Meg Spectre

Aux États-Unis, il y a une sorte de « bimbofication » du fascisme

© Meg Spectre par JB Chiara

À New York, les cool kids se revendiquent de Dimes Square, sorte de collectif qui transforme la pop culture en arme pour les idées de la droite extrême. Le tout en revendiquant la puissance des mâles et l'hypersexualisation des femmes.

C’est un microquartier de Manhattan devenu l’épicentre d’une étrange mutation culturelle. À Dimes Square, entre deux vernissages, une faune hétéroclite réinvente la pensée de la droite dure en version « cool ». Ici, artistes branchés, podcasteuses stars et trolls d'internet côtoient quelques oligarques de la Tech – la figure du milliardaire Peter Thiel plane sur le financement de la scène, tandis que les théories néoréactionnaires de Curtis Yarvin (les « Lumières obscures » ) servent de boussole intellectuelle.

Loin de l'image austère du conservatisme, cette nouvelle droite mise sur une pop culture aggressive, célébrant la puissance masculine et l'hyperféminité des « bimbos ». Depuis 2022, Mike Crumplar (alias @cnumps) documente de l'intérieur cette scène où les rapports hommes/femmes sont rejoués sur un mode archaïque et ultrasexualisé. Rencontre au cœur de la matrice réactionnaire new-yorkaise.

Cette interview fait partie d'une enquête sur la communauté de Dimes square.

Les cool kids de Dimes Square, ce n’est pas l’image du fascisme qu’on aurait imaginé voir émerger ?

Mike Crumplar : Les gens disaient autrefois que si le fascisme arrivait aux USA, ce serait emballé dans le puritanisme religieux. Mais Trump a donné une teinte plus complexe à ce mouvement. Il prend notamment la défense d'hommes lubriques qui devraient être libérés des conséquences des violences sexuelles et il prône de femmes à la fois soumises et très sexualisées, d’une manière quasi pornographique. D’ailleurs les gens du porno s'affichent maintenant de droite. Il y a une sorte de « bimbofication » du fascisme.

Quel est le rôle des femmes qu’on appelle ici les « e-girls » dans la scène pop de Dimes Square ?

M. C. : Elles sont dans une féminité trendy chic, souvent très minces, soumises, et elles sont censées être des sortes de muses. Il y a cette idée d’une beauté qui s’inscrit dans une relation idéalisée avec les incels, du type « je peux aider cet incel sans défense, je vois sa beauté edgy ». Elles sont provocatrices, cultivent des relations parasociales avec leurs « simps » (fans obsédés), et se présentent sous une image idéalisée et séduisante. Mais les e-girls fascistes sont aussi belles dans leur cruauté et leur indifférence à la souffrance. Leur beauté idéalisée est l’essence de l’art décadent, en un sens. On peut imaginer l’e-girl nourrissant ses serpents avec des lapins vivants (rires).

N'y a-t-il pas une dissonance chez ces e-girls qui prônent le retour à la tradition tout en menant une vie de bohème new-yorkaise ? 

M. C. : En effet, elles vont écrire de la poésie érotique à propos de leurs aspirations à être des tradwives, et leur éligibilité à vivre selon des idées banales du type « je vis à New York, je suis une hipster bohème, très fougueuse, je couche avec tous ces gens, mais j’aimerais vivre dans une ferme » (rires). 

Quels liens existe-t-il entre la sexualité et le fascisme avec la scène de Dimes Square ? 

M. C. : Il y a ce sentiment que les fascistes débordent d’une sexualité très intense, avec de l’autre côté « nos ennemis woke, nos ennemis queer, qui sont des gender goblins imbaisables, gros avec des cheveux bleus, ils sont laids, etc. ». Soit ça, ou alors « ce sont des hommes cocus et soumis ». Mais « nous, les fascistes, on est sexy et puissants », etc. Beaucoup de gens de Dimes Square voient les choses de cette manière. 

Quelle est l'influence de la scène, et plus largement de la culture incel, sur l’Internet mainstream et la culture populaire ? 

M. C. : Aux États-Unis, beaucoup de mèmes sont créés par la droite qui s’infiltrent ensuite dans une sorte de conscience d’Internet. C’est pareil pour Dimes Square. Certains mèmes ou termes étaient des blagues il y a quelques années, et sont maintenant utilisés sur Internet par des boomers de droite. Ce qui illustre l’influence de cette usine à propagande de droite.

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