
Pourquoi l’affaire Griveaux n'a rien à voir avec le sujet de l'anonymat sur le Web
Depuis la publication des vidéos intimes de l'ancien candidat à la mairie de Paris, plusieurs personnalités médiatiques et politiques ont appelé à la « régulation des réseaux sociaux ». OK Boomers ?
Quel rapport entre la divulgation des messages privés de Benjamin Griveaux et l’interdiction de l’anonymat en ligne ? A priori aucun, d’autant que les protagonistes de cette sordide histoire ont très rapidement été identifiés. L’artiste russe Piotr Pavlenski a revendiqué la publication des vidéos sur le Web, et les twittos adeptes du trolling, Laurent Alexandre et le député Joachim Son-Forget, sont responsables de leur partage à grande échelle.
Pourtant depuis l’éclatement de cette affaire, de nombreuses personnalités politiques ou médiatiques multiplient les déclarations à l’emporte-pièce sur la « régulation nécessaire des réseaux sociaux ». Leur objectif ? Obliger les internautes à utiliser leur vraie identité afin qu'ils ne puissent pas partager des informations sensibles en toute impunité.
« Il dit qu'il ne voit pas le rapport »
Les commentateurs habitués des plateaux de télévision comme Christophe Barbier ou Alain Duhamel se sont insurgés contre le fléau de l’anonymat en ligne.
Affaire #Griveaux : @C_Barbier appelle à une régulation d’Internet et des réseaux sociaux. #Clhebdo pic.twitter.com/WzvTNjI0h7
— C l’hebdo (@clhebdo5) February 16, 2020
Abandon de Benjamin Griveaux après la publication de vidéos privées : @AlainDuhamel demande la fin de l'anonymat et "des amendes massives" en dizaines de millions d'euros.#CVR #Internet #PlateFormes pic.twitter.com/8nP3BofdTq
— LCP (@LCP) February 14, 2020
Plantu a lui aussi produit un dessin de presse qui vise de manière un peu trop simpliste les réseaux sociaux et l’anonymat en ligne. Ce n’est pas la première fois que le dessinateur du journal Le Monde provoque la consternation des internautes.
je vais prendre une pelle et aller m'enterrer, profond, très profond jusqu'à nouvel ordre. https://t.co/csS0S6TGEH
— sabineblanc 🦍🦃🐢 (@sabineblanc) February 17, 2020
Du côté des personnalités politiques, on assiste à la même confusion entre le partage de cette vidéo et le « problème de l’anonymat » ou bien encore des fake news. Le député Bruno Bonnell a appelé à la « transparence des sources et la sanction des abus » tandis que Gilles Legendre, président du groupe La République en Marche à l’Assemblée a appelé à la mise en place d'un cadre juridique pour lutter contre les fake news en période électorale. Cette dernière déclaration est d’ailleurs assez cocasse quand on sait que le groupe LREM a voté en 2018 la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information qui porte exactement sur cette problématique...
Internet, comme les plus grandes inventions de progrès, porte ses déviances que l’anonymat cautionne comme la calomnie ou la diffamation. Faisons de la France le pays de l’exigence et l’obligation de transparence des sources et sanctionnons les abus. https://t.co/R9lyMz97EV
— Bruno Bonnell (@BrunoBonnellOff) February 14, 2020
🔈 @GillesLeGendre sur les conséquences de l'affaire #Griveaux : "Il faut mettre un cadre juridique afin de lutter contre les fake news en période électorale."
➡ #LeGrandJury sur @LCI, canal 2⃣6⃣. pic.twitter.com/jJNmni2idj
— LCI (@LCI) February 16, 2020
Le Web est-il toujours une zone de non-droit ?
Ce décalage entre les discours médiatiques et la situation réelle a de quoi interroger. Cependant, pour Olivier Tesquet, journaliste spécialisé dans les réseaux sociaux et la surveillance numérique, cette envie de « réguler » les réseaux n’est pas vraiment neuve. « Chaque évènement ayant une dimension numérique, permet de rejouer un vieux combat entre les méchants internautes qu’il faut civiliser et les pouvoirs publics, nous explique-t-il. Les politiques ou certains éditorialistes considèrent toujours Internet comme une zone de non-droit. Or ce n’est absolument pas le cas. »
En effet, la diffusion d’images privées de ce genre, pouvant être considérées comme du revenge porn, est un délit passible de deux ans d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende. Par ailleurs, l’artiste russe Piotr Pavlenski et sa compagne Alexandra de Taddeo ont été déférés au parquet dès le début de la semaine. Difficile dans ces conditions d'appeler à plus de législation, tant cette dernière est déjà bien outillée pour répondre à cette situation.
La tentation de la surveillance
Au-delà de cette vieille méconnaissance des réseaux, il est aussi possible que cette affaire soit une opportunité pour faire avancer une certaine vision du numérique. En effet, l’affaire Griveaux est l'occasion pour certains membres du gouvernement de tenir un double discours entre défense de la vie privée et admiration du système de surveillance numérique à la chinoise.
« Ce qui s'est passé avec @BGriveaux est extrêmement inquiétant ! Ce qui sépare la démocratie d'un régime totalitaire, c'est le respect de la vie privée. Cela concerne tous les Français. »#GrandMatinSudRadio
pic.twitter.com/RCr3uZEpCt— Brune Poirson (@brunepoirson) February 17, 2020
Coronavirus : "La Chine a une capacité de réactivité. Elle a pris ses responsabilités en prenant des mesures de confinement très rapidement. Je ne suis pas sûr qu’il serait possible de réaliser ça dans un pays où les réseaux sociaux seraient ouverts" dit @olivierveran #le79Inter pic.twitter.com/dHR2ePGjOB
— France Inter (@franceinter) February 18, 2020
« Il y a une distorsion frappante entre les discours et les intentions, indique Olivier Tesquet. En l’espace de 24 à 48h on nous dit que la protection de la vie privée est un impératif total dans l’affaire Griveaux puis on désigne du doigt l’anonymat comme la clé de voûte de tout ce qui ne va pas sur les réseaux. Ça montre que le pouvoir est dans un rapport plutôt autoritaire vis-à-vis de la technologie. »