une jeune garçon assi. à une table l'air sur de lui.

La série Adolescence est en train de créer une panique morale sur les jeunes garçons

© Adolescence via Netflix

En mettant en scène de manière immersive les angoisses liées au masculinisme et au monde des adolescents en ligne, la série de Netflix a déclenché une tempête médiatique et politique.

C’est la série qui anime les conversations de la machine à café et même les groupes WhatsApp de parents de collégiens. Diffusée depuis le 13 mars sur Netflix, la fiction britannique en 4 épisodes Adolescence a réussi l’exploit de devenir un phénomène culturel, au point de faire réagir le Premier ministre britannique Keir Starmer. Ce dernier a déclaré la semaine dernière devant la Chambre des communes qu’il avait vu la série en famille et que celle-ci décrivait « un problème croissant » dans son pays, à savoir la radicalisation masculiniste des jeunes garçons en ligne.

Jongler avec les angoisses

Pour réussir ce tour de force, Adolescence a su mettre en scène avec maestria des angoisses très contemporaines. Cette fiction nous fait suivre l’enquête et la préparation du procès d’un meurtre perpétré par un mineur de 13 ans. Comme le révèle une interview du scénariste Jack Thorne, qui a coécrit la série avec Stephen Graham, le point de départ d’Adolescence se situe dans une « épidémie » de meurtres d’adolescents au couteau qui secoue le Royaume-Uni depuis quelques années. Entre 2011 et 2024, le nombre d’infractions à l’arme blanche est passé de 36 000 à près de 51 000, soit une augmentation de 41 %, qui serait surtout liée à un affaiblissement des liens communautaires et à la montée du trafic de drogue.

L’autre point d’ancrage de la série, c’est la radicalisation en ligne des jeunes garçons par l’intermédiaire d’influenceurs misogynes comme Andrew Tate, qui est d’ailleurs subtilement cité dans le deuxième épisode de la série. Cet ancien kickboxeur reconverti en gourou de secte masculiniste est devenu extrêmement populaire à partir de 2022 en propageant sur TikTok des théories prisées par les incels. L’une de ces théories, découlant du principe de Pareto, est justement expliquée dans la série et postule que 80 % des femmes seraient attirées par seulement 20 % des hommes les plus séduisants.

De manière plus globale, le drame, et même l’horreur de la série, réside dans l’incompréhension des adultes face au monde et aux codes des adolescents en ligne. Adolescence met en scène deux mondes étanchement séparés qui ne savent plus se parler et qui, au fil des épisodes, se regardent en chiens de faïence. Le tout est sublimé par une mise en scène en plan-séquence aussi virtuose qu’étouffante, transformant n’importe quel spectateur en apnéiste le temps des quatre épisodes d’une heure.

Une cyberpanique morale

La série Adolescence semble toucher un point particulièrement sensible au Royaume-Uni. Outre le Premier ministre britannique, le footballeur et sélectionneur de l’équipe d’Angleterre, Sir Gareth Southgate, a lui aussi exprimé ses craintes concernant les jeunes garçons « manquant de modèle masculin » et se tournant vers des « influenceurs insensibles, manipulateurs et toxiques ». Dans les médias aussi, le sujet est très fortement discuté. L’émission BBC Breakfast a récemment diffusé un documentaire sur des ateliers tenus dans les collèges pour lutter contre la masculinité toxique tandis que The Guardian a multiplié ses éditoriaux pour pointer un doigt accusateur sur le smartphone et la culture en ligne, qualifiés de « poison » pour l’esprit des adolescents.

En toile de fond de cette petite tempête médiatique, on trouve le projet de loi porté par le député travailliste Josh MacAlister, qui visait à interdire les téléphones dans les écoles et à instaurer un âge de consentement numérique interdisant l’utilisation des réseaux sociaux jusqu’à 16 ans. Les débats entourant ce projet ont été ajournés jusqu’au mois de juillet prochain, tandis que certaines mesures fortes, comme cette fameuse interdiction dans les écoles, ont été retirées du texte.

Beaucoup de voix, notamment celle du scénariste de la série Jack Thorne, s’insurgent contre le détricotage de ce projet de loi et tentent de le remettre sur le devant de la scène. En interview, ce dernier qualifie les smartphones de « cigarettes » et explique qu’il interdit à ses enfants de les utiliser. À l’aune de ces propos, on comprend mieux les intentions d’Adolescence. Il ne s’agit peut-être pas d’un drame policier, mais bien d’une fiction horrifique qui alimente une cyberpanique morale.

Avant Tate

Si la surconsommation de smartphones par les adolescents et l’influence néfaste de gourous masculinistes comme Andrew Tate constituent un véritable problème, la tempête médiatique qui s’agite autour de la série prend des proportions inédites. La société et les politiques sont invités à privilégier des solutions simplistes (l’interdiction) à une problématique plus large et complexe que le masculinisme en ligne. On parle ici de la détérioration généralisée de la santé mentale des jeunes depuis les confinements de 2020, de la désintégration des tiers-lieux et des programmes de mentorat destinés aux adolescents au Royaume-Uni. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si un personnage comme Andrew Tate est apparu dans la période post-confinement, après un an d'isolement pour les jeunes. Plutôt que de s’attaquer à un problème social systémique, les médias et les politiques semblent vouloir effacer son symptôme le plus visible en appliquant une interdiction radicale des usages numériques et en traitant les jeunes garçons comme des monstres potentiels.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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commentaires

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  1. Avatar Barbier dit :

    Féminisme, masculinisme, entre les 2 il y a de la place…

  2. Avatar Alves dit :

    Enfin une conclusion intéressante sur cette série totalement insatisfaisante.
    Effleurer des problématiques réelles pour créer plus de psychoses, d'effets d'annonces et de postures . Bref tout ce que notre époque en sur quête de sensations fortes et de coupables faciles recherche.

  3. Avatar Smash dit :

    Le monde est beau :

    Feminisme toxique : circuler il y a rien a voir, tout est normal par ici
    vs
    Masculinisme : c'est toxique faut dénoncer, bloquer, arrêter, interdire

    Inclusivité : Tout est ok par ici, on va ranger tout le monde dans des boite minoritaire pour aller étouffer cette majorité
    vs
    Egalité : C'est pas assez inclusif, faut vite qu'on range tout le monde dans des boite et viser les majorité

  4. Avatar tomtom dit :

    "... le drame, et même l’horreur de la série, réside dans l’incompréhension des adultes face au monde et aux codes des adolescents en ligne."

    La phrase est effrayante... Comment nous, les adultes, pouvons-nous espérer solutionner le problème quand nous ne sommes pas en capacité d'en comprendre les fondements ?

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