le portrait de Thomas de Crepol

Drame de Crépol : l’odeur de l’essence sur TikTok

© Montage de Florence Banville à partir de TikTok

Vidéos face caméra de participants à la rixe, appels à chasser et lyncher des jeunes de banlieue et incitation à la haine. Sur TikTok, le drame de Crépol a laissé place à une colère incendiaire. 

« Vidéo agression thomas », « Salle des fêtes mort », « mort thomas 16 ans »… Depuis une semaine, la barre de recherche de TikTok tourne en boucle autour du drame de Crépol. Cette rixe qui s’est déroulée le 19 novembre dernier pendant le bal d'hiver de la commune, s’est soldée par la mort d’un jeune de 16 ans et de 8 blessés. Mis en cause par les témoignages, neuf suspects venant d’un quartier voisin vont être rapidement arrêtés. Dans la foulée de cet évènement, l’extrême droite en ligne s’est emparée de l’histoire pour la qualifier de « francocide », une notion très polémique désignant un crime qui serait perpétré par une personne d’origine étrangère envers un Français.

Recherché, mort ou vif

Dans les jours qui ont suivi, le spectre de la « guerre civile et civilisationnelle » a flotté sur les réseaux et TikTok s’est transformé à cette occasion en machine à souffler sur les braises. Très rapidement, les photos de soi-disant suspects commencent à circuler, accompagnées d’encouragement à les « chasser » ou à « venger » la victime. Impossible de vérifier sur le moment s’il s’agit des bonnes personnes ou bien de photos d’autres jeunes du quartier qui n’ont rien à voir avec cette histoire. Au fur et à mesure de l’enquête, ces photos vont disparaître au profit d’une autre, bien plus fiable. Il s’agit du portrait de Chaïd A qui a été formellement identifié comme étant celui qui a porté le coup de couteau à Thomas, et qui va être diffusé de manière massive. La plupart des comptes qui rediffusent ces images mettent l’emphase sur les prénoms et les noms de famille à consonance maghrébine des suspects. En les listant, ils accusent le ministre de l’Interieur de ne pas les avoir dévoilés plus tôt. Entre les lignes, Gérald Darmanin est accusé de vouloir cacher la « vérité » aux Français. 

Avant même que les circonstances du meurtre ne soient vraiment démêlées, plusieurs comptes militants d’extrême droite diffusent des extraits de reportages ou de témoignages de la soirée afin de prendre de vitesse les conclusions de la justice et d’imposer leur narratif. Il en ressort une impression que ce meurtre était prémédité, calculé et froidement exécuté, comme s’il s’agissait d’un attentat islamique ou d'une attaque raciste « anti-blanc ». 

Face à cette narration qui pousse la carte de l’incitation à la haine, des réponses plus ou moins maladroites vont se frayer un chemin. L’ex-rappeur et influenceur lyonnais Bassem va devenir une figure récurrente sur cette affaire. Face à la publication de la photo de Chaïd, il pousse un coup de gueule vis-à-vis des suspects en indiquant qu’ils n’auraient « jamais dû aller dans une soirée de blancs » et que « tout le monde doit garder sa place ». Il explique aussi qu’il sent monter « une guerre civile en France » et il encourage tout le monde à se calmer, tout en précisant qu’il a déjà « choisi son camp » en cas de déclenchements d’hostilités. 

La haine en attendant la vérité

Dans une autre vidéo, il tente de retracer les évènements de la soirée afin de démonter les accusations d’attentat et de meurtre prémédité proférés par l’extrême droite. Le discours se veut nuancé. Pour lui, il ne s’agit pas de stigmatiser tous les habitants d’un quartier et l’ensemble de la communauté musulmane de France, mais de condamner la stupidité d’une bagarre qui a mal tourné tout en mettant en lumière la rhétorique raciste de l’extrême droite. Il semble d’ailleurs avoir raison sur le déroulement des faits. Au moment où ces lignes sont écrites, les interrogatoires menés par la police concordent vers la thèse d’une rixe qui aurait mal tourné. Des amis de Thomas, auraient tiré les cheveux longs d’un membre du groupe de jeunes issus du quartier de la Monnaie en l’appelant « Chikita », un geste qui aurait déclenché les hostilités et des coups de couteau. Mais au moment où les vidéos sont postées, personne ne sait vraiment encore ce qui s’est passé. C’est ce moment de flou durant l’enquête qui a largement profité à l’extrême droite pour imposer sa version des faits.

Cette mélodie dangereuse qui oppose « la France des racailles » à une France rurale et blanche va cependant connaître un nouveau soubresaut après la nuit du 25 novembre. Ce samedi-là, près de 80 personnes issues de groupuscules d’ultradroite ont organisé une « expédition punitive » sur la ville de Romans-sur-Isère à coups de battes de baseball et de slogan néonazis. En marge de cette tentative de ratonnade qui est présentée sur TikTok comme une « manifestation à la mémoire de Thomas », un militant au crâne rasé sera pris à partie, déshabillé et tabassé.

Vécue comme une humiliation, cette agression va être particulièrement mise en scène par des comptes d’extrême droite. Ces derniers utilisent des outils de générations d'images par Intelligence artificielle pour faire parler un « militant virtuel » dont la ressemblance avec la personne tabassée est très lointaine. Mais sur une plateforme vidéo qui permet la réaction à chaud pour n’importe quel sujet, et la possibilité d’activer facilement la haine raciste, la notion de vérité est sans doute la première oubliée. 

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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