
Depuis la sortie de son livre J’ai adopté une amie, paru en 2023, l’essayiste Eun Seo-ran est devenue la première femme connue pour avoir adopté son amie.
Dans son témoignage, l’écrivaine Eun Seo-ran raconte ce qui a motivé sa décision. En tant que femme célibataire, elle a subi de nombreuses injustices : commérages, questions indiscrètes du voisinage et même l’effraction par le propriétaire de son domicile, lorsqu’elle résidait dans un petit village de la péninsule.
En 2016, elle déménage dans la province du Jeolla et rencontre Eo-rie*. Pour lutter contre l’isolement, elles s’installent en colocation. Une situation qui convenait aux deux jeunes femmes, jusqu’à ce qu’Eun Seo-ran souffre de problème de santé et soit souvent hospitalisée. Mais, l’accès aux soins s’avère vite compliqué car les hôpitaux refusent d’effectuer des soins d’urgence sans la signature d’un formulaire de consentement d’un membre de la famille.
Remise en question d’un système patriarcal
« Ce que nous voulions, c'étaient des choses simples : prendre soin l’une de l’autre, comme signer des formulaires de consentement médical, prendre un congé pour soins familiaux lorsque l'une de nous est malade […]. Mais rien de tout cela n’est possible en Corée du Sud à moins que nous soyons une famille légale », confie-t-elle à la chaîne d’information Al Jazeera English.
Selon la loi sud-coréenne, une famille n’existe que par le biais du mariage entre un homme et une femme, les liens du sang et l’adoption. De fait, les couples non mariés ou les amis qui vivent ensemble ne peuvent constituer une famille. Cependant, celle qui se décrit comme un « électron libre » et qui rejette l’idée de se marier, a trouvé le moyen de réinventer le cadre familial, en adoptant son amie. Si Eun Seo-ran est la première femme à profiter de cette faille juridique, elles sont nombreuses à refuser les liens du mariage et à souhaiter rester célibataires. Selon l’agence de presse Yonhap, le nombre de ménages d'une seule personne s'élevait à près de 10 millions en décembre 2023, soit une hausse de plus de 200 000 par rapport à 2022.
Le patriarcat... on n'en veut plus
Kang Mi-seon, Seong Hee Kim et Inhye Jung, chercheuses de l’université Yonsei, ont mentionné dans leur essai Écrire la vie comme je le souhaite (publié en 2020) que pour de nombreuses Coréennes, refuser le mariage s’apparente à « un rejet catégorique de la misogynie, des inégalités structurelles et de l’idée selon laquelle les femmes ont besoin des hommes ».
Et dans son étude La montée des célibataires sans enfants en Corée du Sud (publiée en 2023), la sociologue Kate H.Choi dresse le même constat : « Les jeunes adultes coréens évitent le mariage et la parentalité en grande partie à cause de trois facteurs : la fièvre de l'éducation et les coûts exorbitants de garde d'enfants, l'inégalité entre les sexes sur le marché du travail et la répartition du travail entre les sexes au sein du ménage. »
Pour lutter contre le poids des traditions et la solitude subie par ces femmes, une communauté solidaire s’est formée dans le pays du matin calme, telle que l’association Salim, fondée à Séoul en 2012 par Park In-pil, Yoo Yeowon et Cho Hye-in, qui compte aujourd’hui près de 4 200 membres. Elle dispose de plusieurs cliniques gynécologiques, psychiatriques et dentaires, et accueille les femmes seules mais aussi les personnes en situation de handicap ou les victimes d’agressions sexuelles. Autre initiative, en 2020, Gwak Min-ji a lancé le podcast Behonsé (référence au terme coréen bihon qui signifie « contre le mariage » et au titre All the Single Ladies de Beyonce) écouté par plus de 50 000 auditeurs chaque semaine. Son objectif ? Donner la voix aux femmes célibataires en échangeant avec elles sur des sujets du quotidien.
*pseudonyme à la demande de l’autrice
Participer à la conversation