
Entre drill nocturne, trap luxueuse et gospel revisité, le monde du rap chrétien se réveille et forme une nouvelle scène ultradynamique qui se structure.
« Quand je suis faible je deviens fort, Il détient de la vie et de la mort, il se suffit pas besoin de renfort. » Au premier abord, c’est un clip de rap comme les autres. De la drill, un genre de hip-hop aux codes violents né à Chicago au début des années 2010 puis importé à Londres sur fond de guerre des gangs. Son esthétique : la nuit, les cagoules, un environnement urbain hostile. Mais ici, les paroles ne valorisent pas la rivalité des quartiers. C’est de la drill, oui, mais à la gloire de Dieu.
Jésus aurait-il fait de la trap ?
« Cette esthétique peut freiner beaucoup de gens, et pourtant ça a tout à voir avec le christianisme, analyse Aurélien, aka @mynameisaurelien, youtubeur spécialisé dans le rap chrétien, auteur du livre Culture Gospel, le guide de la musique chrétienne francophone. Dans la Bible, Jésus venait de Nazareth, une ville miteuse qu’on pourrait comparer aujourd’hui à un quartier. Les chrétiens étaient les gens à contre-courant, qu’on aimait détester. » Et de poursuivre : « Il y a beaucoup de rappeurs qui viennent des quartiers. Ils s’adressent aux gens issus du même milieu et respectent certains codes, mais ne font l’apologie ni de la drogue ni de la violence. » En France, le premier artiste à avoir composé du rap chrétien avec cette esthétique urbaine, c’est Deeboy, dealer repenti, nous dit le youtubeur. Il le lui a raconté au micro : « Je chante pour ceux qui, comme moi, ont grandi dans la rue, qui ont été rejetés. Si un mec comme moi peut changer, tout le monde peut changer. »
D’autres s’inscrivent dans le même courant. Kossi, originaire de Villetaneuse, en Seine-Saint-Denis, chante sa foi depuis sa rencontre avec Jésus en 2000. Sur des sonorités trap, vêtements sombres, il chante les marques de luxe, les grosses cylindrées, le PSG. Mais chez lui, le GOAT (greatest of all time), c’est Dieu, et il l’aide à rester droit. Le rappeur franco-britannique Passa88 quant à lui fait claquer son accent londonien, diamant aux dents, s’érige aussi en serviteur de Dieu. Sonxfgod veut aussi incarner « l’authenticité et la profondeur spirituelle » pour toucher les cœurs. Il sert un rap aux saveurs RnB où il chante l’affirmation de soi et la confiance en Dieu. Dans les commentaires, des auditeurs dithyrambiques, ravis que la musique gospel leur fournisse la même adrénaline que le rap mainstream, tout en prônant la rédemption, l’humilité et la fidélité à la parole du Seigneur.
Musique chrétienne versus mondaine
Ce gospel aux codes résolument contemporains se développe comme une alternative à la « musique mondaine », que certains croyants, notamment sur TikTok, veulent éviter pour ne pas en subir les influences néfastes. « Dans le milieu chrétien, le terme "mondain" définit quelque chose qui relève du monde profane, détaille Aurélien. Être mondain, c’est un comportement – tricher, mentir, voler, faire les choses par intérêt, comme un dîner mondain, par exemple. » Et sur le TikTok chrétien, les influenceurs produisent leurs propres tops et font émerger les tubes de la communauté.
Dans sa pratique, Aurélien reconnaît que lui aussi préfère la musique qui prône les valeurs vers lesquelles il tend. « Je n’écouterai jamais Booba et je ne veux pas que mes enfants écoutent. Il est grossier et perpétue une mauvaise image de la femme dans ses clips. »
Planet Rap et Accor Arena
Le rap chrétien serait-il un outil de prosélytisme ? « Le gospel, ce n’est pas juste de la musique, reconnaissait David Okit, gros bonnet de cette scèn aux Shine Gospel Awards, sorte de Victoires de la musique gospel. C’est un moyen puissant que le Seigneur utilise pour se glorifier à travers nos voix, même à travers le rap. […] » Lui a débuté en 2018 parmi la nouvelle génération de rappeurs désormais en haut des charts. Cette année-là, il participe à un Planète Rap sur Skyrock avec Bigflo et Oli. L’an dernier, il revenait sur l’antenne en nouvel homme. « Quel honneur de rapper gospel sur Skyrock », dit-il au micro. Désormais producteur, Okit a lancé son label Fast Food Music Christ, permettant ainsi à de nombreux artistes de la scène chrétienne de se faire une place : Gaillard Jules, M-Kay, Cheza…
Sous les radars, ce style se développe. Le Zénith a été sollicité quatre fois en un an et demi, rapporte Aurélien. Le chanteur d’origine congolaise NK Divine, et ses ballades pop et romantiques, soul et afrobeat, s’est produit à l’Accor Arena de Bercy driveen juillet 2025. Parmi les artistes les plus suivis, KS Bloom, chanteur ivoirien, « passé de l'ombre à la lumière, racheté par JÉSUS pour faire de toutes les nations des disciples par la musique et les témoignages », génère plusieurs millions de vues, comme Dena Mwana, autrice-compositrice-interprète de musique gospel évangélique congolaise aux 917 000 d’abonnés. « L’Afrique a une grande influence, souligne Aurélien. La République démocratique du Congo, avec ses 105 millions d’habitants, a une très forte culture chrétienne. De nombreux artistes congolais ou de la diaspora écoutaient de la musique chrétienne à la maison quand ils étaient jeunes. Maître Gims, Dadju ou Tiakola, tous congolais d’origine, ont grandi avec ça et le disent. » Sur YouTube, Aurélien est suivi par un public du continent africain – Congo-Kinshasa, Côte d’Ivoire, Gabon et Congo-Brazzaville. Seulement 28 % de son audience vient de France.
Un véritable écosystème
Le rap chrétien et la musique gospel contemporaine s'inscrivent dans un écosystème foisonnant. Ils ont leurs propres plateformes de streaming comme TopMusic, leurs propres Victoires de la musique avec les Shine Gospel Awards, et leurs propres médias, comme la chaîne YouTube d’Aurélien, mais aussi Iconic Gospel, média 100 % chrétien sur Instagram, ou Gospel Urbain, sorte de Grünt chrétien avec sa radio, ses sessions live sur YouTube et ses podcasts filmés. « Il y a plus de professionnalisme dans la production, l’industrie s’est structurée, les artistes sont moins seuls et ont davantage de moyens. Et pourtant, ça reste sous les radars », s’étonne Aurélien. Comme le hip-hop en son temps… jusqu’à devenir la nouvelle pop ?






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