
Pour faire baisser leurs émissions de CO₂, les grandes agglomérations modifient leurs stratégies de décarbonation en faisant de la résilience et de la régénération les deux piliers du moindre impact. Et ça marche !
Hélène Chartier est directrice de l'urbanisme et du design à C40, un réseau qui regroupe 100 des principales métropoles du monde, dont New York, Los Angeles, Londres, Berlin, Paris, Bangkok, Tokyo, Singapour, Rio, Dakar ou Bangalore, toutes unies dans l'action pour faire face à la crise climatique. Avec son équipe, elle aide les villes à implémenter des pratiques de conception résiliente, et à accélérer le développement et la mise en œuvre de politiques d’aménagement du territoire durables.
Où en est-on dans la transformation des villes vers un modèle décarboné ?
Hélène Chartier : Aujourd'hui, il y a une meilleure prise en compte du rôle que les métropoles et les mégapoles peuvent jouer pour faire face au dérèglement climatique, qui vient en plus de la réduction des émissions de CO₂ Toutes les villes du C40 ont fait leur plan climat. Elles ont identifié les objectifs qu'elles devaient atteindre et elles sont maintenant dans la mise en œuvre des décisions qui ont été prises. La nouvelle donne, c'est la résilience. Alors que pendant longtemps, il s'agissait seulement pour elles de participer à l'effort global de décarbonation, elles doivent maintenant préparer leurs infrastructures, leurs citoyens, leurs services, leurs réseaux de transport à des pluies très intenses, à des épisodes prolongés de sécheresse, à des pics de chaleur extrême pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines...
L'autre changement, c'est la généralisation des actions climatiques à toutes les parties prenantes. Les villes font évoluer leur gouvernance pour la rendre transversale, en impliquant l'ensemble des départements et des services, que ce soit ceux en charge de l'urbanisme, de la voirie, des écoles ou des espaces verts, pour être dans une action collective à laquelle chacun participe. Par ricochet, cela modifie la façon dont les budgets municipaux sont élaborés. Cela veut dire que n'importe quel projet soumis à la gouvernance de la ville, que ce soit la construction d'un nouveau complexe sportif, ou la décision de changer le repas des cantines, va être analysé sous l'angle climatique. Il devient ainsi obligatoire non seulement d'en mesurer l'impact sur les finances, comme ça a toujours été le cas, mais aussi d'estimer les émissions associées à sa mise en œuvre, en fixant un budget carbone à ne pas dépasser.
C'est donc une évolution importante ?
H. C. : Oui, tout à fait. Cette nouvelle approche a poussé les villes à s'intéresser au scope 3 de leurs émissions, celles qui sont générées à l'extérieur du territoire pour un usage à l'intérieur du territoire, ce qui n'était pas le cas avant. Ce sont les biens de consommation et les services que les citadins vont acheter et qui ont été conçus et produits ailleurs, que ce soit en France, en Europe ou dans d'autres régions du monde, pour être ensuite commercialisés en ville. Il s'agit de comptabiliser les émissions de CO₂ qui découlent de leur fabrication et de leur transport. Ce scope 3 est désormais intégré dans les plans climats, ce qui fait que même une ville à la pointe de la transition écologique comme Copenhague comptabilise jusqu'à 60 % d'émissions supplémentaires.
Est-ce que cela veut dire qu'il faut nécessairement transformer la consommation pour transformer la ville ?
H. C. : Assurément. D'ailleurs, les grandes agglomérations commencent à mettre en œuvre des actions pour faire baisser ce type d'émissions. Il y a de plus en plus d'initiatives qui vont dans ce sens, bibliothèques d'objets, réparation, réusage, basculement vers l'économie circulaire... Le mode de vie des gens, ce qu'ils achètent et la façon dont ils consomment est désormais pris en considération. À titre d'exemple, Copenhague a récemment lancé une campagne sur l'alimentation, en travaillant avec les cuisiniers des cantines scolaires associés à de grands chefs danois, pour valoriser une façon de se nourrir plus saine et bien meilleure pour ralentir le changement climatique. Ce sont des sujets auxquels les villes ne s'intéressaient pas auparavant.
Inévitablement, cela ouvre le champ des transformations à opérer ?
H. C. : Oui, bien évidemment. Laurent Fabius avait dit un jour que tout ce qui était facile à faire avait déjà été fait. C'était très juste. Ce qu'on va devoir faire maintenant va avoir un impact plus important sur la vie des gens. Et ce ne sera pas forcément négatif... Il peut y avoir des bénéfices sociaux avec une production de biens et de services qui sera moins chère, plus accessible et de meilleure qualité. Il faut en tout cas nécessairement développer des logiques alternatives pour transformer la consommation.
