
Le média qui se revendique « de droite » applique constamment les mêmes méthodes dans ses reportages : confrontation idéologique avec des militants ou des politiques de gauche, et victimisation censée prouver une violence systémique du côté de la gauche.
« Frontières, casse-toi, l’Assemblée n’est pas à toi. » Mercredi 9 avril, le ton est monté dans les jardins de l’Assemblée nationale. Durant un rassemblement organisé par la CGT pour protester contre un article du média identitaire Frontières, des journalistes dudit média se sont infiltrés, micro et téléphone portable à la main, pour confronter directement les participants, notamment des parlementaires de LFI. Ces derniers étaient particulièrement remontés par le dossier, intitulé « LFI, le parti de l’étranger », publié dans le dernier numéro du trimestriel, qui met notamment en avant des informations personnelles (identités, photos…) des collaborateurs du parti ; une pratique de doxing jugée dangereuse par les intéressés.

« Une gauche devenue folle »
Après plusieurs échanges tendus mais non violents, les journalistes de Frontières ont été exfiltrés par les huissiers de l’Assemblée. Mais l’intérêt de cette confrontation était ailleurs. Sur les réseaux, de nombreux extraits tronqués et sortis de leur contexte ont par la suite été partagés par des politiques et des militants d’extrême droite avec le même narratif : les manifestants de gauche sont violents et s’en prennent à la liberté de la presse. Ces mêmes éléments de langage sont ensuite répétés ad nauseam sur les réseaux et dans les médias mainstream. « J’ai vu une gauche devenue folle, j’ai vu une gauche qui ne supporte plus la liberté d’expression, une gauche violente qui maltraite des journalistes », a ainsi réagi Laurent Jacobelli (RN) face aux micros de LCI et de LCP.
Plus proche de l’agitprop (une forme de propagande visant à influencer les opinions politiques) que du vrai travail de journalisme, les reportages de Frontières tournent toujours autour de cette stratégie de la confrontation puis de la victimisation à outrance. La méthode est particulièrement visible sur la chaîne YouTube du média, et notamment dans les reportages de Jordan Florentin, qui se rend dans la plupart des manifestations féministes ou antifascistes. Mises en scène comme des micro-trottoirs, les vidéos montrent le journaliste — très identifiable par la bonnette de son micro — tenter d’interroger des militants de gauche. La plupart du temps, ces derniers le reconnaissent et refusent de lui parler, ou bien incitent ceux qui engagent le dialogue à le couper, tout en insultant Jordan de « facho ».
« Frontières, martyrisé... »
Ces refus et ces insultes permettent d’établir plusieurs sous-entendus pour les spectateurs de Frontières. Tout d’abord, le valeureux journaliste serait dans un territoire hostile à sa présence et victime d’une discrimination politique qu’il juge injuste. Les militants qui refusent le dialogue sont implicitement dénoncés comme des individus violents, qui ne respectent ni la liberté d’expression ni le travail journalistique. Ces sous-entendus sont mis en exergue par des extraits bien choisis, où la tension entre le journaliste et les groupes qu’il croise est à son comble. Jordan fait alors presque figure de martyr, qui risque sa peau pour filmer « la réalité » d’une gauche constamment présentée comme violente. Ce sont d’ailleurs ces extraits qui sont montrés en début de vidéo YouTube comme un appât à spectateurs. Cette mise en scène est particulièrement efficace quand elle fonctionne de concert avec le collectif Némésis, un groupe d’action identitaire qui se revendique du féminisme et qui infiltre les manifestations de gauche dans l’espoir d’y déclencher de la colère et de la violence.
Mais les vidéos ne s’arrêtent pas là. Ceux qui décident d’adresser la parole à Jordan Florentin se trouvent propulsés dans un tout autre dispositif. Après avoir rapidement demandé les revendications des militants, celui qui tient le micro tente à tout prix de les piéger par l’usage de tactiques rhétoriques qui semblent sortir du manuel de Schopenhauer, « L’art d’avoir toujours raison ». Face aux insultes, il demande toujours de définir clairement « ce qu’est le fascisme » ou « ce qu’est l’extrême droite pour vous », afin de déstabiliser les personnes interrogées. Une autre tactique consiste à faire sans cesse des équivalences. Quand un témoin définit les membres de l’extrême droite comme des « identitaires », Jordan réplique : « Mais les Palestiniens, ils défendent leur identité aussi ? » Quand un autre militant définit le racisme, le reporter enchaîne aussitôt en demandant si le racisme anti-blanc existe, et si « Crépol, c’était une attaque anti-blanc ? » Ces questionnements, faits en pleine manifestation, génèrent bien souvent des arguments confus, qui, cumulés avec les refus de dialoguer, donnent l’impression que les militants ne savent pas de quoi ils parlent ou n’ont aucune réflexion. D’une manière ou d’une autre, Frontières donne l’impression de « gagner », que ce soit sur le plan moral ou argumentatif. Pour peu que des médias plus important comme TPMP à son époque, ou CNews, reprennent les extraits, et la victoire médiatique devient totale.
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