Un doigt qui pointe 3 jeunes indiens sur leurs ordis

Sous-traiter son travail à des Indiens ? La recette des gourous du business sur les réseaux

Plusieurs comptes TikTok font la promotion de la « Young Indian Method », pour gagner de l’argent sans travailler. Plus que douteuse, cette « méthode » est surtout vendue à un prix salé à de jeunes internautes crédules.

Gagner de l’argent sans travailler en quelques clics, c’est une promesse omniprésente sur tous les réseaux sociaux. Sur YouTube, des vidéos présentant des techniques de revenus passifs avec des pluies de billets en miniature font des centaines de milliers de vues. Ces derniers mois, la nouvelle tendance pour s’enrichir serait la « Young Indian Method », « Méthode des jeunes Indiens ».

« En 2015, j’ai loupé le Bitcoin. (…) En 2020, j’ai loupé le dropshipping. En 2023, je n’ai pas loupé la Méthode des jeunes Indiens », écrit sur TikTok l’un de ses adeptes. Le concept ? Trouver des clients prêts à payer un freelance pour des tâches telles que la création d’un site Internet, déléguer cette tâche à une personne dans un pays où les revenus sont bas, et vendre le produit bien plus cher que la rémunération du travailleur.

Le terme semble être apparu en juillet 2023 dans des vidéos TikTok, la plus ancienne occurrence que l’on ait pu trouver provenant d’un compte sous le pseudo @enard.ecom – depuis supprimé – mais dont on peut consulter une archive via l’outil Wayback Machine. Un nouveau compte au pseudo proche : @enardecom a repris le flambeau.

@enardecom

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♬ original sound - Enardecom

Vends formation pour devenir riche

Une chaîne YouTube et un site Internet qui s’appellent « Young Indian Method » (YIM) proposent un guide pour commencer à gagner de l'argent avec cette technique, mis en vente pour 49,99 livres sterling (58,30 euros). En se baladant de lien en lien, on découvre à partir des adeptes de la YIM tout un réseau de comptes et pseudonymes qui vendent divers produits en ligne : un utilisateur de Reddit qui dirige vers un site intitulé « Official One Percent », sur lequel on peut acheter une formation à la YIM pour 29,99 dollars (27,62 euros), revend aussi des sneakers de contrefaçon.

Le concept a même été importé en France. Deux comptes TikTok français en parlent régulièrement, visiblement liés puisqu’ils dirigent tous les deux vers le même site Internet, et parce que les vidéos de l’un se retrouvent aussi sur l’autre. Ils sont tenus par un groupe d’adolescents : l’un d’eux écrit sur son Linktree avoir 16 ans, et l’autre, interrogé, répond être lycéen. Leur vidéo la plus populaire a été vue plus de 106 000 fois. Sur leur site, on peut acheter deux formations : l’une à 150 euros et l’autre à 370 euros. Hébergé sur Mysellix.io, il affiche actuellement 15 ventes.

De nombreux internautes intéressés

Si autant de comptes sont dédiés à la promotion de cette astuce censée rendre riche, on peut imaginer que la vente d’une recette soi-disant miracle est la véritable source de revenus de ces créateurs, plus que l’application de la méthode. De plus, les réseaux français remontent à août 2023 : en supposant qu’ils ont imité les vidéos anglophones apparues en juillet, ils se sont donc aussitôt lancés dans la vente de la formation.

Néanmoins, le site français donne accès à un Discord qui affiche plus de 500 membres et qui poste activement des questions sur le sujet. L’un des administrateurs du serveur y publie régulièrement des captures d’écran de contrats signés et de conversations avec des clients, dont on ne peut vérifier l’authenticité. Il parle du « deal du semestre » quand il écrit avoir vendu pour 3 200 euros un produit acheté 180 euros. Interrogé par mail, il répond embaucher « maximum 142 Indiens » et y consacrer « cinq heures par jour en semaine ».

Un élément récurrent dans les discours qui font la promotion de la YIM est le fait de ne pas cacher le côté cynique de cette démarche. Au contraire, il semblerait que plus ça paraît illégal, plus ça donne envie. Une vidéo TikTok affiche « Warning: unethical » (« Attention : immoral »). Le compte X @youngimethod poste des captures d’écran de conversations, soi-disant avec des employés indiens, qui montrent un rapport de domination très strict.

L’illusion de pouvoir gagner de l’argent sans travailler

Même s’il y a de quoi douter de l’authenticité de tous ces contenus, le travail micro-rémunéré à la tâche, parfois depuis l’étranger, est une réalité, qui passe plus généralement par des plateformes spécialisées. Les applications AMT, CrowdFlower, Clickworker ou encore la française Clic and Walk proposent de gagner quelques euros en évaluant des vidéos, en répondant à des questionnaires, ou en allant prendre un produit en photo dans un magasin.

Emmanuelle Mazuyer, directrice de recherche en droit au CNRS et au Centre de recherche critique sur le droit qui a écrit un ouvrage sur le microtravail, qualifie la relation des plateformes à leurs utilisateurs d’« exploitation », sans respect du droit du travail. « Ça ne peut être qu’un complément de revenus, parce que ces plateformes mettent des plafonds annuels », indique-t-elle. Mais selon elle, ces applications sont « très incitatives » : « Elles font appel aux sciences cognitives, à la gamification, ce qui crée une forme d’addiction. » Les utilisateurs ont l’impression qu’ils vont gagner de l’argent sans effort, alors qu’ils passent des heures connectées pour une rémunération infime.

Si Emmanuelle Mazuyer a étudié les utilisateurs français de ces plateformes, l’Organisation internationale du travail a publié en 2019 un rapport qui montre que de nombreux habitants de pays en développement, notamment l’Inde, le Brésil, l’Indonésie ou le Nigéria, sont inscrits sur des applications américaines.

La « Young Indian Method » serait donc une version plus précaire encore de ces formes de microtravail. Mais le cynisme ultime de ces vidéos TikTok réside aussi dans le fait qu’en succombant à la promesse de revenus passifs, les internautes occidentaux tombent eux aussi dans une course aux revenus illusoires. Sur le serveur Discord français, de nombreux membres demandent s’ils peuvent se lancer en étant mineurs. Les administrateurs ne sont pas là pour les aider à gagner de l’argent, mais pour les convaincre d’acheter leur formation. C’est comme ça que prospèrent ceux qui vendent la « Young Indian Method » : en donnant l’impression de confier un secret réservé aux plus malins.

À LIRE : Emmanuelle Mazuyer, Regards croisés sur le microtravail de plateforme, Collection Droit, travail et protection sociale, 2023

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