, face sombre d’une libération de la sexualité féminine et de l’explosion du modèle du couple exclusif comme horizon unique d’une vie amoureuse épanouie. « Cette « situationship » (une relation floue entre couple et sexfriend, sans que le statut officiel ait été abordé, ndlr), c’est le meilleur des mondes pour les mecs qui ne veulent pas s’engager. Ça leur permet d’avoir quelqu’un au chaud. Ils sont polyamoureux parce qu’ils ne veulent pas se sentir coupables de tromper leur meuf. Il faut venir quand ils veulent, à des heures pas possibles. On finit par se sentir comme une escort. Tu peux vouloir une aventure d’un soir, mais il faut être respectueux. »

« Je vis très bien tout seul. Il faut savoir être heureux avec soi-même »

« Si à un moment tu te sens seul, que tu as besoin de réconfort, tu peux très facilement trouver quelqu’un, reconnaît Charlie, 38 ans, modérateur de l’un des neurchis. Ça peut paraître un peu sauvage, mais ce n’est pas forcément un mal. » Célibataire depuis six mois après avoir été en couple pendant quatre ans, il ne cherche pas d’histoire sérieuse – sans pour autant écarter cette option. Avec ses tatouages et sa silhouette athlétique, il a du succès et revendique plusieurs centaines de dates. « À Paris, tu peux ‟swiper en illimité”, justifie-t-il. Désormais installé à Nantes, « je vis très bien tout seul. Il faut savoir être heureux avec soi-même », professe-t-il. Il tend à prévenir ses prétendantes, « sans dire cash que je ne cherche que du cul », nuance-t-il. « Quand j’étais plus jeune, je ne le disais pas, reconnaît-il. Quand tu es un homme et que tu dis ouvertement que tu veux juste t’amuser, ça te limite. Mais ce n’est pas très honnête. »
Emmanuel, le professeur arlésien, insiste sur l’importance d’être franc. « J’essaie d’être au maximum transparent sur nos attentes réciproques. Ça ne sert à rien d’arriver avec des fleurs si on veut une relation légère. » Lui cherche une histoire pérenne.

Croiser 100 femmes, se prendre 100 râteaux

Pour certains hommes qui cherchent l’amour, le vrai, l’algorithme n’est pas toujours tendre. « J’ai eu beaucoup de déceptions au début, confie Antoine l’informaticien, aujourd’hui en couple. On est 1 000 hommes pour une femme, ça crée beaucoup de frustration. » D’autant qu’il a parfois eu l’impression de « payer les pots cassés pour les erreurs d’autres hommes ». « On voit de nombreuses femmes qu’on ne verrait pas autrement que sur une appli, ajoute Aubin, 22 ans. À chaque fois que ça ne marche pas, c’est comme un râteau. » Un déséquilibre qui alimente un certain ressentiment et qui pousse des hommes à s’adapter. « Par exemple, je ne suis pas du genre à mettre des smileys, expose le jeune homme. Mais on m’a conseillé de mettre des ponctuations qui ne sont pas naturelles pour moi. » D’autres remarquent qu’ils n’ont pas « le physique appli » ou manquent de photos séduisantes. « Il faut être bien foutue, au soleil, avec des potes », relève Coralie. Elle non plus, dit-elle, ne rentre pas dans les cases.

Un formatage qui s’infiltre jusque dans la façon de mener ses rencontres. « Au bout d’un moment, on se voit faire et on en arrive à avoir un dégoût croissant de soi. Encore un date, le train, la rencontre, les mêmes sujets, la même blague au même moment… On drague toujours de la même façon », constate Emmanuel. Une expérience que relate aussi Julia. « J’ai rencontré un garçon qui commençait à se rendre compte qu’il y avait un type de conversation qui lui permettait de coucher avec les filles. Il faisait de grands pamphlets sur le féminisme, le consentement, il m’a raconté des détails très crus de sa vie sexuelle avec d’autres partenaires… Je pense qu’il faisait un dating burnout », relate la tatoueuse.

Pour remettre de l’inattendu dans ses rencontres, Emmanuel met ses propres schémas à distance. « Je fais des expériences. Là je vais moins parler de mon métier, ici moins mettre mes origines en avant. Ou bien je vais me dire partant pour un truc que je n’aurais pas fait en temps normal. Ça reste léger, malgré tout. » Une technique que plébiscite également Dorian, 27 ans, en couple depuis deux ans. Pratiquant de sport de combat depuis tout petit, il s’est mis à 21 ans à la salsa et s’est inscrit sur un groupe Facebook destiné à organiser des sorties dans sa ville. Timide revendiqué, il a ainsi rencontré sa compagne et de « bons amis masculins ». « La scène du dating est dure. Il faut s’adapter, sortir de sa bulle et parfois se mettre dans une situation d’inconfort », recommande-t-il.

Outil de consentement et de découvertes

Si tous ne dressent pas un portrait rose bonbon du dating, tout n’est pas perdu. Pour les timides, isolés ou trop occupés, les applis permettent de sortir de la solitude. D’autant plus que draguer dans la « vraie vie » est un terrain de plus en plus difficile. « Aujourd’hui, par exemple, il serait impossible de draguer dans les transports parce que la personne ne peut pas descendre si elle ne se sent pas à l’aise, illustre Aubin. Les choses évoluent pour le mieux, mais ça réduit les possibilités. » « Je n’arrive pas à aborder quelqu’un dans la rue, j’ai toujours peur d’être lourd, ajoute Antoine. Même en soirée, ce n’est pas évident. L’avantage de l’appli, c’est que ça brise cette difficulté. » Un outil de consentement, donc, bien pratique en cette période post-#metoo.  

Débarquée sur les applis il y a un an et demi, après deux longues histoires d’amour, Eva, 38 ans, goûte quant à elle avec délectation cette surabondance de choix et les découvertes sexuelles qui l’accompagnent. « Au début, ça a été d’une grande violence d’être confrontée au ghosting, au mensonge. J’avais tendance à vivre dans le monde des Bisounours. » Certains réflexes intégrés ( « ne plus donner mon 06 au bout de trois échanges, souvent les mecs en profitent pour t’envoyer des photos de leur b*** » ), elle apprécie l’idée de cette « quantité infinie de rencontres ». « Dans mon environnement, il n’y a que des gens qui me ressemblent. Sur les applis, je rencontre des personnes que je n’aurais pas croisées. Ça m’enrichit. »
Pour les sceptiques et les déçus, reste « Neurchi de date parfait ». Dhélia, 21 ans, a créé ce groupe Facebook après son premier rendez-vous avec sa copine, avec qui elle est toujours. « Je voulais redonner foi en l’amour », dit-elle. Ici, les 18 000 membres partagent leurs coups de foudre, leurs attentions délicates et leurs mésaventures attachantes. De quoi donner envie de s’accrocher encore un peu. Un conseil pour un date parfait ? « Soyez vous-même, sachez ce que vous voulez ou non, et surtout, insiste Dhélia, laissez-vous surprendre ! » Et dites-vous qu’au pire, tout ça fera marrer les copains.

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