Gaspard G

Gaspard G : « Nous sommes entrés dans l’ère des grands youtubeurs producteurs »

Peut-on faire du journalisme sur YouTube tout en étant le patron d’une agence qui travaille avec des marques ?

Youtubeur, journaliste de terrain, mais aussi patron de maison de production et directeur d’agence de créateurs… Gaspard G est clairement sur tous les fronts. Alors qu’il propose à ses viewers des reportages et des vidéos de décryptage de l’actualité, cet entrepreneur met aussi en collaboration des youtubeurs et des grands groupes ou des institutions pour créer du contenu de communication. Loin de trouver ces différentes fonctions antinomiques, notre entrepreneur estime qu’il s’agit d’une mise à jour de la manière dont on produit du contenu sur les réseaux. Rencontre.

Gaspard, est-ce que tu te considères plutôt comme un youtubeur entrepreneur ou bien comme un journaliste ?

Gaspard G : Pourquoi choisir entre les deux ? Je ne m'impose aucune étiquette, je suis youtubeur, entrepreneur, j'ai une société de production et une agence. J'ai l'impression que mon travail de créateur de contenu qui tente d'expliquer ce qui se passe dans le monde n'est pas bien différent du travail d'un journaliste vidéo du Monde ou du Figaro. Maintenant en France on a une petite névrose liée à la carte de presse. Si on s'en réfère à la charte de Munich, je ne suis pas journaliste, car mon modèle économique c'est la publicité et les placements de produits que je fais en début de vidéo.

Comment choisis-tu tes sujets et comment définis-tu ta ligne éditoriale ?

J’ai la chance d'avoir une liberté de dingue, je n’ai pas de patron au-dessus de moi et c’est ma curiosité qui décide des sujets. Si je dois partir, je peux le faire, je dois juste trouver de quoi me financer. Concernant ma ligne éditoriale, je pense que je suis une personne engagée, mais pas militante. Il y a forcément des biais dans la manière dont je donne des informations. On sait que je suis plutôt progressiste, plutôt engagé pour la cause environnementale. Ensuite, mon objectif est d'offrir une information la plus objective possible, un peu à la manière du service public qui veut permettre à tout le monde de comprendre le monde dans lequel nous vivons.

On dit que les plus jeunes ne veulent plus s’informer. Tu en penses quoi ?

Je pense que les jeunes s'intéressent au monde qui les entoure, mais je pense aussi qu'il faut avoir une tonalité différente de ce qu'on a pu proposer à la télé et à la radio pour les attirer. On a un gros souci d'authenticité au sein des plateaux, je trouve. Quand je suis invité sur des matinales, j’observe tout le monde, journalistes et politiques, se tutoyer et se demander comment vont leurs enfants. Dès que les micros et les caméras s’allument, tout le monde se met en mode poker face et démarre une interview très formelle. Je pense qu'on peut avoir plus de transparence et plus d'authenticité auprès de l'audience.

YouTube est souvent accusé de pousser ses créateurs dans le burn-out. C’est quoi ton rapport à cette plateforme ?

YouTube a plein de soucis : les contenus sont mal parfois mal vérifiés, comme tous les GAFAM, ils ne payent presque pas d’impôts… Mais dans l'océan des mauvais joueurs, c'est la plateforme la moins pire et la plus présente pour les créateurs de contenu. Sur TikTok, mes vidéos sur les Ouïghours sont bannies, alors que YouTube me laisse les publier. D'un point de vue fatigue, j’ai la chance d’être accompagné d’une équipe de journalistes, de ma productrice et de vidéastes. À mon sens, ce sont plutôt les créateurs indépendants – entre 50k et 600k – qui essayent d’en faire une activité rémunératrice et sont dans les galères. J’ai connu cette période où on travaille chez soi de 8 heures à 22 heures. Cela peut rendre fou.

Ton modèle économique dépend de la publicité. Est-ce que tu as envisagé le financement participatif ?

J’ai essayé ce type de financement via Tipie et Patreon et avec 500 000 abonnés j’ai réussi à lever… 95 euros. En fait ça fonctionne très, très bien pour un certain type d'audience très engagée, voire militante. Ce sont surtout des gens très marqués politiquement qui peuvent lever des fonds. En gros ça marche, pour Mediapart ou Livre Noir (un média d’extrême droite créé par Erik Tegnér). D’après ce que me dit mon public qui est plutôt jeune, ils préfèrent regarder une pub intégrée plutôt que de devoir payer. À mon sens, la nouvelle génération ne voit pas le problème entre les néojournalistes et le fait qu’ils se financent avec de la publicité qu’ils font eux-mêmes. Mais bon, clairement, je préférerais être financé par mon audience et par des aides publiques. Faire de la pub est la partie la moins intéressante de mon travail.

Pourquoi avoir créé une agence de créateur de contenu ?

C'est parti du constat que les créateurs de contenu qui font de l'information ou de la vulgarisation ont du mal à se faire financer quand ils se lancent sur YouTube. Il y a de grandes agences qu'on connaît comme Webedia ou Follow pour la mode ou le lifestyle, Bump, ou Maison Grise pour le divertissement, mais il manquait une maison pour ceux qui fournissent de l'info et de la vulgarisation. J’ai donc créé Intello qui regroupe 20 créateurs soit 11 millions d'abonnés et qui bosse avec des institutions publiques, des grands groupes ou des ONG. On travaille avec ces marques dès qu'on sent qu'il y a accord entre leur message et notre vision des choses. On ne veut pas bosser avec Total ou Bayer-Monsanto par exemple. Ça demande d'être exigeant et ça demande aux marques une certaine adaptation, car on sait qu'on va parler d'absolument tous les sujets, sans limites.

Tu cumules les casquettes de journaliste, de présentateur et de chef d'entreprise. Est-ce que cela pose un souci éthique ?

Pour moi, on peut dresser un parallèle avec les producteurs de la télévision. On peut citer Arthur avec Endemol, Yan Barthes avec Bangumi, Laurent Delahousse avec Magneto Press. À mon sens, cette grande époque des animateurs producteurs est maintenant terminée et a laissé la place aux youtubeurs producteurs. Squeezie est le plus visible. C'est un chef d'entreprise qui emploie des dizaines de personnes et qui fait des contenus qui explosent les records. Sur l’éthique, je suis directeur de l'agence, mais je suis tellement débordé par l'éditorial que je m’occupe très peu de l'opérationnel. Donc, je ne me sens pas de conflit d'intérêts à ce niveau, mais je peux comprendre que ça puisse poser problème.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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