
Donald Trump a précipité la censure de milliers de pages et de données de sites gouvernementaux. Mais quelques documentalistes rebelles et appliqués organisent la résistance.
Plus de 8 000. C’est le nombre de pages web effacées des sites gouvernementaux US fin janvier, selon le New York Times. La cause ? Une rafale de décrets signés dès J1 du second mandat par Donald Trump himself visant à démanteler les politiques de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI). Conséquence : toutes les pages pouvant entrer en opposition avec l’obsession du Commander-in-Chief d’éradiquer toute référence au changement climatique et aux populations immigrées et LGBTQA+ ont tout simplement été supprimées.
Vortex d'erreur 404
Le projet End of Term Archive, de l'ONG Internet Archive, qui archive les sites gouvernementaux depuis 2008 à chaque transition présidentielle, a rendu possible une première estimation des dégâts grâce à une sauvegarde de 500 téraoctets dont plus de 100 millions de pages Web. L'accès à ces pages préservées a été permis par son outil Wayback Machine, archive interactive et machine à remonter le temps du Web mondial. De quoi donner lieu à de très évocateurs avant / après comme, n'en déplaise à Elon Musk, cette suppression d’informations sur l’électrification des flottes de véhicules du site de la General Services Administration. Autres sites disparus : la version espagnole du site de la Maison-Blanche, des ressources de prévention et de prise en charge du sida pour les communautés les plus pauvres ou LGBTQ+, ou encore la page du centre du changement climatique du ministère des Transports... Un véritable vortex d'erreur 404.
Documentalistes et Data Hoarders United
Si une décision judiciaire a permis depuis de rétablir certaines pages, un front de rebelles des archives s'est constitué. Aux avant-postes : les documentalistes d'universités. « C'était notre communauté de départ, mais on a vite embarqué des experts en bio-informatique, des chercheurs, des ONG et même des membres actifs de Reddit, comme le groupe Data Hoarder (800k abonnés) », explique Lynda Kellam, une des organisatrices du Data Rescue Project 2025 (DRP). D’un simple Google Doc, le DRP s'est mué en un hub stratégique pour la préservation numérique, sauvegardant près de 200 jeux de données, de l’agriculture à l’énergie, en passant par les statistiques de santé publique. Véritable acte de résistance ? « Notre mission est de préserver l’accès à l’information. Nous ne faisons que notre travail », tempère Linda Kellam. Cependant, Donald Trump n'en est pas à son coup d'essai. Comme le rappellent le documentaliste de recherche Eric Nost et le spécialiste des politiques Alejandro Paz, lors de son précédent mandat, « au moins une douzaine d’outils d’analyse du climat et de “justice environnementale” [...] et des termes comme “changement climatique” ou “résilience” avaient été supprimés des sites Internet gouvernementaux ». Reste que ce deuxième assaut est plus virulent « avec des suppressions d’informations plus rapides et plus généralisées », estiment les universitaires.
Une leçon à suivre ?
Trump semble avoir sous-estimé ces résistants de la Data mieux préparés à riposter grâce à ses premiers autodafés numériques. Mark Graham, directeur de Wayback Machine, reste prudent : « Les gouvernements, les organisations comme l'ONU et les institutions de mémoire indépendantes comme l'Internet Archive sont loin d'en faire assez. Notre capacité à préserver notre patrimoine culturel numérique est dépassée par la croissance du matériel publié, en particulier le matériel public. » Linda Kellam s'inquiète : « Ce qui me préoccupe le plus, c'est l'accès restreint aux données gouvernementales ou aux données qui nécessitent une procédure de demande, comme les PRAMS (Programme de surveillance des risques liés à la grossesse) ». Face à une administration en croisade aveugle, la sanctuarisation de ces données publiques paraît cruciale. Une question qui transcende les frontières. « J'espère que cet exemple américain contribuera à mettre en lumière ces menaces qui pèsent sur nous tous et qu'il permettra d'accorder plus d'attention et de ressources à la conservation, à la découverte et à l'accès aux données numériques » conclut Mark Graham.
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