« La Femme® n’existe pas » Vraiment ? Pas pour Réjane Sénac, Directrice de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po, qui livre son éclairage sur la pièce de Barbara Métais-Chastanier. Corrosive à souhait.
La femme® est un objet à usage unique ou répété. Il existe des versions plus résistantes, lavables, ou pouvant être rechargées, on les appelle « épouse ».
L’intérêt de l’usage unique est le moindre coût de production et la réactivation de la consommation. C’est un produit que l’on appelle « putain ».
On reste perplexe, face à tant de cynisme mais surtout en prenant conscience de la normalisation de certaines assignations qui ont encore la vie dure. On dit oui à la femme sexy, à celle qui l’ouvre, un peu moins facilement, nous fait-on ensuite comprendre. Sur la scène, un acteur se balade avec une pancarte sur laquelle est inscrit « Se taire ou mourir ». On prend alors conscience qu’il est difficile de s’extraire des carcans qui enferment, facile aussi de se résigner à y rester.
« Dire que la femme n’existe pas, c'est aussi dire que l’homme non plus »
« Du 18ème siècle de Marivaux au 20ème siècle des bikinis, au 21ème du Metoo, être une femme, c'est avoir à se positionner par rapport à une assignation à la complémentarité. On attend d’elles qu’elles remplissent certains rôles, certaines missions en lien avec leur prétendue vocation de mère. Elles ont à s'inscrire ou à se libérer d'une économie politique de l'hétéronormativité où leur authenticité, leur légitimité est associée au modèle de la bonne mère et de la bonne épouse. », explique Réjane Sénac.
Et c’est ce que nos deux banderoles, taguées à la bombe au fur et à mesure de la pièce, veulent nous faire comprendre. « Épouse » ou « putain », la femme® est un produit que peut s’approprier l’homme. « La pièce nous permet de comprendre qu'il s'agit d'une fiction politique injuste. Dire que la femme n’existe pas, c'est aussi dire que l’homme non plus. En discutant et déconstruisant les assignations faites aux femmes, la pièce déconstruit aussi celle faites aux hommes. Il y a une dimension existentialiste, l’idée qu’il faut faire advenir de nouveaux horizons d’émancipation, une nouvelle réalité légitime en se libérant des conceptions déterministes. », poursuit-elle.
Les écueils de l’émancipation
Et la pièce soulève évidemment son lot de questions, de paradoxes et de luttes intestines. D’un côté, Madame Sorbin exclut catégoriquement toute présence masculine amicale au sein de la révolution alors même que sa fille Lina est amoureuse de « l’ennemi », incarné par Persinet. De l’autre, la très noble Arthénice réclame le consensus.
MADAME SORBIN.
Les hommes n’en reviendront jamais je vous le dis.
Ils chieront leurs privilèges
et c’est avec leur fiente qu’on enterrera ce monde de papa qui étouffe tout le monde.
ARTHÉNICE.
Madame Sorbin
, vos images
Surveillez vos images.
Cette trivialité m’agresse
C’est ce qu’il faut je crois à tout prix éviter.
Voyons plus loin mes sœurs regardez s’avancer ce nouveau monde sous l’étendard de nos audaces.
Regardez-les
Olympe de Gouges, Louise Michel, Simone Veil, Angela Davis, Madonna
Oui Madonna, toutes prononçant à voix basse nos noms liés toutes diront elles n’ont pas fléchi elles ont résisté.
« Doit-on avoir des logiques de non-mixité dans les mouvements d'émancipation, féministe ou anti-raciste par exemple ? Quelle peut être la place de celles et ceux qui n'expérimentent la domination dans leur déconstruction ? À quelle condition peuvent-ils être des alliés ? Toujours dans cette exigence de cohérence, peut-on être dans une relation amoureuse avec un représentant des dominants sans être complice et victime d'un système de domination ? Comment penser et vivre une séduction qui ne soit pas une forme de soumission ? Peut-on être égaux, amoureux et libres ? », autant de questions que soulève la pièce et dont les réponses varient en fonction de chaque personnage, illustration résolument actuelle d’un pluralisme des féminismes.
« Ainsi, qu'il y ait des disputes sur le rapport au voile ou à la prostitution notamment, est pour moi un signe de vie et non de mort du féminisme… L’enjeu est que les féministes puissent se comprendre, voire s'associer, pour porter une égalité, une liberté de non-domination ».
OÙ VOIR LA PIÈCE ?
15 mars 2018, Mains d’Œuvres Saint-Ouen
26 au 29 mars 2018 Le Collectif 12 - Mantes-la-Jolie (tout public le 29/03)
30 et 31 mars 2018, Théâtre Louis Aragon - Tremblay-en-France
3 avril 2018, Théâtre Sorano - Toulouse
4 avril 2018, Théâtre Jules-Julien - Toulouse
5 avril 2018, Périscope - Nîmes
10 avril 2018, Scène nationale d’Albi
24 au 27 avril 2018, Comédie Poitou-Charentes (tout public le 26/04)
Voir mon livre : 101 FEMMES POUR FAIRE UN HOMME