Quatre bébés asiatiques avec des chapeaux de fête en carton

Congélation des ovocytes : les frigos sont pleins

© ZooMoonkey

Depuis 2021, la France est le seul pays au monde à permettre gratuitement de préserver ses ovocytes sans raison médicale. Encore faut-il pouvoir y accéder.

Cet article est la deuxième partie de notre enquête sur la congélation d'ovocytes. La partie 1 se trouve ici.

« Désolés, nos prochains rendez-vous sont pour 2029. » « On ne prend plus après 34 ans. » Depuis que la loi bioéthique de 2021 a autorisé l’autoconservation ovocytaire entre 29 et 37 ans sans raison médicale, les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS) sont pris d’assaut. Pour les femmes, une course contre la montre pour ralentir l’horloge biologique s’engage.

Lucie, entrepreneuse de 34 ans, a été réactive. En novembre 2021, trois mois après la promulgation de la loi et un mois avant son décret d’application, elle lance sa demande. Déjà, elle est mise sur liste d’attente. En avril 2022, on l’informe qu’elle peut prendre rendez-vous sur Doctolib, grâce à un lien qu’on lui envoie. Elle partage l’astuce à ses copines. « On a été un groupe de trois filles à faire les rendez-vous au même endroit, à peu près au même moment. » Les suivantes ont eu moins de chance. Les structures CECOS ne s’attendaient pas à une telle demande et les capacités n’ont pas augmenté. Selon l’Agence de la biomédecine, fin 2023, plus de 26 000 demandes de rendez-vous auraient été faites. « Les professionnels sont nombreux à penser que ces chiffres sont sous-estimés », soulignent des praticiens dans la revue spécialisée Genesis. Entre 2021 et 2023, plus de 6 300 premières consultations ont eu lieu et 4 690 autoconservations ont été effectuées. 

L’horloge biologique va sonner

En moyenne, le délai d’attente est de 10 mois – 14 en Île-de-France. « J’ai une copine qui l’a fait à Orléans », raconte Laura, infirmière francilienne de 35 ans. Elle s’est rendue à Bondy, à plus de 30km de chez elle. « C’est très mal desservi, les rendez-vous sont tôt, il faut y être à 7 heures. J’ai dû y aller en voiture. » D’autres se sont tournées vers Saint-Étienne, Nice ou Marseille. Au standard de ces centres pleins à craquer, on refile sous le manteau les adresses de ceux qui pourraient « faire preuve de gentillesse », pose une secrétaire, et accueillir les femmes dont le temps presse. Face à l’afflux de patientes, notamment venues d’Île-de-France, certains centres commencent à filtrer par adresse de domiciliation.

Une fois le premier rendez-vous obtenu, les délais entre chaque étape peuvent aller jusqu’à 10 mois. Pour entrer dans le cadre de la loi, la ponction des ovocytes doit être réalisée avant les 36 ans révolus. « Ce n’est pas à 35 ans qu’il faut se réveiller », souligne Ingrid, 33 ans, qui a entamé ses démarches en début d’année sur les conseils de sa gynécologue.

Ponction et précision

La procédure est médicale. D’abord, le bilan de fertilité. « C’est un moment émouvant », confie Margaux*, 33 ans, à la tête d’une start-up et qui a entamé la procédure à ses 29 ans. Pour elle, les résultats ont été « méga rassurants ». Juliette*, 36 ans, s’est quant à elle rendu compte que sa fertilité avait drastiquement baissé – au point de ne pas être sûre de pouvoir mener le processus à terme. Ensuite, la stimulation. « Tu vas à la pharmacie et on te donne pour 1 500 euros de médicaments. Là, tu réalises le privilège d’avoir accès à ça », s’émeut Margaux. La plupart des femmes font leurs piqûres seules – en haut des cuisses ou au niveau du ventre – mais elles peuvent se faire assister gratuitement si elles le souhaitent. « Les piqûres nous stimulent hormonalement pour faire plus de follicules », détaille Laura. « Par exemple, naturellement j’en avais 10, grâce à la stimulation, j’en ai eu une vingtaine. » Autant de chances d’héberger un ovocyte. Tous les 3 à 5 jours environ, il faut se rendre à l’hôpital pour une échographie et une prise de sang. « On regarde comment les follicules poussent. » Pour qu’ils soient prélevés, le follicule doit faire entre 17 et 21 mm.

