Une petite fille à la barre

L’affaire d'Outreau : le documentaire de France Télévision relance d'étranges polémiques

© France TV

Entre critiques de la justice, défense de la parole des enfants et théorie frisant le complotisme, l’affaire d’Outreau continue de diviser le public 18 ans après les acquittements.

Depuis le 17 janvier, une colère sourde gronde sur les réseaux et notamment sur Twitter. Une centaine de comptes parfois très influents relaient une pétition réclamant le boycott du documentaire fiction L’affaire d'Outreau, diffusé sur France Télévisions. D’après l’agence Visibrain, spécialisée sur la veille d’opinion sur les réseaux, 30 % des 10 983 tweets consacrés à cette série évènement sont critiques et dénoncent une œuvre biaisée et partiale. 

Parmi les contestataires, on trouve des comptes de militants contre les violences faites aux enfants et des personnalités médiatiques comme l’ancienne membre du CSA Françoise Laborde ou l’ancien présentateur et journaliste Karl Zero. Tous se rangent derrière Jonathan Delay, l’un des enfants du couple formé par Myriam Badaoui et Thierry Delay et victime cette sordide affaire. Alors qu’il a participé à la série documentaire en tant que témoin, ce dernier estime que la parole est davantage donnée aux acquittés d’Outreau qu’aux enfants qui seraient dépeints comme des affabulateurs. Pour le moment, son appel au boycott a recueilli moins de 1 500 signatures et n’a été relayé que 129 fois sur Twitter. Mais la forte conviction de ses soutiens a de quoi interroger. Tous remettent en cause le verdict final du 1er décembre 2005 qui a acquitté 13 accusés sur 17 à la suite de 5 ans de procédure judiciaire chaotique.

La petite musique du doute

Comment en est-on arrivé là ? Pour une grande majorité de gens, l’issue finale du procès d’Outreau n’appelle pas à la polémique tant il a été clairement établi que l’instruction avait été ratée et des innocents mis en prison. Pourtant une version alternative de l’histoire est continuellement mise en avant par l’intermédiaire d’un autre film documentaire sorti en 2013. Il s’agit d’Outreau, l’autre vérité, réalisée par le journaliste Serge Garde. Disponible sur Dailymotion, le film a été partagé sous le manteau pendant des années et refait actuellement surface avec la diffusion de la série de France TV.

Ce documentaire avance la thèse selon laquelle la parole des enfants victimes aurait été étouffée par les avocats de la défense, et notamment Eric Dupont Moretti, tandis que l’affaire aurait fait l’objet d’une instrumentalisation du pouvoir politique dans le but de supprimer la fonction du juge d’instruction. Toute sa narration démontre que le juge Burgaud a servi de victime sacrificielle, que les acquittés d’Outreau sont tous secrètement coupables, et que les enfants ont été doublement victimes face à une justice incapable de discerner la vérité. 

À sa sortie, Outreau, l’autre vérité a pourtant été très critiquée dans les médias. Le chroniqueur judiciaire Stéphane Durand-Souffland a qualifié le film de « démonstration éminemment contestable » dans les colonnes du Figaro. En se reposant uniquement sur les témoignages du juge Burgaud et des témoins qui n’ont pas assisté aux audiences publiques du procès de 2004 et 2005, Serge Garde donne une version très orientée de l’histoire sans jamais revenir sur les contradictions et les absurdités de l’instruction. Pour Le Monde, le documentaire est monté pour instiller le doute dans l’esprit de ses spectateurs. 

Défendre les enfants en mode QAnon

10 ans après sa sortie, c’est bien évidemment le film, et non ses critiques qui servent de caution à un mouvement pour le moins hétéroclite. On y retrouve Karl Zero qui depuis 2021 surfe sur la vague de la dénonciation de la pédocriminalité. Son documentaire « 1 sur 5 » agite la rhétorique de l'existence de réseaux d’élites pédophiles qui est au cœur des idées développées par le mouvement QAnon.

