
Appelée aussi Adrian Eeffoc Brainrot ou adriancore, cette trend absurde dénonce les effets du scrolling sur notre psyché.
Son saturé, images sans queue ni tête, mâtinées d’effets visuels explosifs qui défilent et se mélangent en raison de bugs visuels, blagues absurdes à base de café épelé à l’envers et adolescents cringe remixés dans des univers de mangas, vieux extraits de comédies musicales… Vous avez peut-être déjà croisé sur TikTok ces montages épileptiques qui ne semblent avoir aucun sens. Cette trend porte un nom : l'Eeffoc ou l’Adrian Brainrot et elle est, sans doute, la forme la plus aboutie pour expliquer ce que le scrolling intensif de vidéos peut faire à notre cerveau.
Compilation de blagues nulles
Apparus pendant l’été, ces « édits » (le petit nom que l’on donne aux vidéos montées et rythmées par de la musique) sont reconnaissables par les extraits récurrents des mèmes qu’ils remixent. On trouve d’abord une blague gênante (et intraduisible) de 2019 intitulée Eeffoc, qui consistait à dire face caméra : « Coffee spelled backwards is eeffoc. Just know that I don't give eeffoc until I've had my coffee. »
S’ajoute à cela le mème « Adrian, Explain Our Friend Group », un extrait vidéo viral datant de février 2023 dans lequel un adolescent est sommé de décrire face caméra son groupe d’amis. Ce dernier explique qu’ils sont originaires de l’Ohio, puis se met à chanter, de manière gênante, une version de Swag Like Ohio, concluant qu’ils sont « un putain de chaos ».
Le troisième mème le plus remixé dans ces edits est intitulé « A Barbershop Haircut That Costs a Quarter ». Il provient d'une comédie musicale Newsies, dans lequel l’acteur Kevin James Sievert prononce la réplique en chantant, avec un accent new-yorkais prononcé, faisant sonner quarter comme quarta ou qwarta.
D’autres extraits tout aussi absurdes entrecoupent ces trois mèmes, souvent agrémentés d'effets visuels typiques de TikTok : lasers qui sortent des yeux, cercles de flammes qui explosent sur l’écran…
Du lobotomycore conscient
Cette forme de montage apocalyptique n’est pas subitement apparue sur TikTok. Comme l’indique le site Know Your Meme, il s’agit d’une agglomération de vidéos virales qui ont été ajoutées puis mixées les unes aux autres depuis maintenant trois ans. Il est d’ailleurs possible de remonter jusqu’en 2023 et aux vidéos du créateur natspone pour trouver ce format chaotique portant le nom de lobotomycore.
L’idée de ces edits était déjà là : mettre en abyme les tendances et les gimmicks des vidéos TikTok, en les décontextualisant de manière tellement absurde qu’elles provoquent chez le spectateur une sorte d’engourdissement mental.
Mais au-delà de cette esthétique particulière, qui rappelle les formats du YouTube poop du début des années 2010, ces montages dénoncent l’ère du scrolling permanent. Pour Aidan Walker, ancien auteur sur Know Your Meme et spécialiste de la culture web, la particularité de la trend Eeffoc est de mettre en scène des personnages de la vie de tous les jours qui ne sont pas exceptionnels et dont les blagues ne sont pas particulièrement drôles. « En élevant ces personnes ordinaires (au rang de mèmes), ces vidéos nous élèvent nous, les spectateurs ordinaires, comme un public algorithmisé. »
Cette volonté se trouve renforcée par les fameux effets spéciaux (yeux laser ou cercles de feu) issus du logiciel CapCut, ou encore par les logos TikTok ou Reels, eux aussi mis en scène dans les vidéos. L’Eeffoc tente de nous faire prendre conscience de l’absurdité des recommandations des plateformes de contenu. « Les vidéos Eeffoc simulent ce que ça fait d’avoir passé une heure sur TikTok, indique Aidan Walker. Elles arrivent à assembler ces différents morceaux de déchets viraux, qui remontent parfois à 2023, et qui se présentent à vous sous la forme d’une épiphanie : un flash éveillé et conscient qui s’évanouit ensuite. »
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