Drew Barrymore et Et dans le film du même nom

« Avec un extraterrestre, il faut envisager toutes les formes de communication possibles »

© FB via Ideogram

Si nous rencontrions des extraterrestres, trouver un moyen de communiquer serait notre premier défi. Spécialiste de langues imaginaires, Frédéric Landragin donne quelques conseils dans son récent Guide de communication interstellaire (UGA éd., 2024).

Comment pourrions-nous discuter avec d'éventuels vivants extraterrestres ? La question est amusante, mais elle est surtout plus riche qu'elle n'y paraît. Elle nous pousse à penser comment on communique entre humains, mais aussi avec d'autres espèces terrestres. Et si un jour nous pouvions dialoguer avec une baleine, une abeille ou un épi de maïs... Qu'auraient-ils à nous dire ? Qu'est-ce que cela changerait de notre connaissance du monde ? Autant de questions que Frédéric Landragin, directeur de recherche au CNRS en linguistique et traitement automatique du langage (TAL), au laboratoire Lattice, nous permet d'ouvrir.

Imaginons que des extraterrestres atterrissent sur Terre : comment pourrions-nous communiquer avec eux ?

Frédéric Landragin : La première chose à faire est d’envisager toutes les formes de communication possibles : par la voix bien sûr, mais aussi par l’écrit, par la musique, par des vibrations, des odeurs, voire des couleurs qui se succèdent rapidement sur la peau. Tout dépend de la forme de vie qu’on aurait face à nous. Une méthode à première vue universelle consiste à combiner un geste de désignation avec un message. Le geste sert à indiquer un objet, que ce soit soi-même, la chaise sur laquelle on est assis, voire le sol ou le vaisseau spatial visible à côté. Le message, qui n’aurait pas grand sens tout seul, permet de nommer l’objet et ainsi de s’entendre sur un premier élément de communication. Néanmoins, même dans ce cas de figure relativement simple, les prérequis restent nombreux.

Qu’est-ce qu’il y a de compliqué si je leur montre une table en disant « table », par exemple ?

F. L. : Déjà, il faut que votre interlocuteur perçoive ce geste et l’interprète bien comme une désignation. Être doté d’une vision peut alors s’avérer utile, mais pas seulement ; il faudrait aussi que l’extraterrestre comprenne que le geste indique une direction où regarder. Si celui-ci se contente de regarder votre index, comme pourrait le faire un chien ou un chat, c’est raté ! Mieux, vous devez pouvoir vérifier que l’extraterrestre est bien attentif et vous regarde en vous écoutant. Deux humains qui dialoguent peuvent à tout moment voir où se porte le regard de l’autre. Mais c’est déjà plus difficile entre un humain et une baleine, alors imaginez si votre extraterrestre ressemble à une baleine ou au xénomorphe sans yeux du film Alien (Ridley Scott, 1979). Enfin, pour échanger, il faudrait que l’extraterrestre fasse lui aussi des gestes de désignation, c’est-à-dire se comporte un peu comme nous. C’est le cas des heptapodes du film Premier Contact (Denis Villeneuve, 2016), ce qui permet aux humains d’apprendre leur langue en même temps qu’ils apprennent l’anglais. Cependant, rien ne garantit que nos extraterrestres leur ressembleraient.

Autrement dit, on ne serait pas près d’avoir de grands débats philosophiques avec eux…

F. L. : Cela ne pourrait se faire qu’après l’apprentissage d’un grand nombre de termes pour les objets et les actions concrètes, de manière à maximiser les chances de bien se faire comprendre. La meilleure façon de décrire une idée abstraite consiste en effet à l’ancrer sur des objets concrets, voire des cas d’étude. Pour expliquer « l’égalité sociale » à un extraterrestre, il serait sans doute vain de lui lire directement la Déclaration universelle des droits de l’homme. On aurait plutôt intérêt à procéder par étapes, en expliquant ce qu’est l’égalité mathématique, ce qu’est un individu, puis ce qu’est la société, etc. Pour ne pas introduire d’ambiguïté, il se peut que la procédure soit longue. C’est inévitable et, après tout, c’est déjà le cas avec des humains : on a tendance à oublier nos longues années d’apprentissage du langage, sur lesquelles se reposent pourtant toutes nos capacités d’échange et d’argumentation.

Dans votre livre, vous vous attardez sur les mathématiques : en quoi pourraient-elles être plus adaptées que le langage pour commencer à communiquer ?

F. L. : Les principes théoriques du calcul paraissent plus universels. Nous repérons facilement, entre deux tas de pommes ou de poires, lequel en contient le plus, ce qui nous permet de mieux survivre si l’on est obligé de choisir. Si un oiseau voit deux photographes animaliers rentrer dans un affût, puis un seul photographe sortir, il sait qu’il en reste un et ne prendra pas le risque de s’approcher. Le comptage, même sans avoir recours à une théorie mathématique, semble être un bon candidat pour un message à vocation universelle. Certains des messages envoyés dans l’espace à l’intention d’éventuels extraterrestres – via le radiotélescope d’Arecibo dans les années 1970, mais aussi les Cosmic Calls entre 1999 et 2003 – débutent d’ailleurs avec la présentation des nombres et du principe de comptage. Ils enchaînent ensuite avec des nombres premiers. Pour comprendre ce que ceux-ci représentent, il faut avoir assimilé la division mathématique et la décomposition d’un nombre entier en facteurs premiers. C’est déjà plus complexe, et a priori hors de portée des animaux terrestres.

