
Dans un climat de guerre informationnelle inédit, Taïwan a adopté la plateforme Polis conçue pour faciliter les débats citoyens. Et ça marche.
L’histoire commence en 2013 quand Uber s’est implanté à Taïwan. Très vite, la start-up américaine va bouleverser les habitudes des Taïwanais et semer la zizanie sur l’île. Les chauffeurs de taxi se mobilisent face à leur nouveau concurrent dont ils jugent les pratiques déloyales. De leur côté, les institutions du pays sont prises de vitesse par le modèle de la plateforme californienne. Mais entre les pro et les anti, le cas Uber divise, et les mesures de régulation se font attendre. Un an plus tard, la ministre taïwanaise Jaclyn Tsai rencontre g0v, une communauté d’hacktivistes. Son message est clair : « Nous avons besoin d’une plateforme qui permette à l’ensemble de la société de s’engager dans une conversation rationnelle. » Les hackers se mettent au travail et élaborent un plan. Uber servira de crash test.
À la recherche du consensus...
g0v commence par collecter l’avis des citoyens sur le sujet. Le groupe organise un livestream qui réunit 1 875 citoyens ainsi que les principales organisations concernées : Uber, les compagnies de taxi, et le ministère du Transport. Mais le véritable coup de génie de g0v est à trouver ailleurs.
Polis est une start-up américaine créée à la suite du mouvement Occupy Wall Street. Cette plateforme facilite les débats citoyens en recueillant et analysant les opinions des participants grâce à de l’I.A. En 2015, g0v choisit Polis pour trouver une réponse démocratique au problème Uber. Les utilisateurs commencent à poster leurs opinions sur le sujet, qui sont ensuite soumises au vote des participants. L’I.A conçue par Polis affiche une carte montrant les différents groupes d’opinion en fonction de leurs réponses.
Dès que les participants se mettent d’accord sur une idée, leurs avatars se rapprochent sur la carte, ce qui donne à la plateforme un aspect ludique apprécié par les utilisateurs. Et pour couronner le tout, Polis donne plus de visibilité aux idées les moins clivantes. « Vu que Polis montre les propositions qui disposent de plus de soutiens, les participants élaborent des idées susceptibles de plaire à davantage de personnes », explique Audrey Tang.
Stop the trolls by design
Pour éviter que Polis ne se transforme en un Mad Max numérique, la plateforme a fait des choix forts. Par exemple, les commentaires sont interdits. Un utilisateur qui souhaite voter pour une idée est limité à trois mentions : d’accord, neutre, pas d’accord. « Les commentaires, à grande échelle, ne fonctionnent pas », résume Colin Megill, le créateur de Polis. « Il y a environ 10 fois plus de personnes qui préfèrent voter plutôt que de commenter, et je pense que ça met le doigt sur un problème important dans les débats en ligne. Une minorité d’utilisateurs fait beaucoup de bruit et s’exprime abondamment ; donc si le design d’une plateforme met en avant les commentaires, on n’entendra plus qu’eux. »
Dans la même veine, un employé de Facebook avait découvert la meilleure solution pour protéger la plateforme des contenus haineux : supprimer le bouton de partage. Vu que les informations les plus violentes sont aussi les plus virales, limiter la fonctionnalité de partage avait du sens. Mais la direction a décidé de ne rien faire, trop préoccupée par les résultats financiers. À l’inverse, Polis est un outil open source à but non lucratif.
Et le gagnant est... ? Le débat public
Retour à Taïwan. Pour trouver un terrain d’entente entre les pro et les anti Uber, g0v s’est fixé un objectif ambitieux. Une idée sera retenue seulement si elle est approuvée par 80 % des participants. Dans ce cas, la proposition sera transmise au gouvernement. Et ça marche : 6 propositions ont recueilli un seuil suffisant d’avis favorables. En mai 2016, l'administration taïwanaise les adopte puis les transforme en lois.
Plus récemment, la plateforme a été utilisée par le think-tank français Terra Nova pour une consultation citoyenne sur les rapports entre la police et les citoyens. De quoi rendre au numérique ses lettres de noblesse ?
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