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Design : « La technologie ne doit pas être un substitut de la créativité »

Créatifs, designers, graphistes, développeurs, penseurs… les meilleurs pointures du design et de la culture « post-numérique » se sont retrouvés à Milan à l'occasion des Digital Design Days 2018.

Du 16 au 18 mars, Milan troquait la mode pour le design et accueillait la crème de la crème de la création numérique.

Environ 2 000 personnes et près de 50 nationalités se sont réunies pour écouter et espérer rencontrer les personnalités (une trentaine de speakers au total) qui forgent les contenus et interfaces que nous consommons au quotidien. En bref, ceux qui font des nouveaux médias leur principal medium d’expression. Dans un complexe industriel de 9 000 mètres carrés, à la croisée de la culture analogique et de la tech, entre food trucks et tables en bois rudimentaires, se côtoyaient des installations numériques en tous genres.

Sur la scène, on accueillait les « créatifs de l’ombre », ces expérimentateurs du numérique dont le métier, protéiforme, semble le plus souvent indéfinissable. Artistes numériques, programmeurs, illustrateurs, réalisateurs, graphistes, motion designers, agences new media, creative labs… Une seule casquette ne suffit plus puisque les compétences se multiplient au même rythme que les outils eux-mêmes. Pour autant, tous s’accordent à dire que la créativité doit précéder l’outil, et non pas l’inverse. Un propos qui revient fréquemment trois jours durant.

« Technology is not an excuse »

« On a tendance à devenir paresseux… », regrette le designer graphique David Carson, l’un des speakers les plus attendus de l’évènement.

Hilare en arrivant sur scène, hilare en sortant, l’homme décrit son parcours avec autant d’humour que de nonchalance. Connu pour son style grunge et ses typographies expérimentales, l’ancien directeur artistique du magazine Ray Gun est considéré comme une légende du graphisme (et du surf, accessoirement). Et s’il ne conchie pas Photoshop, il regrette toutefois l’époque où rien n’était parfait, où tout n’était pas aussi millimétré et où l’audace nourrissait l’imaginaire des designers.

D’ailleurs, lui s’est toujours tout permis. Dans un numéro de Ray Gun datant de 1994, l’homme tombe sur une interview molle et ennuyeuse de l’artiste Bryan Ferry. Il décide de réécrire l’intégralité du texte avec la police Dingbat, une typographie qui ne contient pas de lettres mais uniquement des symboles.

Expérimenter, prendre des risques et surtout, penser avant la machine, trois éléments qu'il juge aujourd’hui plus qu'essentiels.

Idem pour le réalisateur multi-primé et expert en technologies immersives de l'agence Unit 9, Anrick Bregman. Auteur de plusieurs expériences interactives et notamment du film en réalité virtuelle « The Party », l’homme insiste sur l’importance de l’instinct et d’un ancrage dans le réel. « La plupart des enjeux auxquels je suis confronté relèvent du sens commun et non pas de problèmes techniques. Donnez-vous le temps de réfléchir, soyez prêts à réapprendre et à oublier ce que vous avez appris. La technologie ne doit pas être un substitut de la créativité », rappelle-t-il au public.
The Party: a virtual experience of autism – 360 film
Réalisé pour The Guardian, « The Party », plonge l’utilisateur dans la perspective d’une adolescente autiste et recrée les sensations et symptômes du trouble au travers de différents effets.

« La vue qui se trouble, l’incapacité d’entendre clairement ce qui leur est dit, le sentiment de malaise, la vision qui se distord, la lumière qui s’intensifie, les couleurs qui changent… Nous avons passé plus de 20 heures avec des enfants autistes pour tenter de comprendre ce qu’ils ressentent, en particulier lorsqu’ils traversent une période de crise », explique-t-il sur scène. Car rien n’est jamais aussi immersif que ce que l’on emprunte à la vie réelle.

« We shape our tools and, thereafter, our tools shape us » - John Culkin

Au carrefour de la narration et de l’expérimentation technologique, l’agence japonaise PARTY créée par Masashi Kawamura rappelle qu'il faut remettre de l’humanité derrière tous nos outils. Son fondateur fait référence aux formes d’art les plus rudimentaires et évoque les grottes de Lascaux pour illustrer la façon dont l’Homme a toujours cherché à transmettre.

« Nous avons commencé à peindre avec les doigts, avant de comprendre qu’un bâton pourrait nous permettre d’accentuer certains détails et d’être plus précis. Puis nous avons découvert que le pinceau pouvait aussi donner plus d’épaisseur à un trait… ce que je dis est absolument faux historiquement, mais fondamentalement vrai empiriquement. Aujourd’hui nous avons la possibilité de créer ces outils beaucoup plus rapidement et facilement, et ce sont ces outils qui contribuent à forger ce que nous sommes », affirme-t-il.

Parmi les « outils notoires » déployés par PARTY, l’Alma Music Box, un tourne disque capable de traduire les données d’une étoile mourante à 950 années lumières de notre planète... en musique.

ALMA MUSIC BOX
Pensée pour promouvoir un radiotélescope de pointe (L'ALMA) exploité par une vingtaine de pays, l'idée a du génie. Faire chanter les étoiles, il fallait y penser... Et maintenant que c'est fait, la suite, c'est quoi ?
De l'audace, des expérimentations et un soupçon de poésie... voilà ce que nous retenons déjà de ces trois jours de salon. La suite à venir prochainement !


Cet article fait partie d'une série dédiée aux Digital Design Days 2018 de Milan. 

Margaux Dussert

Diplômée en marketing et publicité à l’ISCOM après une Hypokhâgne, Margaux Dussert a rejoint L’ADN en 2017. Elle est en charge des sujets liés à la culture et la créativité.
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