
Sur fond d'accusations de violences sexuelles, le procès passionne les tabloïds, mais aussi les médias conservateurs, qui en font leur nouveau anti-MeToo.
Au commencement, il y avait It Ends With Us (ou Jamais Plus en VF), cette comédie romantique adaptée du roman à succès éponyme de Colleen Hoover. Le film, sorti à l’été 2024, réunit Blake Lively, star de la série Gossip Girl, et Justin Baldoni, vu dans la série Jane the Virgin. Lors de la promotion du film, les deux stars n’apparaissent pas ensemble, la tension est palpable, et les réseaux sociaux s’agitent : des milliers de vidéos critiquent l’actrice pour son attitude antipathique, son poids, ou ses déclarations.
En décembre 2024, le New York Times publie un article qui fait l’effet d’une bombe : Blake Lively a déposé plainte contre Justin Baldoni et le producteur Jamey Health pour des comportements et commentaires déplacés, notamment d’ordre sexuel, pendant le tournage du film. L’actrice accuse aussi l’acteur d’avoir organisé une campagne de dénigrement visant à ternir sa réputation sur les réseaux sociaux, à l’aide d’une agence de gestion de crise. Mais en janvier 2025, coup de tonnerre : c’est Baldoni cette fois qui porte plainte contre l’actrice pour extorsion, diffamation et violation de sa vie privée.
Une affaire récupérée par la droite américaine
En quelques semaines, l’affaire Lively-Baldoni est largement commentée sur les réseaux sociaux… Mais aussi du côté de la droite conservatrice. Selon Gary Baum, journaliste au Hollywood Reporter, « pour la droite, [Justin Baldoni représente] la figure la plus sympathique de la vie américaine contemporaine : l'homme qui a été cancel. Lively, quant à elle, est une progressiste qui a été médiatisée pour ses dons répétés à des causes autochtones et pour son amitié étroite avec Taylor Swift, une ennemie du président Donald Trump. » Les médias conservateurs comme Fox News font des points quasi quotidiens sur l’affaire.
Mais la grande gagnante du commentaire autour de cette affaire est la commentatrice Candice Owens. Connue pour ses propos antisémites, conspirationnistes et LGBTphobes, celle qui est « anti-MeToo bien avant que ce soit à la mode » a vu les statistiques de sa chaîne YouTube exploser depuis qu'elle couvre l’affaire. Chaque épisode avoisine le 1,5 million de vues, et elle aurait gagné plus de 450 000 nouveaux abonnés en février. « Cela a attiré un nouveau public et a changé ma clientèle », a-t-elle reconnu auprès de la journaliste Taylor Lorenz. En couvrant ces sujets, les influenceurs conservateurs comme Candice Owens attirent ainsi un public plus jeune, plus féminin, mais aussi habituellement plus à gauche. Dans une plainte déposée par l'équipe de Blake Lively fin février, ses avocats citent la couverture de Candice Owens comme ayant profondément influencé l'opinion publique.
Et ce n’est pas la seule : l’influenceuse conservatrice Brett Cooper a lancé sa chaîne YouTube en parlant de l’affaire, n’hésitant pas à attaquer frontalement l’actrice Blake Lively. « C'est un nouvel exemple de femmes qui instrumentalisent #MeToo à leur profit ! », déclare-t-elle dans une vidéo qui accumule 3,4 millions de vues. Même le monde politique s’en mêle : lors de la conférence d'action politique conservatrice (CPAC), en février 2025, la présentatrice américaine Megyn Kelly a demandé à son public s’ils avaient entendu parler de l’affaire Lively-Baldoni, avant d’en parler en détail pendant de longues minutes. « Blake Lively pensait être accueillie comme une victime de #MeToo, comme Alyssa Milano ou Ashley Judd, mais elle ressemble beaucoup plus à Amber Heard. »
Le “misogyny slop ecosystem
Les parallèles entre le procès en diffamation qui a opposé Amber Heard à Johnny Depp et l’affaire Lively-Baldoni sont nombreux. D’une part, pour la ressemblance des affaires – deux actrices dénonçant des faits de violences sexuelles. Mais aussi par l’équipe qui entoure Justin Baldoni : ce dernier a fait appel à l’avocat Bryan Freedman, qui a défendu Kevin Spacey, Tucker Carlson ou Megyn Kelly. Il a également fait appel à Melissa Nathan, spécialiste de crise, qui a déjà travaillé pour Johnny Depp lors de son procès contre Amber Heard. Dans des SMS publiés par le New York Times, Melissa Nathan indiquait ainsi : « Vous savez, nous pouvons enterrer n’importe qui. »
Pour l’heure, il est difficile d’appréhender à quel point les récits en ligne sont le fait de fans en colère ou de bots. Certains commentateurs libéraux parlent déjà d’un “effet Amber Heard” dans cette affaire, visant à faire passer Blake Lively pour la menteuse. Pour la journaliste Taylor Lorenz, la haine en ligne envers Blake Lively, Amber Heard ou Meghan Markle est significative d’un “misogyny slop ecosystem”, qu’on pourrait traduire par “écosystème de soupe misogyne”. En clair, peu importe la femme visée, de nombreux influenceurs et créateurs de contenus feront du contenu misogyne dans le but d’attirer les spectateurs, engrangeant les vues et les soutiens. Pour Taylor Lorenz, le traitement de la pop culture et des affaires people par ces influenceurs serait même une forme de radicalisation pour les femmes vers l’extrême droite.
L’affaire est maintenant du côté de la justice américaine : un procès devrait se tenir entre Blake Lively et Justin Baldoni en mars 2026, soit quasiment quatre ans jour pour jour après le procès Depp-Heard. En attendant, l’actrice a obtenu une ordonnance empêchant la divulgation d’informations privées au public.
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