Pendant la procédure, les patientes prennent un comprimé pour bloquer l’ovulation. Celle-ci sera déclenchée médicalement, la veille de la ponction, par une ultime piqûre. C’est la plus précise et, de l’avis de toutes, la plus difficile à réaliser. « Tu ne peux pas être assistée parce que la piqûre est faite tard dans la nuit. Il faut être très précis, ça se joue à l’heure près. Tu dois toi-même préparer le mélange, c’est un peu stressant », se rappelle Margaux qui s’assistait de « tutos YouTube ».

Le jour J, c’est la ponction. « Ça dure 13 minutes, ce n’est pas agréable. Ça fait mal à l’intérieur. Ils te mettent un petit tube au bout duquel il y a un miniscalpel. Avec ça, ils traversent la paroi de ton vagin pour entrer dans ton ovaire. L’anesthésie ne va pas jusqu’à l’ovaire, tu sens qu’il se passe quelque chose, un peu comme une douleur violente de règle. Ça reste moins douloureux que de mettre un stérilet, mais ça dure plus longtemps. J’avais préparé le coup avec une hypnotiseuse, ça m’a calmé », raconte Margaux. Le jour même, les patientes connaissent le nombre d’ovocytes prélevés. L’idéal est de préserver entre 15 et 20 ovocytes. En moyenne, 5 à 8 ovocytes sont prélevés par ponction. Il faut donc réitérer le processus deux à trois fois.

Prendre le contrôle 

Les effets secondaires sont aléatoires. De « l’acné, une augmentation de la poitrine et le ventre gonflé où on sent une pesanteur », pour Laura. « Le ventre gonflé, j’avais l’impression d’être enceinte à tel point que c’était inconfortable de marcher », pour Margaux. Une immense douleur pour Lucie, à qui on a prélevé un record de 30 ovocytes en une seule session et qui n’a « pas pu se lever pendant deux jours ». 

Dans l’ensemble, elles trouvent ces effets secondaires acceptables, aussi parce qu’ils sont contraints dans le temps – entre la stimulation hormonale et la ponction, deux semaines environ. Néanmoins, « il y a beaucoup d’inégalités sur ce sujet », reconnaît Lucie. « Ma voisine n’a pas eu assez d’ovocytes ponctionnés la première fois, mais a décidé de ne pas renouveler. Elle a trouvé le processus trop lourd, expose-t-elle. Il ne faut pas sous-estimer le stress que ça peut infliger au corps. Ce n’est pas anodin. » La compagne de Juliette est passée par là. Elle a eu une hémorragie à la suite de sa ponction – une complication lourde, mais rare. « Ce n’est pas rassurant, même si on se dit que la foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit. »

Malgré le caractère clinique de ces étapes, pour les femmes c’est aussi une façon de reprendre le contrôle de leur corps. « J’étais fière de me faire les piqûres moi-même », raconte Lucie. « Je me disais que je faisais ça pour moi, que ça demandait du courage. Je me suis sentie bien. Même si les hôpitaux sont surbookés, les femmes sont bien accompagnées », estime-t-elle. « On fait plusieurs rendez-vous, on voit un·e gynécologue, un·e biologiste. On nous explique comment ça marche, même si on est censées savoir tout ça depuis nos cours de SVT. Je me suis rendu compte que je ne savais pas comment fonctionne le cycle féminin. » Laura abonde : « J’avais besoin de comprendre ce qu’il se passait. Sinon, c’est un peu lunaire. » « C’est fort émotionnellement de prendre conscience de ce qu’il se passe dans tes ovaires, c’est un rapport au corps assez fou », acquiesce Margaux.

Bienvenue dans le futur

Toute les femmes qui congèlent leurs ovocytes n'y ont pas recours – certaines tombent enceintes naturellement ou par FIV, d'autres abandonnent le projet. Si les ovocytes ne sont pas utilisés, les femmes ont le choix de les détruire ou de les donner. Toutes celles interrogées privilégient la seconde option. « C’est quelque chose qui me tient à cœur. Si je vais au bout de cette procédure, ça peut potentiellement servir à quelqu’un. C’est une raison supplémentaire de le faire », dit Ingrid. « Je suis encore plus convaincue depuis que j’ai rejoint des groupes Facebook de PMA où j’ai vu ces femmes être tellement malheureuses d’être en attente de dons d’ovocytes qui n’arrivent pas », acquiesce Margaux. « Quand je vois à quel point des femmes veulent devenir maman, je les donne sans hésiter », déclare Laura. « Ça force à se demander comment je réagirais si dans 18 ans quelqu’un venait me voir en disant qu’il est issu de mes gamètes », souligne Lucie. En effet, la loi bioéthique de 2021 prévoit également la levée de l’anonymat à la majorité de l’enfant né du don, s’il le souhaite. « Ça ne me gêne pas, conclut-elle. La maternité n’est pas une question de gamètes. »

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