
J'ai vu tant de choses que vous GenZ et Alphas ne pourriez croire. J'ai scrollé des forums, des posts Facebook et des photos Tumblr. Tous ces moments se perdront dans le temps comme les larmes dans la pluie.
On le sait tous, le Web change à la vitesse de l'éclair et dix ans paraissent un siècle. Depuis les forums et les blogs jusqu'à TikTok et Roblox en passant par Tumblr ou Facebook, le paysage médiatique en ligne a considérablement changé. Malgré cela, Internet a gardé pendant près de 15 ans une certaine forme de culture commune et de participation en public qui faisait son unité. Or cette unité est justement en train de disparaître sous nos yeux.
Sur Internet plus personne ne sait ce que vous regardez
Dans un article de The Atlantic intitulé Nobody Knows What’s Happening Online Anymore (à traduire par : Personne ne sait plus ce qui se passe en ligne), le journaliste Charlie Warzel met le doigt sur cet étrange phénomène que certains appellent « le web vaporeux ». Pendant plus d'une décennie, les internautes ont utilisé des plateformes sur lesquelles ils voyaient passer plus ou moins les mêmes choses. Mais ces dernières ont cessé de remplir leur rôle de « carrefour numérique ». Twitter est plus ou moins à l'agonie, Facebook et Instagram sont perclus de publicité, les sites web se ferment à coup de paywalls et TikTok, la seule place forte qui semble rester, est régi par un algorithme qui individualise les contenus. Même les « tendances » que nous chroniquons à longueur d'article ressemblent de plus en plus à des pratiques de niches qui bénéficient çà et là d'un effet de loupe donné par le jeu des recommandations et des articles de la presse en ligne.
Cette transformation du Web en micro niches via TikTok se constate d'ailleurs dans son top annuel des vidéos les plus regardées de 2023. Comme l'indique The Verge, il est fort probable que vous n'ayez jamais vu la make-up routine de @dollievision alors qu'il s'agit de la vidéo la plus visionnée aux États-Unis avec 504 millions de vues et 37 millions de likes. Il est fort à parier que le même phénomène s'applique aux neuf autres vidéos de ce top et même a d'autres plateformes.
Dans son top annuel, Netflix a mis en avant la série The Night Agent comme étant l'une des plus regardées cette année alors que personne sur les réseaux n'en a véritablement parlé. Plus personne ne sait ce que les autres consomment et ce qui est populaire pour les uns et totalement invisible pour les autres.
Back to the dark social
À cette fragmentation dissociative vient s'ajouter un autre phénomène. De plus en plus d'internautes ne participent plus vraiment à la production de contenus sur les réseaux sociaux et deviennent de simples consommateurs. Pour vous en convaincre, il suffit d'aller faire un tour sur votre vieux profil Facebook et regarder les "souvenirs" d'il y a 5 ou 10 ans que la plateforme fait remonter. Au début des années 2010, nous postions régulièrement des photos ou des statuts, nous alimentions un blog ou un fil Tumblr pendant quelques mois avant de « faire une pause ». À présent, cette production s'est largement déportée vers ce qu'on appelle le « dark social », des réseaux plus privés comme Discord pour les plus jeunes ou dans les messageries privées embarquées tel WhatsApp pour les plus anciens. Ainsi Adam Mosseri, responsable d'Instagram, a déclaré en juillet que les utilisateurs de l'application partageaient plus de photos et de vidéos en messages directs que dans leurs stories.
Comme le dit Shubham Agarwal, journaliste qui a écrit un article sur le sujet pour Business Insider, nous sommes passés d'un Internet qui ressemblait à une sortie au centre commercial à un Internet plus semblable à une soirée entre amis. La publicité omniprésente, l'exacerbation des tensions politique, la culture du clash perpétuel et la sensation de burn-out informationnel ont sans doute précipité la chute des grandes plateformes sociales.
L'avenir appartient aux créateurs pros
D'après une étude menée par Gartner, plus de 50 % des internautes vont drastiquement baisser leurs interactions sur les plateformes sociales dans les deux années à venir. Est-ce à dire que nous nous dirigeons vers un Internet "vide" qui se remplira peu à peu de contenus générés par IA ? Pas forcément. Le magazine Fortune estime que le Web est tout simplement en train de se professionnaliser. Dans un article récent, le journaliste Paolo Confino prétend que c'est avant tout les créateurs de contenus professionnels, comme les streameurs, les youtubeurs ou les tiktokeurs qui sont en train de prendre le relais. D'après un rapport de Goldman Sachs, l'économie des créateurs devrait représenter une industrie de 480 milliards de dollars en 2027 soit presque le double de la valeur actuelle du secteur qui est de 250 milliards de dollars. Alors qu'elles permettent de suivre à la fois des proches et des créateurs, les plateformes sociales vont achever leur transformation en plateforme de distribution de contenus.
Excellent article et analyse. merci!
bravo pour l'article
C'est quoi du contenu ? Influenceurs un métier ! Cela nécessite une remise en cause de la base d'internet créé par le CERN en Suisse comme base documentaire libre et gratuite. Nous perdons notre âme...
Très intéressant. Ne risque-t-on pas d'avoir une nouvelle rupture générationnelle ? A l'exception d'une infime minorité, je ne me reconnais pas du tout dans les contenus proposés par les créateurs pros. C'est souvent (très) bavard, peu varié dans sur la forme (voire même pénible avec des tics de montage horripilants). C'est terrible, on dirait de la télé... en moins bien.
Quelle belle méta-référence à Roy Batty, très à propos pour les Z...