Loana dans le confessionnal de Loft Story

Vivre pour les caméras : le confessionnal de Loft Story, le préquel de nos vies en ligne ?

© M6

Comment a-t-on normalisé le fait de raconter sa vie face caméra ? Est-ce que tout a commencé à la TV réalité ?

Loana, seule dans une petite pièce violette et une voix qui l’interroge : « Comment te sens-tu ? Où en es-tu ? Y’a-t-il quelque chose de particulier que tu souhaiterais dire ? » Cette scène de la série Culte (Amazon Prime) fait revivre Loft Story, première téléréalité en France lancée le 26 avril 2001 et son format alors inédit : le confessionnal. « C’est ici que les candidats devront au moins cinq minutes par jour faire part de leurs impressions et de leurs sentiments. (...) Entre ces murs, tout ce qui est dit reste strictement confidentiel pour les autres candidats. Sauf pour vous, qui regardez Loft Story », explique une voix off lors du premier prime de l’émission.

Le concept est nouveau : parler seul, sans interlocuteur direct, en prenant le spectateur comme confident. « L'inversion des valeurs d'espace était intéressante, puisque ce qui était le lieu de vie était un lieu d'enfermement, et le confessionnal était le lieu de la publicisation de ses secrets, pour s'ouvrir à soi-même et aux spectateurs » analyse Laurence Allard, sémiologue, maîtresse de conférences et chercheuse à l'Université Paris 3.

Mais très vite, le confessionnal devient plus qu’un sas d’observation panoptique : il déploie de nouveaux arcs narratifs. « Avec la téléréalité de première génération, le confessionnal avait une fonction de ponctuation, avec du récit implicite mais où l’on était surtout dans le ressenti », explique Maureen Lepers, docteure en cinéma et audiovisuel et chargée d’enseignement à l’Université Paris 3, par la suite, sa fonction a évolué dans le commentaire : dans les quotidiennes de vie collective d’aujourd’hui comme La Villa des Cœurs Brisés par exemple, des journalistes sont présents dans les salles d’interview. Tout l'enjeu est de faire raconter aux candidats des choses qui font avancer le récit. »

Tous face cam'

Avant la téléréalité, il existe des tentatives d’autofilmage, avec des œuvres comme les Réveils du vidéaste Pierrick Sorin, dès 1988, ou encore sur Internet dès 1996 avec les débuts du lifecasting – le fait de se filmer en continu sur le web – comme JenniCam ou Justin.tv (qui deviendra Twitch en 2011). « En arrivant en 2005, YouTube a massifié ces pratiques », rappelle Laurence Allard.

“Réveils” de Pierrick Sorin

Au mitan des années 2000, ce principe de face cam' se diffuse massivement, via la téléréalité de vie collective qui est à son âge d’or (Secret Story, Les Marseillais, Les Anges…), mais aussi sur le Web avec la démocratisation des youtubeurs. L’arrivée des réseaux sociaux et des smartphones fait le reste : « Entre le confessionnal de téléréalité et le dispositif de parler face caméra pour raconter sa journée en story, il y a une continuité indéniable dans la mise en scène de soi », précise Maureen Lepers. Cela aurait pu rester des images de télé, mais techniquement, les smartphones et les développements des réseaux sociaux ont rendu cette continuité possible. »

De Loana à Poupette Kenza, ce sont donc les évolutions technologiques, la banalisation médiatique mais aussi l’habituation qui ont normalisé le fait de parler seul face caméra. Mais pourquoi sommes-nous fans de ces contenus ? Parce que cela initie une relation dite parasociale, soit ce lien qui nous attache à une personne médiatique qui nous interpelle ( « Coucou les filles », « Yo la team » ), comme si Léna Situations était vraiment notre amie. Car le format confessionnal actionne des fonctions d’intimité et d’authenticité : « Ce qui va créer ce lien d'intimité, c'est le fait de partager tout un quotidien banal. On a aussi une authenticité car cette personne me regarde, il n'y a pas de masque entre nous, ajoute Laurence Allard. Pour paraphraser Roland Barthes, c’est “un regard caméra sur moi et je suis tout de suite perdu”. »

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commentaires

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  1. Avatar Aurelien Terrassier dit :

    Documentaire faisant l'éloge de la télé-poubelle produit par Alexia de La Roche-Joubert aussi! La télé-réalité s'est surtout déporté sur les réseaux sociaux et de voir que Vincent Cespedes pseudo-philossophe reconverti dans le développement personnel 2.0 avec abonnement sur Youtube en fait aussi depuis la saison des Traitres l'année dernière est tout aussi inquiétant car peu de sociologues s'attaque à ce phénomène qui nourrit tous les vices en matière de voyeurisme, bizutage, xénophobie, sexisme, validisme et homophobie avec clichés et stéréotypes. Je n'ai rien contre les candidat.e.s qui sont pour la plupart bernés et téléguidés mais à ce système qui est aussi le fléau de notre société actuelle on le voit avec Tpmp par exemple dans tout ce qu'il peut y avoir de pire à la télévision heureusement que l'année prochaine C8 disparaît aussi!

  2. Avatar Aurelien Terrassier dit :

    Excepté Valérie Rey-Robert, rares sont les intellectuels qui s'attaquent concrètement à ce fléau de la télé-réalité. https://nouvelles.univ-rennes2.fr/article/valerie-rey-robert-pourrait-imaginer-tele-realite-sans-propos-sexistes-homophobes-ou

  3. Avatar La souillure dit :

    Et dans quelques années on aura une bonne bande de cotorep mongol qui va se repentir et aller consulter devant des psy et passer chez nounounouhahahha pour dire " on m'avait menti ! " . Putain , brulez en enfer

  4. Avatar Aurelien Terrassier dit :

    Après les réseaux sociaux ne sont en fait que les miroirs inversés de la télé-réalité. Dans le divertissement populaire, c'est aussi ce type de programmes qui s'est beaucoup développé avec l'arrivée de la TNT et qui a décliné par la suite au niveau des audiences avec le succès des réseaux sociaux avec aussi des séquences supplémentaires des différents candidats. A l'époque du loft, c'était sur le site de M6 et l'Adsl commençait tout juste de se démocratiser et il n'y avait pas non plus de smartphone aussi!

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