Agri-tubeuses : elles sont cheffes d'exploitation et ont l'air trop cool

Elles montrent leur quotidien et une autre façon de vivre. Et les internautes adorent ça.

Pour Océane Balland (@OceaneAgricultriceOfficiel), tout a commencé en 2015. « J'étais harcelée à l’école. On se moquait de moi parce que mon père était agriculteur, j’étais traitée de bouseuse. Un jour, j’ai cessé d’aller à l’école car j’avais mal au dos. Je ne pouvais plus aller à la ferme non plus, je m’ennuyais, alors j’ai commencé à avoir une page Facebook et à faire des vidéos sur YouTube », explique la jeune femme de 23 ans, à la tête désormais de l’exploitation familiale de 250 hectares et 230 bovins depuis 2020 en Haute-Saône. Et comme d’autres, elle souhaite montrer que c’est une option de vie.

« Je cherchais sur Internet des jeunes femmes qui conduisaient des tracteurs et je n’en trouvais pas. Je n’avais pas de modèle. Je me suis alors dit que pour les générations futures, c’était important de montrer que les femmes aussi pouvaient très bien faire ce métier. J’ai beau faire 50 kg, je peux très bien tirer des veaux de 80 kg pendant les vêlages », raconte l’agricultrice.

Comme Océane, et à l’instar de ses confrères masculins agri-tubeurs, de nombreux comptes de femmes agricultrices ont vu le jour sur les réseaux sociaux. « C’est une façon pour nous de créer de la solidarité entre filles. Ça permet de nous rencontrer entre agricultrices françaises. On partage nos difficultés et nos facilités. Via les réseaux sociaux, je me suis fait une amie qui vit à 365 km de chez moi. Malgré la distance, je sais que je peux compter sur elle à tout moment », explique Océane.

Planter des vocations et un nouvel imaginaire

« L’imaginaire de l’agriculture est masculin. Celui du chef d’entreprise aussi. Quand des femmes veulent être cheffes d'entreprises agricoles, l’imaginaire n’est pas du tout en leur faveur, alors que les profils de chefs d’entreprises agricoles sont divers », indique Gabrielle Dufour, chargée de communication pour le think tank AgrIdées, et qui a mené pendant plus d’un an, en partenariat avec Vox Demeter, une étude intitulée “Entrepreneuriat féminin en agriculture : libérer les potentiels ! ”.

Dans un milieu où 74 % des chefs d’exploitation sont des hommes et où les femmes, présentes dans les fermes depuis toujours, ont dû attendre 1961 pour que le mot “agricultrice” apparaisse dans le dictionnaire, celles-ci doivent encore et toujours redoubler d’efforts pour parvenir à se rendre légitimes. « Les agricultrices font face à des freins culturels et structurels. Elles sont bridées dans les secteurs d'activité où elles sont inférieures numériquement. »

Et faire un peu de lobbying au passage…

Instagram, YouTube ou TikTok sont autant de moyens de montrer qu’on peut être une femme et cheffe d’exploitation. Des réseaux sociaux qui permettent aussi, selon Océane, de véhiculer « une image positive de l’agriculture » dans un contexte où le secteur conventionnel se fait critiquer dans l’espace public, que ce soit pour l’usage des pesticides mauvais pour l’environnement et la santé, ou sur la question du bien-être animal.

Pour Victor Potier, sociologue et maître de conférences à l’université Gustave Eiffel, la présence en ligne de ces agriculteurs et agricultrices est une façon de « construire en ligne un espace pro pour créer du commun, partager le quotidien, montrer les gestes professionnels. » Mais cette tendance n’est pas propre aux agriculteurs, « elle est surtout générationnelle. »

C’est tout le milieu agricole qui semble vouloir véhiculer une image plus moderne. « Depuis 2010, on constate des stratégies de présence en ligne, notamment face aux critiques que peut recevoir l’agriculture », souligne Baptiste Kotras, chargé de recherche à l’INRAe, spécialiste des mouvements sociaux et des dynamiques d’opinions sur les RS numériques.