
Baisse de confiance dans les médias, invasion de l’IA, concurrence face aux influenceurs et montée des monopoles… La dernière édition du festival Médias en Seine avait des allures de chant du cygne.
« Établir un rapport de force avec les plateformes IA pour ne pas être pillés », « le journalisme est en train de devenir une niche marginale », « Trump a gagné en tapant sur les médias traditionnels », « On a perdu face à des influenceurs comme Joe Rogan ». Si vous êtes journaliste et que vous vouliez recevoir une bonne dose de seum, alors le festival Media en Seine était l’endroit où il fallait être ce mardi 14 janvier. L’évènement annuel qui se tient entre la Maison de la Radio et le siège du groupe Les Echos/Le Parisien fut l’occasion de mettre les points sur les i : en 2025, le journalisme va devoir se réinventer ou être avalé.
Trump et Musk dans le collimateur
C’est surtout l’élection de Trump qui a mis en alerte la plupart des intervenants du festival. Alors que cette victoire paraissait improbable pour beaucoup, cette dernière a été attribuée à plusieurs facteurs comme le déclin inexorable des médias locaux et la montée des créateurs de contenu et influenceurs inféodés aux milliardaires libertariens comme Joe Rogan, dont le podcast touche plus de 14 millions de personnes sur Spotify et plus de 16 millions sur YouTube. Pour Thibaut Bruttin, directeur Général de Reporters sans frontières, la dérégulation totale de l’espace médiatique est l’une des causes principales de cette marginalisation. « À terme, le journalisme risque de devenir comme le jazz », indique-t-il. « On va continuer d’en produire, mais ça sera destiné à quelques privilégiés. Pour faire en sorte que le journalisme redevienne grand, il faut donner de la place à l’éthique. Pour cela, il faut des plateformes numériques et des algorithmes qui favorisent des informations fiables. Sans cela, nous sommes condamnés à devenir une niche. »
Ces vœux semblent pourtant loin d’être réalisables. Dans une interview donnée au sujet de la dépendance des plateformes numériques, le journaliste canadien et expert en déontologie Alain Saulnier indique que nous sommes entrés dans une ère de la désinformation sans précédent. « Elon Musk gère non seulement les flux d’information et de désinformation, mais dicte aussi l’évolution des sociétés, aux États-Unis et en Europe », indique-t-il. « La presse n’est plus en état de suivre puisqu’elle est invisibilisée et même, dans le cas du Canada, bannie des plateformes. » Pour ce dernier, les podcasts et les newsletters semblent être la seule alternative pour le moment.
Dérégulation du paysage médiatique
Le même constat de dérégulation est aussi fait du côté des annonceurs. Comme Ulrike Decooene d’AXA ou Gautier Picquets de Publicis, qui évoquent non seulement une « dissolution de la fonction des médias », mais aussi une « configuration où l’on ne maîtrise plus rien ». Entre la fin du fact-checking et d’une certaine forme de modération sur les plateformes Meta et la montée des « mute news » , c’est-à-dire une invisibilisation de l’information de qualité dans les fils d’actu des plateformes qui mélangent les contenus comme TikTok, il devient très difficile de pratiquer la « brand safety », et les publicités vont à présent s’afficher sans contrainte à côté de publications racistes ou homophobes.
Sybile Veil, la directrice de Radio France, s’inquiète quant à elle des attaques menées sur les médias du service public. « Il faut rappeler que ces structures payées avec les impôts des citoyens ont été montées après la Seconde Guerre mondiale pour contrer les médias fascistes », indique-t-elle peu après l’intervention du député RN de l’Oise et vice-président de la Commission des affaires culturelles Philippe Ballard, qui appelait de ses vœux à une fusion et une privatisation partielle du service public. Pour ce dernier, cette solution serait une garantie de sauvegarde face aux géants (comprenez les GAFAM) qui « veulent nous bouffer ».
Les Français toujours plus méfiants
Et le public dans tout ça ? Dans un contexte toujours plus compliqué, sa confiance dans les médias ne cesse de s’étioler. Dans un nouveau baromètre La Croix/Verian/La Poste présenté à l’occasion du festival, 62 % des personnes interrogées estiment qu’il faut « se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité », un avis qui progresse de 5 points par rapport à 2023. 70 % d’entre eux préfèrent même revoir des informations de la part de leurs proches plutôt que des médias. 51 % des Français expriment aussi un sentiment de rejet ou de fatigue face aux sujets d’actualité, tandis que 41 % d’entre eux expriment de l’angoisse (+ 3 points par rapport à 2023). Reste toutefois un petit espoir : ils sont 76 % à déclarer suivre l’actualité avec « grand intérêt ».
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