Un visage découpé en plusieurs carrés ou rectangles d’écrans

Tendances médias : comment le journalisme peut lutter contre le slop ?

Alors que la moitié des contenus en ligne serait désormais produite par des IA, les médias cherchent à se réinventer pour ne pas sombrer dans le slop généralisé.

Sommes-nous en train de vivre une remise en cause généralisée de notre réalité médiatique ? Avec la montée en puissance des IA génératives et la prolifération du slop, ces contenus absurdes et viraux produits par des machines, la frontière entre vrai et faux s’efface chaque jour davantage. Des outils comme Sora, Veo 3 ou Runway Gen 4 permettent désormais à quiconque de créer des vidéos hyperréalistes au point que tout notre écosystème informationnel se voit contaminé par le faux et le grotesque.

50% du Web écrit par l'IA

Au-delà de ces vidéos virales qui provoquent régulièrement des remises en cause de la réalité, c’est notre paysage informationnel dans son ensemble qui est envahi par du contenu généré par IA. Une étude de l’agence Graphite, publiée courant octobre et basée sur l’analyse de 65 000 textes, a montré que plus de la moitié des articles mis en ligne dans l’espace d’une journée étaient créés sur des IA comme ChatGPT, Gemini ou Claude.

L’étude affirme toutefois que ces articles sont pour le moment largement invisibles et peu recommandés par Google ou ChatGPT. Graphite indique que l’une des raisons de ce manque d’audience viendrait de la faible pertinence de ces contenus, qui sont bien souvent le résultat d’une stratégie éditoriale parasitaire. D’après le laboratoire pour le journalisme de la fondation Nieman d’Harvard, ces articles sont souvent des plagiats remixés d’enquêtes journalistiques datant parfois de plusieurs mois.

Ces écrits ont aussi la particularité d’être publiés sur des sites zombies. Il peut s’agir de médias étudiants ou locaux laissés à l’abandon, ou d’anciens sites d’entreprises de livraison de fruits et légumes ou de promotion d’événements passés dont l’URL a été récupérée. Les articles ne sont parfois même pas publiés en front page, mais dans différentes rubriques. L’objectif ? Être suffisamment optimisés en SEO pour pouvoir apparaître sur l’agrégateur Google Discover, devenu depuis 2024 le principal pourvoyeur d’audience pour les sites de presse en ligne. Une étude de NewsGuard datant de mai 2025 fait état de près de 1 300 sites d'actualités générés par l'IA, répartis en 16 langues et utilisant des noms ou des photos usurpés pour donner l’illusion qu’ils sont tenus par de « vrais » journalistes.

Même quand l’information est créée par de vrais sites de presse et issue d’un travail journalistique, rien ne garantit désormais que cette dernière soit correctement délivrée aux lecteurs. En effet, 7 % des consommateurs d'informations en ligne utilisent des assistants IA pour s'informer – et jusqu’à 15 % chez les moins de 25 ans, d’après Reuters. Or, l’information relayée par ces « moteurs de réponses » se trouve bien souvent dégradée. C’est ce que souligne une étude coordonnée par l’Union européenne de radiotélévision (UER) et dirigée par la BBC, publiée le 22 octobre. D’après cette dernière, 45 % des réponses données par ChatGPT, Copilot, Gemini et Perplexity (sur 3 000 requêtes analysées) présentaient au moins un problème important, tandis que 31 % des réponses révélaient de graves problèmes de sourcing.

Substack contre la dashboard culture

Face à ces changements, les médias ont toujours autant de difficultés à diversifier leurs sources de revenus. La force algorithmique des grandes plateformes qu'on appelle aussi la dashboard culture et qui recommande le contenu et concentre les usages à la page « For You », rend plus difficile que jamais la construction de modèles économiques durables.

Après s’être détournés de la publicité en ligne, largement captée par les plateformes sociales et Google, les éditeurs tentent de développer leurs activités d’abonnement numérique. Mais toujours d’après Reuters, la proportion de personnes payant pour des informations en ligne reste stable à 18 % dans un ensemble de 20 pays plus riches – la majorité se contentant encore des offres gratuites. Délivrer de l’information directement aux lecteurs/viewers abonnés et contrôler l’environnement numérique dans lequel ils se trouvent, afin de tenter de les soustraire du flux algorithmique, est l’un des grands enjeux du moment.

Aux États-Unis, la plateforme Substack poursuit son développement après avoir accueilli de grandes plumes fuyant les legacy media comme Casey Newton, Paul Krugman, Joy Reid ou Taylor Lorenz. À présent, elle met à disposition de ses utilisateurs abonnés un « Twitter » interne intitulé Notes, ainsi que la possibilité de diffuser de la vidéo courte ou longue pour accompagner les podcasts longs formats, par exemple. Plus de la moitié des 250 créateurs les plus rentables utilisaient l'audio et la vidéo en avril 2024, un chiffre qui a bondi à 82 % en février 2025. La fonction Notes apporterait, quant à elle, près de 50 % des abonnements gratuits et 30 % des abonnements payants.

Avec près de 6 millions d’abonnés payants, la plateforme, qui était dévolue aux newsletters, semble avoir réussi sa transformation en écosystème médiatique à part entière. Elle a aussi réussi à imposer dans le paysage l’idée qu’un média soit davantage porté par une équipe de plumes et de créateurs bien identifiés que par la marque du média elle-même. C’est notamment le cas pour The Free Press et The Ankler, présents sur Substack et dont la page d’accueil regroupe toutes les newsletters individuelles de leurs journalistes.

Les médias engagés tentent de s'unir

Ce positionnement « anti-algorithme » se retrouve aussi dans les initiatives françaises du Portail des médias indépendants et de la Presse Libre. Le premier projet est un site web « à l’ancienne » conçu par le média Basta ! et édité par l’ONG Alter-Média, qui regroupe en son sein plus de 70 médias engagés allant du Canard enchaîné à StreetPress, en passant par Vert le Média, Fakir, Le Jour ou Disclose. Trois fois par jour, des curateurs humains mettent en avant un total de 15 articles reflétant l’actualité du moment. Le portail revendique un journalisme engagé garantissant, par exemple, une interdiction de discours xénophobes, mais il garantit aussi des articles faits par des professionnels et non générés par IA. La seconde initiative est quant à elle une plateforme réunissant les trois Rue89 (Bordeaux, Lyon et Strasbourg), Arrêt sur images, Politis, Next (ex-Next INpact), Reflets.info et Mediacités, sous l’égide d’un abonnement commun à 19,90 euros par mois. Une telle initiative avait déjà été tentée en 2022, mais s’était soldée par un échec.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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