Mais du coup, rien ne garantit que ça soit compris par des extraterrestres, non ?

F. L. : Effectivement, sans possibilité de tester ces modèles, autrement dit d’avoir réellement un premier contact avec de telles civilisations, on ne peut que suivre plus ou moins la voie que l’on connaît : celle qui correspond à notre propre façon de penser et de raisonner, même si cela relève d’un certain anthropocentrisme. L’approche mathématique serait en outre utile au départ mais rapidement insuffisante. On ne peut pas échanger des propos sur la vie, le voyage dans l’espace ou l’existence d’une éventuelle société intergalactique de cette façon. En revanche, combiner mathématiques, physique, chimie et actions de nommage en lien avec des gestes de désignation apporte un certain pouvoir expressif. Cela pourrait autoriser un début de communication.

Vous rappelez que des messages bien réels ont été envoyés dans l’espace : comment ces signaux ont-ils été pensés et produits ?

F. L. : Le message dit « Arecibo » a été envoyé depuis le radiotélescope du même nom en 1974. Le principe est celui de la radio FM : on choisit une onde et on code le contenu en modulations de fréquence. Pour résister au bruit et aux aléas dus à la très grande distance visée, le message reste simple : il s’agit d’une succession de 0 et de 1, comme en informatique, pouvant être transformée en suite de nombres et en divers éléments graphiques, comme une représentation très schématique de la double hélice de l’ADN. Les Cosmic Calls qui suivront, une trentaine d’années plus tard, reprennent le même principe. Ils comportent quelques dizaines de pages et enchaînent ainsi plusieurs informations relevant de la physique, de la chimie, ou encore de la physiologie humaine. Ils incluent même une représentation graphique de la surface terrestre.

Ces bouteilles à la mer ont-elles une chance d’être comprises ?

F. L. : Il faudrait d’abord qu’elles soient interceptées. Or ces messages sont envoyés sur une très courte période, quelques heures au maximum, dans une seule direction, et à une fréquence précise que les éventuels extraterrestres présents dans la zone ciblée doivent « écouter ». Étant donné la taille de l’univers, les statistiques sont nettement contre nous… Je doute également que des extraterrestres arriveraient à décoder le message : autant les aspects purement mathématiques me semblent pertinents, autant je trouve – et je suis loin d’être le seul, Alexandre Astier en a même fait un spectacle ! – que les représentations graphiques grossières viennent gâcher la logique du message et ne sont finalement compréhensibles que par des humains.

On focalise sur les extraterrestres parce qu’ils font rêver, mais il existe sur Terre des êtres vivants fascinants avec lesquels nous parvenons peu à communiquer : les animaux, les plantes…

F. L. : Tout à fait ! Quand on regarde la plupart des films de science-fiction grand public, les extraterrestres ne sont pas si différents de nous. Ils parlent, ils écrivent, ils font des gestes de désignation, et ce, avec la même temporalité que nous, ou presque. Au final, il existe sans doute une plus grande différence entre les baleines et nous – et d’ailleurs nous n’arrivons pas (encore) à échanger avec elles. Je prends cet exemple à dessein : dans les années 1970, l’un des premiers grands programmes de recherche pour prendre contact et communiquer avec des extraterrestres avait pour acronyme CETI (« Communication with extraterrestrial intelligence »). C’est également le mot latin signifiant « baleine ». L’idée implicite était que nous serons peut-être prêts à communiquer avec des extraterrestres le jour où nous pourrons échanger avec ces mammifères marins, qui ne sont d’ailleurs pas si éloignés de nous dans l’arbre du vivant. Récemment, cet acronyme a aussi été pris pour un projet ayant comme objectif le décryptage du langage des baleines (CETI, « Cetacean translation initiative »).

Quelle place occupent les recherches sur les extraterrestres dans les sciences du langage aujourd’hui ?

F. L. : Une interaction extraterrestre reste purement spéculative, elle ne fait donc pas l’objet de recherches scientifiques soutenues. À l’inverse, il existe sur Terre des milliers de langues et de modes de communication – bien réels cette fois – qui n’ont pas encore été décrits. J’évoquais les systèmes de communication des animaux, comme le chant des baleines, la danse des abeilles ou tant d’autres que nous ne comprenons jamais totalement. Les interactions entre les plantes suscitent également une curiosité croissante et sont tout aussi intrigantes qu’une hypothétique communication extraterrestre. Mais, même si l’on s’en tient à l’humanité, le champ d’investigation est déjà immense ! Certaines langues sont en outre en voie de disparition, notamment sur le continent africain et en Amérique du Sud. On estime qu’il en meurt une toutes les deux où trois semaines, et à chaque fois ce sont autant de singularités linguistiques, culturelles ou encore historiques qui disparaissent avec elle. À titre personnel, je m’intéresse aux langues imaginaires et inventées en tant que vulgarisateur, mais je me réjouis aussi que nos institutions scientifiques investissent essentiellement leurs moyens et leurs forces vives dans l’étude d’un patrimoine linguistique commun à l’humanité particulièrement précieux.

À LIRE : Frédéric Landragin, Guide de communication interstellaire, UGA éd., 2024

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