
Les fake news sont partout. Certes. Mais on a sans doute exagéré leur importance dans la guerre informationnelle au détriment des « mute news », aux conséquences plus fâcheuses encore.
Les mute news, plus dangereuses que les fake news ! C’est ce qu’affirme Lê Nguyên Hoang, président de l’association Tournesol (un projet de recherche participatif et transparent sur l'éthique des systèmes de recommandations) et créateur de l’excellente chaîne YouTube Science4All.
Pour commencer, peux-tu nous dire ce qu’est une mute news ?
Lê Nguyên Hoang : Une mute news, c'est une information importante et qui aurait beaucoup de conséquences positives à être bien connue. Mais aujourd’hui, parce que nous sommes dans une guerre de l'attention, ces informations importantes sont en compétition avec d’autres plus aguicheuses. L'important est donc noyé dans la masse, et souvent n'est même pas exposé aux gens. Le cas le plus simple est celui du changement climatique. Le rapport du GIEC par exemple a été publié au moment où Lionel Messi a été transféré au PSG – ce qui a eu pour conséquence de n'avoir aucune visibilité. Dans énormément de cas, la crise informationnelle est plus liée à ce manque d'accès à l'info qu'au problème des fake news.
Quel est le rôle des algorithmes de recommandation dans ce phénomène des mute news ?
L. N. H. : Ils jouent un rôle essentiel parce que ce sont eux qui sont les arbitres de l’information sur Internet. Il faut se rendre compte qu’aujourd’hui nous consommons nos informations énormément sur nos smartphones. Or cela n’est pas très pratique de faire des recherches sur ce type d'écran et cela demande moins d’efforts de scroller et de swiper sur les réseaux sociaux. Or, lorsqu'on emploie cette méthode, c’est un algorithme de recommandation qui choisit ce qu’on regarde et il est programmé pour favoriser les contenus les plus aguicheurs – qui sont souvent les plus polarisants. Par ailleurs, maximiser les vues étant un enjeu de survie économique pour les médias, mais aussi pour les influenceurs, tous se mettent à valoriser les contenus les plus clivants qui répondent le mieux aux injonctions des algorithmes de recommandation.
Le terme fake news est bien connu. Mais une information factuelle peut-elle aussi être trompeuse ?
L. N. H. : C’est très facile de tromper sans jamais dire de contrevérités. On peut prendre l’exemple des statistiques sur les vaccins pendant le Covid. À un moment, on a cité une stat qui indiquait que 25 000 personnes sont mortes après avoir été vaccinées. Ce chiffre peut donner l'impression que le vaccin est très dangereux. Mais que les gens soient vaccinés ou non, certains vont mourir dans les mois qui suivent leur vaccination, pour plein d’autres raisons que celles du vaccin ou du Covid. La statistique était juste, mais elle suggérait que le vaccin était directement responsable, ce qui est faux.
C’est un exemple parmi beaucoup d’autres. Il n’y a qu’à regarder la manière avec laquelle les politiciens débattent : ils cherchent à amplifier une information qui va dans leur sens en omettant intentionnellement une autre information qui nuancerait leur propos. Ça suffit à induire les gens en erreur sans que rien de faux n'ait été dit.
Que peut-on faire pour que les algorithmes de recommandation n'amplifient plus ce phénomène des mute news ?
L. N. H. : Il y a beaucoup à faire, y compris avec la mise en place de solutions relativement simples. On pourrait exiger que les internautes sur les réseaux sociaux donnent la preuve de leur citoyenneté à l'échelle européenne, en combinant cette exigence à des solutions cryptographiques afin que cette authentification protège leur anonymat. Ensuite, une loi pourrait forcer les algorithmes à comptabiliser uniquement les interactions d’utilisateurs authentifiées comme "citoyens européens". Cela ajouterait énormément de robustesse aux plateformes pour résister aux faux comptes et aux bots qui amplifient artificiellement la visibilité de certains contenus. L’avantage d’une telle mesure, c’est qu’elle ne devrait pas susciter beaucoup d’opposition. Et il est important de prioriser les idées qui ont plus de chance de faire consensus. Sinon, on risque de passer plus de temps à débattre des solutions qu'à les implémenter.
Merci pour cet article très éclairant !