Photo de la pièce Baldwin and Buckley at Cambridge

Le rêve américain, ce mythe increvable qui n’arrive pas à résoudre les tensions communautaires

© Christophe Raynaud De Lage / Festival d'Avignon

Présentée au Festival d’Avignon, la pièce Baldwin and Buckley at Cambridge, recrée un débat de 1965. L’écrivain James Baldwin et le journaliste William F. Buckley s’écharpent sur une question : le rêve américain existe-t-il vraiment ?

C’est l’histoire d’un voyage dans le temps. Angleterre, 1965. Le lieu est prestigieux : l’université de Cambridge, ses voûtes est ses élites britanniques. Pourtant, ce sont bien deux penseurs américains qui vont s’affronter au cours d’un débat resté légendaire outre-atlantique. À gauche, James Baldwin, écrivain et grand essayiste, notamment de la question raciale aux États-Unis. À droite, William F. Buckley, père du conservatisme américain, le Donald Trump de son époque. Incarné par quatre comédiens, le débat est recréé à l’identique pour la pièce et nous plonge 58 ans en arrière.

Deux hommes que tout oppose

La question qui réunit les deux hommes est simple : le rêve américain n’existe-t-il qu’aux dépens du Noir américain ? Un thème brûlant dans le milieu des années 1960. Le mouvement pour les droits civiques est en plein essor et commence, trop lentement, à mettre le gouvernement américain sous pression. L’année précédente, l’hôte de la Maison Blanche, Lyndon B. Johnson signe le Civil Rights Act, texte qui interdit toute discrimination raciale. Mais dans les faits, rien n’a changé : les Afro-Américains sont toujours tués par des policiers blancs, les discriminations à l’embauche continuent, les freins au droit de vote se poursuivent.

C’est dans ce contexte que se rencontrent Baldwin et Buckley, deux hommes que tout oppose. L’un est noir, né dans le Harlem des années 1930, violé et harcelé par deux policiers bancs alors qu’il n’avait que dix ans. L’autre grandit entre Paris, Londres et New York, a étudié à la prestigieuse université de Yale et parle couramment le français, l’anglais et l’espagnol. Baldwin est un écrivain mondialement reconnu pour son écriture ciselée, son combat pour l’âme de toute une communauté. Buckley, lui, a fondé la National Review, journal qui fait le lit du conservatisme américain encore aujourd’hui.

Buckley compare les Afro-Américains… aux nazis

Tout au long du débat, les arguments de Baldwin sont acérés comme des pics. « C’est un grand choc de découvrir, à 5, 6 ou 7 ans, que le drapeau auquel vous prêtez allégeance ne vous prête pas allégeance en retour ». Au cœur de son argumentaire, l’idée que la question de l’esclavage n’a jamais été réglée, que les États-Unis ont littéralement été construites par les Afro-Américains, sans qu’ils puissent jamais en profiter.

Au contraire, William Buckley, à l’aise dans son costume bien taillé, rivalise de racisme, de sophisme et de raisonnement fallacieux. Selon lui, ce sont bien les Afro-Américains qui empêchent l’accomplissement du rêve américain. Chiffres à l’appui, il explique à quel point leur situation n’est pas si dramatique qu’on le prétend, avant de finir par comparer la communauté afro-américaine aux nazis. Baldwin l’observe assis sur sa chaise, le regard consterné, mais sans bouger.

Le rêve américain, une vaste fumisterie ?

Plus qu’un voyage dans le temps, la pièce est un dialogue entre deux époques. Depuis 1965, 58 ans plus tard, qu’est ce qui a changé pour les Afro-Américains ? Pas grand-chose, à en croire Greig Sargeant, qui interprète le rôle de James Baldwin. « Ce qui se passait en 1965 se produit toujours aujourd’hui. Il faut poursuivre la conversation », estime-t-il. Les parallèles avec l’Amérique de 2023 sont effectivement saisissants – impossible de suivre ce débat sans penser à George Floyd, Breonna Taylor, Tyre Nichols et tous les autres Afro-Américains lynchés et tués par des policiers blancs.

Au centre, la question du rêve américain selon lequel, avec du travail, du courage et de la détermination, tout est possible au pays de l’Oncle Sam. Forgé dans la poussière du Texas, dans les grandes plaines du Colorado et dans les montagnes de Californie, ce rêve n’est-il qu’une vaste fumisterie ? Ce qui ressort des arguments de James Baldwin, il reste un mythe élaboré par un petit groupe d’hommes blancs, les fondateurs du pays, imprégnés d’idéalisme. Mais l’american dream se heurte au réel et demeure inaccessible au reste de la population.

commentaires

Participer à la conversation

Laisser un commentaire