Un écrivain devant une machine à écrire mi rétro, mi futuriste

Drama chez les écrivains : écrire avec une IA permet-il de lutter contre les privilèges de classe ?

© FB via Ideogram

L’association NaNoWriMo déclenche les foudres des internautes. En cause, une déclaration corrosive : condamner l’usage de l’IA chez les auteurs serait « classiste et validiste ».

Ça a volé dans les plumes chez les écrivains connectés. Début septembre, les organisateurs de NaNoWriMo, une organisation qui propose chaque année aux participants l’écriture d’un roman en moins d’un mois, ont partagé sur leur blog un commentaire innocent. Ou tout du moins le pensaient-ils. La monumentale shitstorm qui a secoué forums et salles de chat relance les débats vitriolés autour de la place de l’intelligence artificielle générative dans la création.

Drama chez les écrivains 2.0

À la fin des années 90, NaNoWriMo était un défi annuel. Il consistait à inviter ses participants à écrire en novembre un manuscrit de 50 000 mots. En 2005, NaNoWriMo s’est mué en organisation à but non lucratif qui accepte des dons et mène des campagnes de collecte de fonds. Dans un post intitulé « Quelle est la position de NaNoWriMo sur l'Intelligence Artificielle (IA) ?  », l’équipe avance que « la condamnation catégorique de l'intelligence artificielle a des sous tons classistes et validistes, et que les questions autour de l'utilisation de l'IA sont liées à la question des privilèges (…). Tous les cerveaux n’ont pas les mêmes capacités et tous les écrivains ne fonctionnent pas au même niveau d’éducation ou de maîtrise de la langue dans laquelle ils écrivent. » Dans ce post aujourd’hui édité et nuancé, l’organisation précise : « NaNoWriMo ne soutient ni ne condamne explicitement aucune approche de l'écriture, y compris l'utilisation d'outils qui exploitent l'IA. »

Quelques heures plus tard, les commentaires outrés fusaient. Sur TikTok, les critiques défilent sous les #booktokdrama, #authortok et #nanowrimo. Sur le subreddit dédié à NaNoWriMo, un internaute s’insurge : « L’écriture n’est pas censée être facile, ni recourir à des solutions de facilité. Autoriser le recours à l’IA nuit aux auteurs ayant travaillé des jours, des mois, des années pour trouver leur propre style. Je n'utiliserai plus jamais ce service. » Et à l’instar de Maureen Johnson et Daniel José Older, de nombreux auteurs ont annoncé leur démission du Comité des Écrivains de l’organisation. D’après Wired, Ellipsus, l’un des sponsors de l’organisation, a aussi officiellement retiré son parrainage.

Dis, ChatGPT ? Un assistant personnel, comme au bureau

Une méfiance loin d’être partagée par tous. Sur Reddit, un participant novice confesse : « J'ai utilisé ChatGPT pour trouver des idées. Il résume généralement ce que je viens de lui dire, tente de décrire les implications plus larges sur le récit (…) et suggère d’autres façons de développer l'idée. » De son côté, l’auteur et journaliste Valentin Pringuay a déjà écrit une dizaine de romans, dont 4 publiés. Régulièrement, il sollicite la version gratuite de ChatGPT. « Je l’utilise principalement comme un assistant de recherche qui me fournit plus rapidement que Google les éléments dont j’ai besoin pour nourrir l’histoire. Exemple : quelle était la phase de la Lune lors de l’alunissage de 1969 ? Difficile de trouver la réponse en fouinant en ligne, alors que ChatGPT m’a répondu en 3 secondes. Ça permet de ne pas interrompre le rythme d’écriture », explique-t-il. Le trentenaire utilise aussi parfois l’outil d’OpenAI pour trouver des synonymes ou reformuler certaines phrases.

Mais pas de doutes à ses yeux : l’IA ne remplacera pas les auteurs, même si, sur le principe, l’idée ne lui semble pas gênante. « Ce qui prime pour moi est le plaisir que retirent les lecteurs. Si un jour une IA est capable de proposer un récit qu’apprécient les amateurs de littérature, très bien. Mais c’est encore loin d’être le cas. Par curiosité, j’ai donné à ChatGPT un début de roman en lui demandant de trouver une suite. Il n’y avait ni plot twist, ni surprise… Personne n’a envie de lire une histoire pensée pour être la plus prévisible ou logique possible. »

Écrivains vs IA

Si de nombreux internautes admettent que l’écriture découle des privilèges sociaux, ils dénoncent aussi l’exploitation gratuite et impérieuse du travail des auteurs et romanciers par les outils misant sur l’IA. En 2023, un groupe d'écrivains incluant Jonathan Franzen, John Grisham, George R.R. Martin et Jodi Picoult, ont poursuivi collectivement OpenAI, affirmant que ChatGPT copiait leurs œuvres sans autorisation. Le mois dernier, un groupe de huit médias américains a intenté une action en justice devant un tribunal fédéral, affirmant qu'OpenAI, déjà poursuivi par le New York Times et le groupe Condé Nast, avait « volé des millions » d'articles de presse protégés par le droit d'auteur, sans autorisation ni compensation financière.

Un scandale attisé par le fait que NaNoWriMo aurait accepté cette année un nouveau sponsor, ProWritingAid, un outil utilisant l’IA. Dans un post Substack, la spécialiste de la tech et autrice Alma Katsu estime la position de NaNoWriMo vis-à-vis de l’usage de l’IA suspecte. « J’ai déjà vu les entreprises tech se regrouper pour (…) lancer des machines de propagande. (…) Quand elles achètent des alliés, elles achètent également leur silence ou leur coopération dans des campagnes de propagande conçues pour brouiller la conversation et détourner les critiques. »

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commentaires

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  1. Avatar Annick NAY dit :

    Deux choses: il y a le travail de l'écriture .Je cite Joyce Carol Oates "c'est la transcription des émotions , non celle des faits qui intéressent l'écrivain" On dit que l'I.A. n'a pas d'émotion Alors comment l'I.A. pourrait elle remplacer le travail de l'écrivain ?
    Et le 2e point beaucoup plus problématique, c'est le plagiat, incontrôlé et incontrôlable actuellement , je dirai même sournois. Et là nous sommes assez démunis .

  2. Avatar Pierre dit :

    Si la polémique autour des "privilèges de classe "est risible et franchouillarde, en revanche la question "qu'est-ce que l'écriture au temps de l'IA" a du sens.

    Il faut lire le livre Neuromancien (Neuromancer) de William Gibson - écrit sans ChatGpt ! - pour percevoir cette problématique dans le monde de la création et de l'Art.

    Quant au fait qu'une IA se nourrit de textes humains préexistants… bof, c'est aussi le cas des écrivains humains, sans aller jusqu'au plagiat, et dans le futur les IA vont surtout se nourrir de textes écrits… par des IA !

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