Les vidéos de cuisine explosent les compteurs vidéos sur les réseaux sociaux. Chefclub, petite startup française s'est imposée comme leader mondial. Comment fait-on pour fabriquer une vidéo de food qui cartonne sur les réseaux ? On vous explique.
Vous adorez regarder ces vidéos de recettes où tout paraît simple comme bonjour ? « Promis, demain, je les fais, ces pommes de terre aux lardons. Fastoche ! » (Vous finissez chez Picard, mais là n'est pas la question). Oubliez tout ce que vous pensiez savoir sur ces vidéos courtes. Ce n'est pas de la cuisine, c'est du big data. Et le leader mondial est français. Il s'agit de Chefclub, la chaîne food qui enflamme les réseaux.
Voir cette publication sur Instagram
Tous les jours, dans les locaux de l'entreprise, situés à Paris, ( « base stratégique de la gastronomie », selon Thomas Lang, l'un des co-fondateurs de Chefclub), des datas analystes scrutent le web à l'aide d'un algorithme maison pour détecter les tendances food qui cartonnent ou qui vont cartonner. Les données compilées viennent d'Instagram, de Facebook, de Google ou de Youtube, et mixent tendances, aliments ou vidéos qui buzent.
Les résultats sont ensuite communiqués à des équipes créatives, chargées d'interpréter ces résultats en recettes et de les mettre en images. Ce jour-là, il s'agissait d'un gâteau de coquillette astucieusement entouré d'un ruban de bacon (qui ressemble au gâteau de raclette ci-dessous)
Voir cette publication sur Instagram
Chefclub, leader sur le marché français
Et la recette marche (celle du big data, pas des coquillettes). Bien que moins connu que Tasty ou Tastemade, ses concurrents directs, Chefclub rafle pourtant la mise haut la main sur Facebook. D'après un baromètre réalisé par Nuke Suite portant sur Octobre 2018, la chaîne de food caracole en tête de 355 médias français incluant TV, radio, pure player ou presse. Chefclub comptabilise plus de 18 millions de fans (contre 7,8 millions pour 750g Recettes Gâteaux, à la troisième place du classement), et se place en tête pour le meilleur gain de fans sur la période (+ 455 543). Les vidéos génèrent aussi le plus d'interactions (230 000 environ par post).
Le potentiel du steak, la poésie du lardon
Grâce au big data, « tu mets en lumière un territoire d'opportunité autour d'un ingrédient qui a l'air de performer », explique Thomas Lang. Ravie d'avoir encaissé sans égratignure cette rafale d'anglicisme, je tente de comprendre.
Agustin, expert en données, me donne des éléments de réponse : « Par exemple, nous avons mis en lumière le fait que l'on utilisait beaucoup de viande hachée dans nos vidéos, contre seulement une utilisation pour le steak. Et pourtant ça avait marché. Donc on ne sait pas pourquoi, mais il faut améliorer l'utilisation du steak », explique Agustin.
« De la même manière, dans plusieurs recettes, on utilisait des lardons. Si, à la place, on utilise des dés de jambon, on passe de 32% de rétention à 72%, sur certains types de recettes. Les gens préfèrent, parce qu'ils trouvent ça moins lourd. »
« Nous travaillons avec les données dont on dispose avec nos vidéos, explique Thomas Lang. Tout est analysé : la musique, l'image et les aliments. Ça fonctionne comme Vidclust, la startup rachetée par Minute Buzz, mais pour de la vidéo. » Concrètement, l'entreprise est capable de déduire le combo optimal pour une recette : des briques de style New York, un mur de pierres blanches ou des planches en bois, de la techno ou du jazz. Même l'entrée des mains dans le champ de la vidéo a été étudiée. Concernant la couleur, la lumière ou la marque du sel et du poivre ? « Pour le moment, on n'en est pas là », indique Thomas Lang.
Tournage à l'iPhone
Autre ingrédient de la recette du succès : le matériel de tournage. Dans les six studios, rien de sophistiqué. Tout est filmé à l'iPhone 5, « même pas le dernier », sourit le fondateur. « Nous avons essayé du matériel plus performant, mais le public avait du mal à entrer dans la vidéo. Ce n'était pas assez réaliste. » Car tout l'enjeu réside dans le fait que tout le monde doit pouvoir s'identifier à la vidéo et aux recettes. « L'image avec un grain plus quali éloignait le public. Ça mettait une distance, comme sur du papier glacé. »
Risque d'uniformisation
À trop vouloir tout analyser, Chefclub ne risque-t-il pas de servir la même soupe à chaque recette ? « Le but, c'est justement d'éviter ça », explique Thomas Lang. Le jazz dans une recette salée d'un Chefclub normal, dans presque tous les cas ça ne marche pas. Du coup, Augustin va voir le ou la directrice artistique et lui dit : "si vous faites un dessert, n'utilisez pas le jazz, prenez de la techno, ça risque de mieux marcher" ou sur une recette de cocktail, n'utilisez pas de musique lente. Ou c'est mieux d'utiliser tel verre ». Mais, précise le data analyst, il n'interdit jamais rien. Il précise que deux ou trois genres musicaux de la banque de musique sont à proscrire. Pour le reste, c'est au créatif de décider.
Chefclub a obtenu « plus d'un milliard de vues en octobre, un mois record », se réjouit le fondateur. La marque se déploie aujourd'hui IRL avec l'ouverture d'un pop-up store à Montparnasse et la vente de produits dérivés.
Et nous, en attendant, nous allons méditer sur le sens du tournage de la cuillère en bois dans notre prochaine purée. Juste pour voir si ça nous vaut plus de likes sur Insta.
Participer à la conversation