La façade du palais Bourbon et deux gants de boxe en cartoon

« Bordel » à l'Assemblée nationale : les réseaux sociaux sont-ils vraiment coupables ?

© ZeusUpsistos et PNGEgg

Une étude récente met en lumière la métamorphose de l’Assemblée nationale en un théâtre où dominent les codes des réseaux sociaux : colère et polarisation. Mais est-ce une lecture biaisée ?

La dissolution récente de l’Assemblée nationale et la démission du gouvernement Barnier ont relancé les discussions sur le fonctionnement de l’institution parlementaire. Alors que certains chercheurs, comme Yann Algan, alertent sur une « fièvre parlementaire » dominée par les logiques des réseaux sociaux, d’autres, comme Théo Delemazure, appellent à une lecture plus nuancée.

L'Assemblée influencée par TikTok ?

L’étude « La Fièvre parlementaire : ce monde où l’on catche ! Colère, polarisation et politique TikTok à l’Assemblée nationale » de Yann Algan (professeur d’économie à HEC) et ses coauteurs Thomas Renault et Hugo Subtil avancent que l’Assemblée nationale se serait transformée en scène de spectacle au détriment de sa vocation délibérative. Sur la base de l'analyse de deux millions de discours prononcés entre 2007 et 2024, les trois économistes rapportent une « émotionnalisation et un raccourcissement » des interventions depuis 2017, et de façon plus marquée à partir de 2022. Leur hypothèse est la suivante : « Les débats argumentés entre adversaires politiques se sont transformés en attaques et en interruptions systématiques entre "ennemis". » Une « désinstitutionnalisation » qui refléterait l’empreinte croissante d'une audience virtuelle, entendez les followers de plateformes sociales telles que X (ex-Twitter), Instagram ou encore Tiktok. Selon les auteurs, ce glissement transformerait les représentants du peuple en performeurs, les incitant à réduire la complexité des débats à des slogans courts et percutants, pour satisfaire une logique de viralité.

Quand l’émotion prime sur l’argumentation

La polarisation des émotions, notamment la prédominance de la colère à hauteur de 75 % dans certains groupes politiques tels que LFI et le RN, refléterait cette dynamique de violence politique. Une colère « surjouée » qui, selon les auteurs, s'inscrirait dans une stratégie de dramatisation visant à marquer les esprits. La démocratie parlementaire serait ainsi piégée dans un « cercle vicieux de confrontation stérile, écrasée par la fièvre des passions et les codes des réseaux sociaux ». Une mutation de l'Assemblée nationale inquiétante selon les auteurs, pour qui ce « monde où l’on catche » menacerait l’essence même de la démocratie parlementaire, qui repose sur l’élaboration de solutions collectives au service du bien commun...

Les réseaux sociaux, coupables idéaux ?

Dans un texte intitulé « Non, les députés ne font pas des interventions plus courtes pour TikTok », Théo Delemazure, doctorant en informatique à Paris Dauphine, livre une analyse critique de la note du CEPREMAP. Selon le créateur du site C'est de gauche ou de droite ? , si l'étude soulève des questions pertinentes sur l’évolution des pratiques parlementaires, certaines de ses conclusions méritent d’être nuancées. En ligne de mire : la méthodologie employée et notamment les données du site NosDéputés.fr utilisées par l’équipe d’Algan qui seraient, selon le chercheur, moins complètes que celles publiées en open data de l’Assemblée nationale depuis 2017. « En utilisant cette source plus précise, mes propres observations remettent en question certains résultats, notamment ceux sur le nombre moyen de mots par intervention et leur évolution dans le temps. »

Selon Théo Delemazure, les interventions plus courtes des députés pourraient davantage être liées à des contraintes institutionnelles comme les deux minutes allouées pour les questions au gouvernement plutôt qu’à l’influence des réseaux sociaux. Enfin, parmi les autres conclusions qui méritent d'être nuancées, celles portant sur la hausse des interruptions et réactions dans l’hémicycle. Si Algan et ses coauteurs y voient les marqueurs d’un débat plus conflictuel, selon le doctorant, elle résulterait également d’un contexte institutionnel, tel que l’absence de majorité absolue depuis 2022, qui aurait pour effet de renforcer les affrontements politiques.

Peggy Baron

Chaque jour je m'installe à la terrasse de l'actu et je regarde le monde en effervescence. J'écris aussi bien sur les cafards cyborg que sur le monde du travail, sans oublier l'environnement et les tendances conso.

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