
Comme disait le poète-lyriciste du XXIème siècle Médine « Le Jura influence Paname, Paname influence le monde ». En vrai, il parlait de la banlieue, de la culture hip-hop, du Grand Paris. C’était en 2017. Mais aujourd’hui grâce au 7ème art, entre autres, la campagne devient un objet de fascination ! On assiste à un glissement de terrain qui pousse nos nouvelles influences vers la ruralité, géographie jusqu'ici oubliée de la publicité. /!\ Spoiler alert : la province devient inspirationnelle.
par Mathieu Perrin, Creative Strategy Lead chez 87seconds
Ce qui comté*, c’est de questionner notre rapport à la ruralité.
Il y a un contraste entre le regard qu’on porte sur la création publicitaire et la façon dont le grand public, « profane », la reçoit. On tombe vite dans le piège de la publicité-parisiano-pubard. L’auto-célébration à Cannes ou sur Linkedin, biais de confirmation numéro 1, enferme notre industrie dans des certitudes dangereuses qui nous éloignent de la grille de lecture des vrais gens. Il est aussi grand temps de questionner notre rapport à la ruralité. On parle de plus de 25 millions de consommateurs en France. Alors pourquoi est-elle encore sous-représentée (et de façon cliché) dans la publicité ? Peut-être que les annonceurs se font l’illusion d’un public genZ, « trendy » et « edgy » à conquérir à tout prix. Vous avez déjà vu dans un brief écrit noir sur blanc « cœur de cible : CSP+, 18-35ans, provinciaux » ? Certainement, aussi, que les agences (par snobisme ou par flemme intellectuelle) ignorent les gens qui vivent en dehors de leur microcosme, de l’autre côté du périph’.
Pourtant le cinéma ouvre la porte à de nouveaux territoires imaginaires possibles, à de nouveaux héros à inventer. Alimentons le voyeurisme des uns et faisons que les autres se sentent (enfin) considérés.
Anatomie d’un envol : l’histoire d’un territoire revanchard.
Vingt Dieux, Un ours dans le Jura, Le roman de Jim ou encore Polar Park… Cette année au cinéma, le Jura a fait du salle ! Et si ces fictions devenaient de nouvelles réalités à fantasmer ?
D’autant plus qu’il n’y a pas que sur le grand écran que les campagnards se tapent l’affiche. Leur influence est omnicanale. Les réseaux sociaux sont des fenêtres ouvertes sur le monde, mais aussi sur nos belles provinces. Si on vous dit « Regardez-moi ça les champs en Franche-Comté mes crevures, vous avez pas ça à la ville hein les citadins… », c’est peut-être un détail pour vous mais pour internet ça veut dire beaucoup. En 2023, le néo-influenceur Louca Le Franc Comtois avait cassé TikTok et du sucre sur le dos des parisiens avec ses punchlines pleines d’humour et de fierté locale. Des signaux faibles comme ça, il y en a à la pelle. Des signaux longs aussi. Depuis le covid, on a tous un(e) pote qui a investi une petite résidence secondaire en Bourgogne où s’est free-lancé(e) de Paris vers la côte Basque. L’exode urbain post-pandémique est un révélateur du désir de campagne, d’un mode de vie plus proche de la nature.
Décentralisation Girondine de l’aspiration. Vers un soft-power campagnard ?
Entre crises environnementales, identitaires, géopolitiques et la perspective d’un monde artificiel, nous vivons une période hautement existentielle. Le changement n’a pas eu lieu à l’échelle mondiale, il s’opère donc en local. C’est dans son micromonde que chacun concentre ses efforts pour se transcender, entre ralentissement et proximité. Alors la tentation d’un retour aux sources, à la projection de safeplace apaisés, où reprendre notre souffle, est forte dans ce contexte d'asphyxie généralisée. Un repli, positif, qui diminue le bruit d’un monde qui crie. Loin du boucan angoissant des grands ensembles, des grandes villes et de la grande Histoire. Remettons de la profondeur des champs dans nos films, pour faire respirer les gens. Plaçons le point focal de nos caméras sur des points d’ancrage local. Régénérons par la naturalité, ce qui ne peut pas être généré par IA. Un monde plus réel dans ce trop plein d’artificiel.
D’un point de vue pragmatique et intéressé, c’est aussi une bonne façon de regagner la confiance de nos publics cibles. Plus que jamais « brand skeptics », mais qui manifestent plus de croyance dans le local : le journal régional est le media dans lequel les Français ont le plus confiance à 63% (contre 42% pour CNews et 38% pour BFM-TV, bon dernier de la classe). Aussi, je crois qu’il est essentiel de ré-introduire les provinciaux dans la publicité, espèces en voie de disparition, dans leur état “naturel”. Plus d’inclusivité pour répondre à un besoin de représentativité. Mais aussi des nouveaux territoires visuels et champs (caméra), encore vierge, à exploiter… La campagne peut devenir #aesthetic et s'inscrire dans des microrécits, plus proches et ruraux, pour solidifier notre quête identitaire, de sens et de reconstituer le vœu pieux d’un marcrorécit collectif qui nous rassemble.
Si aujourd’hui nos influences oscillent entre américanisation, culture asiatique, en passant par celle du moyen-orient ; il est peut-être temps d’y intégrer des aspirations décarbonées. Une sorte de souverainisme culturel doux et décentralisé, qui pourrait dépolariser les deux persona antagonistes que sont les citadins et provinciaux… et les mener, enfin, à une forme de réconciliation.
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