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Le design, un allié pour une industrie plus compétitive ?

Avec Bpifrance
© Rahul Chakraborty

« C’est design ». L’expression est galvaudée, mais traduit l’un des grands malentendus autour d’une discipline souvent associée à tort, uniquement aux arts décoratifs. Mis au service de l’industrie, le design rime avec durabilité et performance économique. Éclairages avec Laura Daniel, responsable sectorielle Industrie chez Bpifrance.

« Dans l’industrie, le design reste encore un langage assez flou et peu parlé », déplore Laura Daniel, responsable sectorielle Industrie chez Bpifrance. Or, ce malentendu freine son intégration en tant que levier stratégique. En France, la discipline est vue comme un vilain petit canard un brin vaniteux, reléguée à des aspirations purement esthétiques. Pourtant, poursuit-elle, « ce n’est pas une jolie couche de peinture qu’on applique à la fin [d’un vaste chantier], mais des fondations qui peuvent créer et renforcer la valeur [d’un produit] ». Pour l’experte, par son observation des usages et des processus de fabrication, le design - qu’il soit appliqué au produit, à l’UX/UI ou la stratégie - peut optimiser l’utilité, la performance et la durabilité d’un produit ou d’un service. « C’est une discipline à part entière, à considérer au même titre que l’ingénierie ».

Mieux avec moins

En 2020, la loi AGEC met à l’agenda des industriels les principes de la circularité et de l’antigaspillage. Ces derniers se mettent alors en quête d’une meilleure durabilité de leurs produits, avec plusieurs mantras en arrière-boutique : « sortir du plastique jetable, favoriser le réemploi, agir contre l’obsolescence programmée et enfin, mieux produire », rappelle Geoffroy Hulot, directeur général de Deglace, lors d’une table ronde consacrée au design industriel. Le secteur est donc invité à repenser ses modèles de production et de consommation, diffusés auprès de la clientèle. 

Car l’enjeu est de taille en matière de consommation, l’heure n’est pas à l’économie. Un des exemples les plus frappants : le secteur de l’électroménager. Une étude du Gifam pointe une durée de vie de 10 ans en moyenne seulement. « L’électronique s’invite partout, même au cœur de produits traditionnellement réparables (comme le vélo, ndlr) ». Résultat : la numérisation des appareils les rend plus complexes et accroît donc le risque de pannes. 

Pour Laura Daniel, « le design représente une formidable opportunité de se réinventer. Car la démarche vise notamment à tenir compte des enjeux sociétaux et environnementaux. Par exemple, prenez Deglace qui a réfléchi à la réparabilité de ses produits ». L’enseigne propose ce qu’elle appelle de l’« électroménager régénératif ». Son premier produit commercialisé consiste en un aspirateur balai dont les pièces sont facilement remplaçables. Dans ce cas, « au-delà de répondre à un besoin, le design va plus loin et appréhende la fin de vie du produit. Il améliore l’expérience de l’usager », analyse l’experte. Une démarche particulièrement pertinente dans un contexte de raréfaction des matériaux.

Une autre entreprise française, Thuasne, illustre bien l’utilisation du design à des fins d’optimisation de la fabrication. Le fournisseur d’équipements médicaux a repensé sa stratégie en 2020 en ayant recours au “design for manufacturing”. Cette technique consiste à améliorer la conception des produits en interrogeant à la fois l’utilisation finale et le processus de fabrication. « Cet exemple est fort car l’observance des patients dans le cadre de l’usage de dispositifs médicaux est importante. Et cet exemple montre qu’ici le design est une démarche appliquée sur une bonne partie du cycle de vie de l’objet ». Le résultat ? Une économie des gestes des opérateurs en usine, mais aussi une économie de matériaux. Les produits sont également mis sur le marché plus rapidement. « On fait bien mieux avec beaucoup moins », résume Marie Gérard, manager design de Thuasne (lors de la table ronde organisée à l’occasion de la dernière édition de BIG). 

La finalité au bout du crayon

Le « mieux » influe aussi sur l’expérience utilisateur/patient, poursuit-elle. « Je dis souvent que [en tant que designer dans la santé, ndlr] j’ai la douleur au bout du crayon. Le patient qui souffre, se fiche de la beauté de sa chevillère ou de sa ceinture lombaire. Il souhaite avant tout être soigné ». Les dispositifs médicaux peuvent être contraignants à porter. La designer de Thuasne veille donc à favoriser l’observance du client patient (le respect du traitement prescrit) en concevant des équipements les plus agréables à porter possible. Un design qui place la finalité comme cap. « C’est tout l’intérêt du design qui en sondant les besoins des utilisateurs, répond de manière pertinente aux enjeux du secteur interrogé », étaye Laura Daniel.

Plus pragmatique, mais tout aussi concentrée sur la finalité – cette fois, économique : l’approche du design to cost. Elle renverse la logique de développement d’un produit. « Il est conçu selon les contraintes de marché », explique Laura Daniel. Autrement dit, la cible économique est définie dès le début. « Le design industriel peut aussi viser un objectif de performance économique. Il s’attache à créer un maximum de valeur avec un euro investi tout en pensant au plus grand nombre d’utilisateurs », commente Philippe Vahé, expert en design industriel

L’exemple de Carrefour est parlant. Pour ses emballages réutilisables, l’enseigne, pour laquelle Philippe Vahé a été directeur design, a imaginé des emballages réutilisables en inox à des prix accessibles, sans allergènes et micro-ondables, fabriqués en France. « Le designer industriel a rempli son rôle : il est entré dans les moindres détails de la fabrication en pensant coût, usages et utilisateurs ».

Durabilité, rentabilité et expérience utilisateur… Sur le papier, le design répond à bien des enjeux qui agitent la filière industrielle. Pourtant, il peine encore à s’imposer dans les directions : en France, le développement de produits reste majoritairement confié aux départements marketing et R&D.

Mais les mentalités évoluent. De plus en plus d’industries intègrent des designers dès la phase de conception, et des succès comme ceux observés dans la santé ou le retail illustrent ce virage.  

« Le design a un vrai pouvoir, soupire Laura Daniel. On le remarque chez Bpifrance, il a un rôle à jouer dans l’attraction des talents vers l’industrie. Il devrait être intégré à la discussion. »


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