Ben de Benaminute expliquant le passage à l'alt-righ sur YouTubet

Devenir fan de l’alt-right en 48 vidéos ? C’est possible avec YouTube Shorts !

Combien de shorts faut-il regarder sur YouTube avant de se voir proposer des contenus penchant très fortement vers l’extrême droite et le trumpisme ?

Pour savoir si YouTube Shorts pousse ou non ses utilisateurs américains vers l’alt-right, le youtubeur américain Ben de la chaîne Benaminute s’est infligé un visionnage de plusieurs heures en auto-play de « shorts », ces courtes vidéos dont la durée oscille entre 5 secondes et trois minutes. Dans la vidéo intitulée « J'ai regardé des courts métrages jusqu'à ce que je devienne d'extrême droite », le vidéaste livre les résultats de son expérience.

Jésus IA, petits chiens et Josh Hawley

Pour ne pas biaiser l’exercice, Ben a pris quelques précautions : création d’un nouveau compte Google, utilisation d’un VPN pour camoufler son adresse IP, et visionnage avec le son de l’intégralité des vidéos qui lui sont montrées. L’objectif : laisser l’algorithme se dérouler de la manière la plus neutre possible jusqu’à l’apparition de vidéos favorables à l’alt-right. Rappelons que la définition de l’alt-right, même si elle est relativement élastique, désigne la mouvance d’extrême droite aux accents suprémacistes et complotistes, née aux États-Unis à la fin des années 2000 et ayant fleuri sur des forums et plateformes comme 4Chan, Parler et Gab. Aujourd’hui, la mouvance rassemble aussi bien Jake Chansley, le chaman QAnon parti à l’assaut du Capitole, la podcasteuse Dasha Nekrasova du collectif new-yorkais branchouille Dimes Square, les influenceuses chrétiennes de la chaîne YouTube Girl Defined, ou encore Michael Flynn, conseiller de l’administration Trump version 2016.

Allons-y. Après 48 clips de chatons, lip-syncs de Wicked et scènes de films très politiquement correctes, on bascule sans transition vers un sermon chrétien suivi d’un extrait du podcast The Shawn Ryan Show. Rien de suspect à première vue, sauf si l’on sait que Shawn est un ancien des forces spéciales de la marine de guerre, aimant recevoir Pete Hegseth, le chrétien nationaliste candidat de Trump à la Défense, l’éditorialiste climatosceptique Tucker Carlson, le masculiniste Jordan Peterson, ou encore Randall Carlson, pseudo-archéologue qui explique sur YouTube que les pyramides sont d’anciennes usines. On enchaîne ensuite avec des vidéos générées par IA de Jésus récitant des versets de la Bible et d’innocentes recettes de cuisine. Au bout de 108 shorts, place au sénateur républicain Josh Hawley, dont le programme tient en trois mots : Travail, Famille, Dieu. « S’il y a une chose que je sais après avoir répété deux fois l’expérience [quelques mois plus tôt, le vidéaste avait tenté l’expérience avec des vidéos longues], c’est que l’algorithme de YouTube adore ce sénateur du Missouri », observe Ben. Après une énième rafale de Jésus IA, émergent des vidéos d’un comédien « anti-woke » qui raille la vulgarité du morceau WAP de la rappeuse Cardi B, morceau également abhorré par l’avocat et commentateur politique Ben Shapiro, qui débarque bien vite après, en donnant son avis sur « les Arabes ».

Le grand road trip de l’alt-right

« Dix heures de doomscrolling » et 500 shorts plus tard, quel bilan ? Sans intervention, l’algorithme propose principalement du contenu brain rot et chrétien en tous genres, entrecoupé de 21 vidéos politiques, soit seulement 4 % du total. Sur ces 21 vidéos, 19 tendent farouchement à droite. Parmi elles : Trump s’exclamant sous les applaudissements « Je vais les bombarder à mort » (les = ici les Iraniens) ou Joe Rogan et Elon Musk, la "Space Karen", se tapant des barres. Pour détecter d’éventuels biais régionaux, le vidéaste a reproduit l’expérience quatre fois. Lors de la première itération, son VPN le géolocalisait à Atlanta, une ville démocrate logée dans un État républicain, la Géorgie. Mais qu’en est-il dans le Texas ou l’Illinois ?

À Houston, il faudra seulement 87 shorts pour tomber sur un montage superposant Trump à une figure christique, contre 243 à New York pour faire remonter une vidéo anti-avortement de l’ONG Turning Point USA. À San Francisco, en revanche, toujours rien en vue après plus de 250 shorts, tandis que le cap est franchi à Chicago après seulement 98 vidéos. À noter : une grande majorité de vidéos diffusées dans la Windy City consistaient en brain rot pour jeunes enfants. En toute logique, la première vidéo à visée politique est donc une animation montrant Gru du dessin animé Moi, moche et méchant affirmant que voter pour Kamala Harris faisait perdre des points, tandis que voter pour Donald Trump permettait d’en gagner, car il était « trop rizz » et avait plein d’ « aura» ( « cool » en jargon alpha).

Quelle leçon tirer après plus de 22 heures de shorts YouTube ? Aux yeux du vidéaste, une seule chose est sûre : l’algorithme veut surtout nous retenir le plus longtemps possible, quels que soient le contenu et ses effets (politiques) secondaires.

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