Qui se cache réellement derrière ce slogan ? Coralie Trinh Thi a rencontré le très discret Michel et il lui a confié toutes les ficelles de sa réussite...
Plus personne ne peut plus ignorer leur slogan. Il a l’avantage de sonner comme une blague de cour de récré, et on se lâche d’autant plus que les non-initiés ne sont pas supposés saisir l’allusion grivoise. « Nous sommes un couple (presque) comme les autres. Nos prénoms ? Jacquie et Michel. Sans que nous le cherchions, nos prénoms sont devenus une marque, un label, un synonyme de sexualité libre et de nouvelles technologies. »
Et en 2006, cette biographie confidentielle ne relatait que les prémices d’un succès stupéfiant… Le porno semble s’être démocratisé, mais rien n’égale le phénomène J&M. Les stars du X qui ont infiltré les médias grand public ne sont que des bombes sexuelles désamorcées par leur discours intellectuel, leur naïveté ou leur glamour lisse. J&M incarne au contraire le sexe de proximité, le terroir, la « France d’en bas », ta voisine ou même pire : ta cousine, ta sœur, ta mère… Le sexe y est bestial et les pratiques extrêmes, parfois déviantes pour le commun des mortels.
Le couple d’instituteurs est d’autant plus célèbre que personne ne les a vus. Les Daft Punk du porno cultivent le mystère : un moyen de faire le buzz, une preuve que Jacquie n’existe pas, une escroquerie marketing ? Et si Michel a été vu par de nombreux témoins dignes de confiance, aucun indic n’a jamais vu Jacquie. Elle n’apparaît même pas en personnage virtuel dans la vidéo animée qui retrace leur histoire.
Michel a créé son premier site pédagogique suite à un stage informatique de l’Éducation nationale. Devant le piètre succès de son initiative, notre Toulousain libertin a l’idée de publier des photos sexy. À l’aube d’Internet (1999), le succès de la communauté polissonne est immédiat. En 2004, la marque Jacquie et Michel est déposée, et en 2005 on atteint le million de visiteurs mensuels. Michel quitte son emploi pour se consacrer à sa passion. Les internautes postent leurs premières vidéos en 2007, grâce aux progrès de la technologie. Dès 2010, sur candidatures spontanées, J&M alimente le site de productions maison. Le slogan apparaît en 2011, au hasard d’un tournage : « Merci, Jacquie et Michel », le cri du cœur d’une actrice particulièrement comblée et reconnaissante. Une des versions de la légende précise que c’était un des rares tournages où Jacquie et Michel étaient présents. Après enquête, il existe sûrement une Mme Michel…même si Jacquie n’est peut-être que son pseudo.
Le couple le plus célèbre du X n’a jamais exposé ni ses parties intimes, ni son visage, et même les interviews sont refusées, que l’on travaille au Monde ou au « Supplément ». De très rares privilégiés ont pu dialoguer avec… le responsable communication de J&M. La superstar, Michel, n’est apparue (par téléphone ou en silhouette floue derrière une fenêtre) qu’à d’encore plus rares élus. Mon passé de pornostar ne suffira pas à m’offrir un passe-droit – Michel ne semble pas faire partie du sérail de l’industrie du X. Au contraire, son succès d’outsider dilettante a certainement suscité l’hostilité de certains professionnels de la profession. C’est donc par la voie amicale que je le sollicite : on se porte garant pour moi, et Michel accepte de me parler moins de quinze minutes… mais pour l’interview, ce sera avec le responsable de com, il a dit.
Leur célébrité délirante justifie cette prudence. Elle ne se limite pas aux salles de garde : Cauet, motards, supporters, pompiers, militaires, flics (et toutes les CSP à forte testostérone...) leur rendent hommage, mais aussi les humoristes (de Nicolas Canteloup à Kev Adams), les artistes (de Julien Doré à JoeyStarr), et jusque dans l’émission « Motus ». Une simple banderole des supporters lyonnais provoque une vague d’articles dans les médias sport… et généralistes.
