Une femme de dos aux longs cheveux roses devant un paysage montagneux

Chacun cherche son lieu… mais où se sent-on vraiment chez soi ?

Entre désir d'ancrage, aspiration au mouvement et deuil de toutes les vies que l'on n'aura pas vécues, la poursuite du lieu rêvé n'est pas qu'une question géographique. Entretien avec Marie Kock, autrice d’un essai stimulant.

Où et quand se sent-on vraiment chez soi ? En 2022, la journaliste Marie Kock quittait Paris pour Marseille et publiait Vieille fille, une proposition, un essai revigorant sur la possibilité de rester célibataire. Installée depuis trois ans dans la cité phocéenne, la quadra envisage aujourd’hui de vivre à la campagne pour retrouver les paysages de son enfance, là où elle se sent chez elle. Dans Après le virage, c’est chez moi (éd. La Découverte), l’autrice questionne nos rêves de mobilité qui, bien souvent, ont à voir avec l’idée que l’on se fait de la réussite. Et nous invite à nous poser cette question existentielle : où va-t-on ? 

Dans votre livre, vous êtes en recherche perpétuelle d’un lieu où vous vous sentiriez bien. Pourquoi est-on en quête d’un lieu à soi ?

Marie Kock : J’ai une hypothèse : il est plus facile de se demander où l’on veut habiter que de se poser des questions existentielles comme “qui suis-je?”, “où suis-je?”, “où vais-je” ? Peu importe l’endroit où l’on souhaite aller, peu importe si l’on finit par bouger ou pas, les lieux sont un moyen très concret d’appréhender ces questions vertigineuses que l’on met souvent sous le tapis. 

Pourquoi avoir quitté Paris, où vous vous étiez installée après vos études ? 

M. K. : Ce n’est pas très original : ces temps-ci, on croule sous les récits d’urbains qui décident de décélérer et de partir vivre dans des villes moins centrées sur le travail, la réussite et l’argent. Je suis comme eux. Comme beaucoup donc, je suis partie après le Covid. Le confinement m’a fait réaliser à quel point je me sentais vexée de ne pas pouvoir m’offrir autre chose qu’un studio étudiant à l’approche de la quarantaine. J’avais envie d’avoir un logement avec une vraie chambre, d’être plus proche de la nature…

En arrivant à Marseille, vous avez craint d’être perçue comme une « venante », une Parisienne venue gentrifier la ville… 

M. K. : C’est sans doute parce que Marseille est une ville qui a, et revendique une identité très forte. En arrivant, j’ai senti que je marchais sur des œufs et que je devais faire un effort d’intégration. Après presque quatre ans, je réalise que ma peur était plus liée à ce que je lisais dans les journaux qu’à la réalité, que toutes les précautions que j’ai prises n'étaient peut-être pas nécessaires. Mais ces réflexes font partie d’une réflexion militante : j’avais le souci de ne pas abîmer un lieu, de l’habiter sans le transformer, de moi-même ne pas être une sorte de colon dans cette nouvelle ville.

Peut-on dire que ce déménagement vous a permis de faire une mise au point sur qui vous êtes ? 

M. K. : Ce qui est certain, c’est que les lieux où l’on habite nous transforment et que Paris, où j’ai vécu pendant 18 ans, m’a transformée. Si je me suis fait des amis à Marseille, j’ai eu plus de difficultés à m’habituer à des choses triviales, comme le soleil et cette atmosphère de dolce vita permanente. J’ai aussi pris conscience de réflexes ancrés en moi : je pensais pouvoir traverser facilement la ville en transports en commun, comme on saute dans un métro parisien. Rétrospectivement, c’était naïf de penser que je pourrais avoir exactement la même vie en vivant à Paris, à la campagne, ou à Marseille — et m’en apercevoir m’a conduit à questionner mon identité. En allant vivre à Marseille, je pensais que je serai plus libre qu’à Paris, où je me sentais très corsetée. Et une fois arrivée sur place, j’ai réalisé que j’étais plus coincée que je ne l’imaginais. Ça a été une prise de conscience désagréable. Et ça m’a aussi permis de savoir qui j’étais, pour de vrai. 

Nos envies d’habiter changent, elles évoluent…

M. K. : Absolument ! Ces envies se nourrissent de nos expériences et, comme nos identités, elles ne sont pas rigides. De la même manière, on n’a pas la même lucidité à tous les âges de la vie. 

Vous dite être parvenu à vous défaire du rêve d’un « parcours résidentiel enviable ». De quoi s’agit-il ? 

M. K. : C’est cette idée que la réussite passe obligatoirement par le lieu. Il est par exemple acceptable de commencer dans un petit appartement un peu miteux, à condition d’améliorer sa condition immobilière plus tard. Moi-même, je suis pétrie de ce récit de la réussite, qui voudrait qu’avec le temps qui passe, on doit acquérir toujours plus grand, dans de grandes capitales, jusqu’à la résidence secondaire pour les plus chanceux. Ce livre, c’était aussi une exploration du déclassement lié au travail — même avec un diplôme, on ne peut plus se payer un appartement à Paris. Ce déclassement est l’opportunité de s’interroger sur notre vision de la réussite et nos lieux d’habitation, qui servent bien souvent à faire de la démonstration sociale.

Que pensez-vous de ce narratif selon lequel il y aurait des « somewhere » prisonniers d’un territoire, et des « nowhere », suffisamment privilégiés pour pouvoir habiter partout ? 

M. K. : À mon avis, laisser penser que la ruralité ne serait faite que d’agriculteurs en colère contribue à nourrir une forme de ressentiment. De la même manière que les « nowhere » n’existent pas vraiment, puisque nous sommes tous de quelque part. Ces discours caricaturaux contribuer à figer les identités. La réalité est bien plus diverse ! Par exemple, dans le petit village de Haute-Loire où je vis en ce moment, il y a un coworking, une énergéticienne qui pratique la médecine chinoise… C’est loin du terroir composé uniquement d'agriculteurs. Ce récit des « somewhere » masque une hybridité qui est pourtant à l’œuvre dans tous les territoires. 

Finalement, où est-on chez soi ?

M. K. : Je serais bien en peine de donner une conclusion définitive ! J’encourage chacun à chercher des lieux où il se sent vivant, plutôt qu’un endroit où l’on performe quelque chose. À titre personnel, c’est quand je marche dans les montagnes sous la pluie avec un chien que je me sens vraiment à ma place. Dans ces moments-là, je n’ai besoin d’aucune validation extérieure, ni de valorisation sociale, ni de réussir ma vie. C’est vers cet apaisement qu’il faudrait tendre. 

À LIRE : Après le virage, c’est chez moi, La Découverte, mars 2025

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commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    oups : Vous dite être parvenu

  2. Avatar Anonyme dit :

    Tree bel article qui parlera a beaucoup de monde 😉

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