L’association Innocence en danger a financé le film d’Outreau, l’autre vérité, mais aussi fait pression sur le parquet de Douai en 2013 pour réclamer la tenue d’un autre procès à l’encontre du plus jeune des acquittés d’Outreau, Daniel Legrand. Ce dernier avait en effet été jugé et innocenté en tant que majeur lors des procès de 2003 et 2005 alors qu’il aurait dû être jugé en tant que mineur. À quelques mois de la prescription des faits, l’association tenue par Homayra Sellier (autrice du livre 1 sur 5), a donc demandé la tenue d’un autre procès devant la cour d’assises des mineurs d'Ile-et-Vilaine, à Rennes ; procès qui s’est de nouveau terminé par un acquittement.

Qualifiés de jusqu’au-boutistes et d’exaltés, les membres de cette association utilisent sur les réseaux les formulations issues du mouvement MeToo pour valoriser la parole des victimes, et assurer la visibilité de ce contre-récit pourtant maintes fois démenti par la justice. Dans un contexte et un cadre très sensible sur le sujet des victimes d’incestes et de viols, tous les discours critiquant l’institution judiciaire, même les moins raisonnables, peuvent bénéficier d’un véritable appel d’air.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    Bien sûr qu'il y a de quoi se poser des questions. On parle sans cesse des enfants menteurs, mais lors des premières investigations, ce sont les adultes qui se sont incriminés les uns les autres en première instance avant de changer de stratégie, de version et faire bloc tous ensembles. À ce moment-là qui mentaient.
    Pourquoi n'évoque-t-on pas les histoires judiciaires des parents Lavier anciens acquittés d'Outreau ?
    Le couple a été condamné en 2012 pour violences habituelles sur 2 de leurs enfants et Franck le père accusé d'inceste en 2016 par la fille ainée, l'affaire n'est toujours pas jugé à ce jour.
    Et vous évoquez le filme de serge garde. Savez-vous qu'il a été interdit à la diffusion et pourtant tous les faits dans ce film documentaire sont factuels et vérifiables. Pourquoi cette censure, à part le fait qu'il soulève un certain nombre de questions qui restent sans réponse. Et la presse ose de parler de complotisme. C'est une blague. Personne ne veut parler de cette affaire tant la presse et les politiques de l'époque se sont fourvoyés.

  2. Avatar Anonyme dit :

    "On y retrouve Karl Zero qui depuis 2021 surfe sur la vague de la dénonciation de la pédocriminalité. Son documentaire « 1 sur 5 » agite la rhétorique de l'existence de réseaux d’élites pédophiles qui est au cœur des idées développées par le mouvement QAnon." Même si la thèse des réseaux pédophiles est courante dans les forums Qanon, je trouve le rapprochement bancal dans ce cas de figure. Le ton employé dans cet article est quelque peu accusateur envers le travail de Karl Zéro, qui loin d'être conspirationniste est avant tout un journaliste judiciaire indépendant. Loin de moi l'idée de défendre quiconque, mais la thèse des réseaux pédophiles est certainement la """théorie du complot""" la plus probable. L'affaire Epstein n'est qu'un début de preuve parmi d'autres. Bien qu'il faille également faire attention aux discours hors-sol issus des sphères résolument conspirationnistes (type le #pizzagate), rejeter en bloc toutes suppositions sur l'existence de réseaux plus larges qu'on ne le pense représente à mon sens un fourvoiement collectif. Si ils ne sont sûrement pas aussi organisés et tentaculaires que prétendus par les sphères qanon, il est fort à parier que quelques uns prospèrent et font les chou gras de plusieurs hautes figures étatiques (ou autre). La pédophilie innerve toute la société, que vous le vouliez ou non.

  3. Avatar fabrice dit :

    Au lieu de parler d'une affaire dont vous ne connaissez strictement rien, allez lire la décision du conseil de la magistrature à l'égard du juge Burgaud. La presse a joué un rôle parfaitement dégueulasse vis à vis des 12 enfants qui ont été reconnus victimes de viols et d'abus sexuels dans les deux procès. Ces enfants ont été invisibilisés par ce déchaînement médiatique alors que c'étaient les victimes initiales. Faites au moins un vrai travail de journaliste ou taisez vous, car franchement sur l'affaire d'Outreau la presse a été d'une partialité écœurante !

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