À cette notoriété rubrique « Insolite » succède très vite la spirale du scandale national. En 2013, un lycée de Compiègne s’indigne d’être exposé, par le biais d’une surveillante trop délurée. En 2014, une aspirante Miss Troyes est radiée suite à la découverte de ses vidéos. En janvier 2015, un Belge découvre que sa friterie a servi de décor, et clame dans tous les médias complaisants qu’il va porter plainte – avant de se raviser devant l’ampleur de la pub, et il crée même deux burgers en hommage. En mars 2015, Oise Hebdo va jusqu’à mettre en une la photo d’un tournage sauvage dans un parc de Compiègne (encore). L’article « pute à clic » le plus consternant concerne le scandale de Loué – Le Plus de L’Obs titre : « Ce film écœurant salit nos poulets et notre terre ». #NotGorafi
J’appelle Michel et je commence par le remercier (si ! ) d’accepter de me parler. Il répond d’un accent très chantant : je pourrai déjà témoigner que Michel existe et qu’il est bien de Toulouse. Vu l’acharnement des médias, je comprends qu’ils se protègent par le secret. Il rectifie : ils ont toujours été discrets, depuis le début. Une évidence dans la culture du libertinage, même si le lynchage médiatique n’a rien arrangé…
Nous discutons si naturellement qu’il ne mentionnera même pas le responsable communication. Les chiffres et polémiques ne m’intéressent pas plus que la légende officielle, je veux l’humain. Les enquêtes révèlent ces chiffres comme des secrets honteux : 12 millions de CA, 14 millions de visiteurs, une galaxie de sites, trois boutiques, une cinquantaine d’employés… Et tous ces scandales d’exhibitions sur la voie publique sont ridicules quand on connaît le X : j’ai tourné dans la rue, dans la forêt, dans le métro et dans le RER, sans aucune autorisation. La base. Leur succès est l’alibi parfait pour les faux scandales : les médias mainstream racolent avec le porno sous couvert de le dénoncer. Il rit : « C’est vrai, nous sommes un parfait alibite ! »
On s’indigne que les filles soient des actrices, payées (!), que leur CV soit bidonné. Seul un tiers des amatrices aurait posé une candidature spontanée, mais c’est un score miraculeux. Le modèle économique et « artistique » du porno amateur existe depuis une éternité. Et il ne s’agit pas tant de mensonge que de raconter des histoires…
Michel proteste énergiquement : il ne fait pas de porno amateur comme celui dont je parle. Il y a deux sites vraiment distincts : l’originel, jacquieetmichel.net, réservé aux vrais amateurs, et jacquietemicheltv.net, qui diffuse ses productions. Celles-ci ne sont pas du porno amateur, mais du porno-réalité. J’essaie de comprendre : OK, on ne devrait pas dire porno amateur, mais pro-am. Mais quelle différence entre le pro-am et son porno-réalité ? Il affirme que si certaines filles sont payées, elles ne le font pas pour l’argent, elles veulent réaliser un fantasme, ils viennent juste filmer. « Chez nous les filles font ça vraiment par plaisir. Ce que l’on veut c’est de l’authentique, des situations vraies. »
J’évoque les « affaires » où le CV s’est révélé inexact, les deux lycées (ni pionne, ni prof) ou Loué (ni éleveuse, ni de Loué) : vraiment, ils n’arrangent jamais la bio pour une histoire ou un décor plus excitants ? « Jamais ! Peut-être que certaines filles mentent, ou parfois, juste un détail, pour protéger la vie privée d’une actrice… » Soit. Mais une flotte de réalisateurs travaille pour J&M, forcément issus du pro-am. Impossible qu’ils n’en maîtrisent pas les codes et les usages. Michel, qui n’avait quasi jamais vu de porno avant d’en réaliser un, est d’une naïveté désarmante sur l’industrie du X : « Je crois que l’on a un peu réinventé le porno. Les films scénarisés c’est ennuyeux, et nous on a fait quelque chose de complètement différent. On a commencé à filmer la voisine, des femmes qui n’étaient pas destinées à faire du porno. »
Ce que fait déjà le pro-am depuis des décennies, à commencer par Laetitia, reine de l’amateur des années 1990. Mais Michel ne connaît pas Laetitia et il supervise et valide chaque scène sous-traitée, bien au-delà de la simple trademark « Merci qui ? », que chaque actrice doit scander pendant tout le tournage.
