
Entre l’avènement de l’IA générative et des réseaux sociaux turbulents, le paysage médiatique est houleux. Mais le journalisme tient la barre. Expérimentations, médias incarnés, rencontres de vive voix…, des horizons s’esquissent.
** Cet article est extrait du Livre des Tendances 2024 de L'ADN, 20 secteurs clés de l'économie décryptés **
La tentation de l’IA
En 2023, l’IA est devenue générative. Capable de créer des images, des textes et bientôt des vidéos à partir d’un simple « prompt », la technologie est utilisée pour créer du contenu vite fait…, et bien fait ?
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Les journalistes sont-ils sur le point de se faire « grand remplacer » par les IA ? Ainsi, aux États-Unis, la plateforme Channel 1 News utilisera l'IA générative pour créer des journaux télévisés conçus sur mesure. En Suisse, la présentatrice météo Jade est générée par IA, « faute de candidats humains retenus pour le poste », justifie la chaîne. Le Koweït a opté pour une présentatrice virtuelle, Fedha, pour présenter le journal télévisé, tandis qu’en Corée du Sud, un avatar synthétique de la journaliste vedette Kim Ju-ha officie depuis 2020. Moins radicale, la possibilité de cloner les voix des journalistes pour générer des traductions instantanées, parfaitement synchronisées avec leurs lèvres, offerte par le logiciel HeyGen, sera prochainement expérimentée par le média Brut, selon les informations du Monde.
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En 2024, il faudra aussi suivre une bataille judiciaire importante pour l'univers des médias, celle opposant le New York Times à Open AI, maison mère de ChatGPT, et son partenaire Microsoft. Fin décembre, le quotidien américain a en effet déposé plainte au tribunal fédéral de Manhattan pour violation du droit d'auteur. Les deux entreprises sont accusées d’avoir causé des « milliards de dollars de dommages-intérêts légaux et réels » liés à « la copie et l'utilisation illégales des œuvres d'une valeur unique du New York Times ». La plainte indique que ces systèmes pourraient très bien générer de fausses informations (les fameuses hallucinations d’IA) et attribuer ces dernières au NYT, ce qui entacherait la crédibilité du média. À l’inverse, le groupe de presse allemand Axel Springer a choisi, lui, de collaborer étroitement avec Open AI, en signant avec la startup dirigée par Sam Altman, un accord de coopération structurant.
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L'essor de l'intelligence artificielle est en passe de bouleverser l'écosystème informationnel, déjà passablement secoué par la révolution numérique et la puissance des plateformes. Comment faire en sorte que cette nouvelle vague technologique ne fragilise pas davantage le journalisme ? Reporters sans frontières et l'Alliance de la presse d'information générale se sont associés pour lancer le projet Spinoza, « un outil d'intelligence artificielle, par et pour les journalistes, qui garantit la propriété intellectuelle des médias sur leurs publications ». À noter aussi, la Charte de Paris sur l'IA, initiée par l'ONG de défense de la liberté de la presse. Issue du travail d'une commission de 32 personnalités internationales, spécialistes du journalisme et de l'IA, et présidée par la journaliste, lauréate du Prix Nobel de la paix, Maria Ressa, elle pose dix principes essentiels pour « garantir l'intégrité de l'information et préserver la fonction sociale du journalisme. »
Médias incarnés
Fini le journal à la papa, sans aspérités. Les médias misent davantage sur leurs têtes d’affiche et leurs convictions affirmées. Tous journalistes influenceurs ?
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Plus engagés, largement suivis sur les réseaux sociaux, les reporters nouvelle génération floutent les frontières entre journalisme, militantisme et influence. Il en est ainsi d’Hugo Clément, ancien journaliste du « Petit Journal », désormais sur France 5 et France Inter, et fondateur du média écologiste Vakita. Suivi par 1 million d’abonnés sur Instagram, il distille ses convictions sur les droits des animaux, entrecoupées de quelques déclarations d’amour à sa compagne. Citons aussi Salomé Saqué, journaliste pour le média Blast, devenue porte-parole d’une génération engagée. Elle a publié cette année le livre Sois jeune et tais-toi (Payot).
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Des journalistes influenceurs… et vice versa. Aux États-Unis, le studio Dear Media forme les influenceuses à la création de podcasts. Un jackpot à 200 millions de téléchargements et près de 12 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2022. Attention au retour de bâton : pour se refaire une réputation, la marque Shein a invité une poignée de personnalités des réseaux à visiter ses usines en Chine. Les apprentis journalistes n’y ont vu que du feu, mais le public, lui, n’a pas été dupe.
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Le journalisme moderne se renouvelle aussi par les verticales… La finance, par exemple, a le vent en poupe, portée par l’intérêt pour les cryptos ou le nouveau féminisme (parfois les deux en même temps) : Plan Cash, lancé entre autres par Léa Lejeune, Les Cryptos de Caro, de Caroline Jurado, ou encore Oseille & Compagnie, plateforme fondée par Héloïse Bolle… Les médias se font 360°, avec un modèle d'affaires qui repose sur des contenus gratuits, des abonnements premium et des formations ou ateliers payants.
Réinventer le social
Alors que les médias sociaux se délitent, les journalistes doivent trouver de nouveaux moyens de parler à leurs publics.
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Il y a du nouveau sur les réseaux. Le rachat de X (feu Twitter), plateforme phare des journalistes, par Elon Musk semble avoir un effet répulsif sur ses utilisateurs. Après une tentative de migration vers Mastodon, sans grand succès, la surprise viendrait-elle de Mark Zuckerberg ? En juillet, Meta a lancé Threads, une app très proche de celle à l’oiseau bleu, directement reliée à Instagram. En quatre jours à peine, 100 millions de téléchargements ont été enregistrés. Et depuis décembre 2023, l'app est disponible en France. L'alternative saura-t-elle convaincre ?
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Et si le nouveau social se faisait en chair et en os ? Avec Mediavivant et Live Magazine, les journalistes montent sur scène pour raconter leurs enquêtes et interviewer en direct leurs témoins. « Un moyen de recréer le lien, de casser les barrières économiques, culturelles, sociales qui séparent le citoyen de la presse », présente Jean-Baptiste Mouttet, cofondateur de Mediavivant.
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Raconter des histoires, c’est aussi le pari de Campside Media, fondé en 2019 par trois journalistes et un scénariste hollywoodien. Le studio de podcasts américain développe des récits originaux et en vend les droits pour des adaptations film ou télé dont ils partageront les profits. En plus de produire des contenus audios pour Apple + ou HBO, l’entreprise a conclu un partenariat avec la compagnie de production Sister (Chernobyl). Le podcast, nouveau POC de la télé ?
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