Couverture du Livre Fragile/s de

La science-fiction pourrait-elle inventer des futurs rieurs ?

© couverture du livre Fragile/s de Nicolas Martin

Elle a beaucoup imaginé le pire. Mais pourrait-elle servir d’autres causes ? On a demandé à l’auteur Nicolas Martin.

Il a officié pendant plusieurs années sur les ondes de France Culture en tant qu’animateur de l’émission La Méthode scientifique. On le connaît donc pour ses talents de formidable vulgarisateur des sciences. On le découvre romancier doté d’un talent fou pour le cliffhanger de fin de chapitre. Avec Fragile/s, Nicolas Martin oscille entre thriller psychologique et roman d’anticipation. En créant un monde sous le joug d’un pouvoir totalitaire, prêt à tout pour contrôler les esprits, les corps et les naissances, il dépeint une société muselée par la technologie et des outils numériques de plus en plus intrusifs. Éclairer le présent, peindre l’avenir, animer nos prises de conscience ou nous donner envie d’un futur meilleur… La science-fiction a-t-elle une mission ?

Chute de la fertilité, lois immigration, restriction de l’avortement, extrême droite au pouvoir… En lisant Fragile/s, on voit moins l’anticipation que la résonnance avec notre présent. C’était l’idée ?

Nicolas Martin : Fragile/s raconte beaucoup mon angoisse personnelle en tant que citoyen de vivre dans un monde qui bascule à l’extrême droite. Dans le roman, ce basculement survient, non pas par un coup d’État, mais de manière presque insensible. Ce livre est une illustration de la fable de la grenouille dans la casserole. Si on porte une casserole d’eau à ébullition, la grenouille sautera hors du récipient. Si on la met dans de l’eau froide et qu’on monte petit à petit le feu, elle mourra. J’ai pu militer à certains moments et moins le faire, perché dans un confort bourgeois. Le livre raconte cette anxiété-là et pose la question de comment on résiste.

Vous utilisez le terme de techno-cocon, cher à l’auteur de SF, Alain Damasio, et au journaliste Vincent Coquebert qui raconte aussi – dans nos colonnes et dans ses livres – la perte du goût des autres par l’anesthésie technologique…

N. M : L’extrême droite a gagné la bataille culturelle aux États-Unis comme en Europe, portée par les outils du capitalisme numérique qui permettent d’enfumer toute une frange de la population. Pour autant, assumer qu’on a perdu ne signifie pas qu’il faut baisser les bras. On ne peut simplement plus lutter avec les armes de l’humanisme. Elles ont été détruites, détricotées. Pour ne parler que de la France, d’un côté, il y a une proposition qui consiste à revenir à un système égalitaire, respectueux avec des services publics forts et de l’autre, un programme inexistant qui se résume à virer autrui. Il y a un problème de circulation de l’information, d’éducation et d’enfumage. Et le numérique y participe beaucoup. Les Elon Musk, Mark Zuckerberg ou Jeff Bezos n’ont pas pour ambition de défendre une société moins gourmande en ressources, plus égalitaire. Ils ont les outils technologiques et financiers. Ils, mais ne le font pas.

Aujourd’hui, quelle peut être la place de la SF ?

N. M : La science-fiction a toujours joué un rôle d’alerte et de vigie. [Avec Fragile/s] je suis content de l’impact qu’a le roman. On a pu le sortir en rentrée littéraire générale et j’ai rencontré beaucoup de lecteurs et de lectrices qui m’ont expliqué n’avoir jamais lu de science-fiction. On a une image biaisée de la SF et plus largement, des littératures de l’imaginaire comme d’histoires de vaisseaux spatiaux, d’extraterrestres ou de fantasy peuplées d’elfes, de princesses et de magiciens. Mais ce sont des littératures beaucoup plus souples qui prennent la société actuelle pour changer les paramètres et pousser les curseurs. Dans ce débat qui interroge la place de ces littératures face à la littérature dite blanche, je fais partie de ceux qui pensent que l’imaginaire gagne de manière insidieuse la bataille. On est un peu comme un bateau pirate qui s’avance dans la brume la nuit et s’approche petit à petit de la grève… De plus en plus d’auteurs de littérature de l’imaginaire sont publiés dans les maisons d’édition de la littérature blanche – Catherine Dufour au Seuil, Hervé Le Tellier, Pierre Lemaître… Boualem Sansal a publié 2046 chez Gallimard. La raison ? Ces littératures présentent une palette d’outils assez inépuisable pour décrire et parler du réel. Cet effacement entre littérature générale et littératures de l’imaginaire est progressif.

Vous faites partie du comité éditorial du festival international des littératures de l’imaginaire, les Utopiales. L’une des idées fortes de la précédente édition était la quête d’harmonie. Pourquoi ?

N.M : Dans ce milieu, on blague souvent sur le fait que le rayon dystopie a changé son nom par celui d’ « actualités ». Cela pose la question de savoir si on aurait-on tant d’histoires à raconter si tout allait bien ? En fait, oui ! Depuis quelques années, en France et ailleurs, des auteurs – surtout autrices – Ada Palmer, Becky Chambers, Ketty Steward ou Sabrina Calvo, sortent de la dystopie et écrivent une science-fiction qui dessine des futurs désirables. Elles réfléchissent à de nouvelles formes d’organisations sociales, économique ou politiques. C’est une boîte à outils extrêmement précieuse, dont les dirigeantes et dirigeantes politiques feraient bien de se saisir pour avoir des idées et nourrir leurs programmes.

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
commentaires

Participer à la conversation

  1. Avatar Pierre dit :

    Face à des vecteurs de communication numériques où l'ignore presque tout sur la qualité de l'information fournie, elle-même noyée dans un océan de conditions inconnues, il est normal que l'on se réfugie dans un monde plus stable plus à droite, sous entendu: "je sais ce qu'il faut faire et vais vous protéger". On laisse le flan à un monde plus autoritaire qui n'empêchera pas les fakesnews et qui risque de nous couper de toute information et d'accorder des privilèges à certains sans aucun contrôle ni contre-partie. La destruction de la démocratie est alors en marche. Si j'en crois le dernier livre de Y. N. HARRARI, Nexus, il faut renforcer l'administration de la démocratie en lui assignant 3 principes: la bienveillance, la décentralisation (ne pas mettre tous ces oeufs dans le même panier) et la réciprocité qui nous indique ce que l'on mal fait tout en nous surveillant. C'est évidemment la bienveillance qui est à règlementer et coder, d'abord sur les réseaux sociaux mais aussi dans nos voitures autonomes et nos robots.

Laisser un commentaire