Michel n’a pas changé de mode de vie, même maison, aucun goût pour le bling-bling ni les mondanités. Le couple ne fréquente plus le milieu libertin. L’été dernier, ils sont bien allés au Cap d’Agde mais ils ne sont restés que deux jours, parce qu’on les a reconnus. Il ne gère plus les sites – il est largué par la technologie – et ne va plus que très rarement sur les tournages. Je doute que les tournages J&M se passent comme il l’imagine, mais il a raison quand il affirme faire du porno-réalité. La télé-réalité est forcément mise en scène, pour retranscrire par l’image une histoire, aussi véridique soit-elle. Et la simple présence d’une caméra altère cette « réalité ».
Le porno J&M est aussi « vrai » que la télé-réalité – Michel se positionne dans l’héritage de « Strip-tease », mais la majorité de ses réalisateurs navigue sans doute entre « Confessions intimes », « Tellement vrai » et « L’Ile de la tentation ». Le réalisateur de « Paris Dernière » m’a affirmé que beaucoup de ses spectateurs croient qu’il se promène au hasard des rues et que ses rencontres sont fortuites. Faut-il condamner l’innocence du spectateur ou participe-t-elle à la magie de toute industrie du divertissement ?
Après vérification, le site originel (entièrement gratuit ! ) ne propose que d’authentiques photos et vidéos amateurs – et je n’avais pas été troublée par leur charme improbable depuis bien longtemps. Le webdesign date d’ailleurs du siècle dernier – vintage.
Les vidéos porno-réalité de jacquieetmicheltv.net ne se distinguent pas vraiment du pro-am : interview, tourné-monté, pratiques extrêmes, subjectif et voix off, des recettes classiques. Mais le site joue sur « l’authenticité », la proximité, le sentiment de communauté comme aucun autre. Après le (généreux) extrait gratuit, on n’achète pas la vidéo intégrale HD… on paie une participation symbolique pour contribuer aux frais d’hébergement, 3 euros par Allopass. Quand le site propose un abonnement illimité (comme tous les autres) à 30 euros, soit 1 euro par jour, on le perçoit plus comme une adhésion pour « faire partie de la bande ».
L’humour graveleux participe à l’ambiance. « On pousse la beaufitude pour la dépasser. — Vous assumez la beaufitude que l’on vous reproche ? » Je n’aurais jamais osé prononcer le mot en premier. « Non, on conchie ceux qui nous traitent de beaufs. » C’est un équilibre paradoxal, comme toutes les caractéristiques de cet ovni. « Il y a des actrices qui ne veulent pas dire “Merci qui ? ”, elles trouvent ça dégradant. » J’en aurais fait partie. « Nous, on veut juste s’amuser sans prise de tête. »
Une part de leur succès tient de la même logique que celui du canard vibrant : un sextoy bas de gamme infantilisant… mais bon esprit, très accessible et déculpabilisant. Une forme indéniable de dédramatisation et de démocratisation du sexe.
Dans les boutiques, T-shirts, mugs, coques et même bière J&M se vendent sûrement plus que les dvd ou sextoys, et beaucoup de leurs fans n’ont sans doute jamais vu une de leurs vidéos en entier. Autre paradoxe, J&M, roi du porno de proximité, cartonne en organisant des soirées dans les boîtes de province, mais caracole à la pointe de la technologie d’avant-garde. Outre les nombreux sites de vidéos, rencontre, visiochat, il s’est lancé dans le porno haut de gamme avec J&M Élite, mais aussi dans un Netflix porno avec PornEverest, et même dans la réalité virtuelle 3D avec J&M Immersion.
J&M matérialise les fantasmes de « réalité », s’enracine dans le terroir pour surfer sur l’avenir, et assurément, transforme le buzz en business.
Coralie Trinh Thi
C EST DE L ARNAQUE PUR .pas de réponse au messages