Cela passe aussi par de nouvelles solidarités territoriales. En Italie, un peu dans la même logique que ce que Copenhague a fait, Milan a mis en place un plan de coopération avec des agriculteurs dont les champs sont situés à proximité de la ville pour que les cantines scolaires puissent être alimentées en produits sains et naturels, ce qui permet de soutenir le développement de l'agriculture écologique, tout en répondant au besoin de mieux manger en ville. Ce type de partenariat est 100% gagnant. C'est un moyen efficace pour faire évoluer la consommation.
Ces actions ne suffisent cependant pas à elles seules à changer la donne. En parallèle, il faut accélérer la régénération des grands centres urbains dans une logique de résilience et de réenchantement de la vie citadine car vivre en ville sera toujours plus écologique que d'avoir une grande maison avec un grand terrain à la campagne ou dans le périurbain lointain, ce qui crée systématiquement une très forte dépendance à la voiture.
Justement, le principe de ville régénératrice émerge depuis quelque temps...
H. C. : Arrêter l'urbanisme prédateur et pivoter vers un modèle régénérateur doit être l'action prioritaire à mener. Cela va bien plus loin que le bâtiment zéro carbone. C'est primordial parce que ça veut dire que le curseur n'est plus mis sur le développement urbain. Si on doit produire plus de logements, il faut le faire avec ce qu'on a, en exploitant le stock de bâtiments vides... Si on doit densifier, il faut se débrouiller pour le faire à l'intérieur de la ville, sans grignoter les terres agricoles.
Dans cette dynamique, il faut davantage faire rentrer la nature dans la ville pour la sauvegarder à l'extérieur de la ville. Pour réenchanter la vie citadine, entendre un oiseau ou voir des animaux est quelque chose d'extrêmement positif... La nature n'est pas seulement importante pour faire baisser les émissions de CO₂, mais aussi pour améliorer la santé mentale et physique des habitants. Elle est par ailleurs un gage de résilience car elle permet de préserver et de restaurer les ressources présentes sur le territoire.
Précisément, face à l'aggravation du réchauffement climatique, cet enjeu de préservation et de restauration des ressources prend de plus en plus d'importance...
H. C. : Oui, en effet. C'est particulièrement sensible en ce qui concerne l'eau. A Berlin, la municipalité a mis en service un système innovant de récupération des eaux de pluie. Désormais, il faut pouvoir garder l'eau et la réutiliser. Il ne faut plus la gaspiller. Cela vaut pour d'autres ressources. C'est un changement majeur dans la façon de penser la transformation urbaine parce que cela veut dire que la décarbonation n'est plus l'unique objectif. Il faut aussi pouvoir restaurer ce qui permet aux citadins de vivre. Pour devenir résiliente, la ville doit devenir régénératrice.
Quelles sont les prochaines étapes ? Que faudrait-il faire pour accélérer ?
H. C. : Il faut aller plus loin dans la généralisation des actions et des objectifs climatiques. Il faut intégrer des mesures encore plus ambitieuses dans les plans climats, dans les règles de développement de la ville, dans les Plans Locaux d'Urbanisme et les inscrire dans les lignes budgétaires... Rendre obligatoire la désartificialisation des sols, la renaturation, la préservation de biodiversité, caper de façon plus stricte les émissions de CO₂ des bâtiments... Il faut aussi transformer les modes de vie en développant de nouvelles approches en matière de consommation. Cela implique de nouvelles manières d'agir.
Je constate en tout cas qu’il y a un nouveau modèle qui est en train d'apparaître, celui d'une métropole renaturée et polycentrique, plus vivante et plus dynamique, plus sobre et plus inclusive, composée de nouvelles polarités. C'est extrêmement positif.
Aujourd'hui, il y a un réel progrès dans la compréhension du changement climatique et de ses conséquences. Cela va nous permettre d'ajuster plus efficacement les stratégies d'adaptation et de sensibilisation.
À VOIR : Le site de C40.
A-technique… C'est une caractéristique commune chez les gestionnaires, aménageurs et autres décideurs. Il peut y avoir des travaux scientifiques sur un sujet donné durant plus de 10 ans sans qu'ils s'en rendent compte, ça n'est que quand ça leur explose à la figure qu'ils le voient. De toutes façons, technique et magie c'est du pareil au même… des "cygnes noirs" dont "personne" n'aurait pu soupçonner l'existence (et surtout pas les équipes qui bossent sur le sujet). L'important, c'est que ce ne soit pas de leur faute…
Pour les amateurs d'architecture, l'hydrobase de Paris est un exemple rigolo : dans les années 30, il était "techniquement évident" que les liaisons aériennes transatlantiques seraient assurées par hydravions, parce que "tout le monde savait" que, à 150 km/h (un hydravion ne peut pas voler vite), des moteurs tomberaient en panne. D'ailleurs, sur le Dornier X, un système de trappes et de conduits permettait à un mécanicien de réparer un moteur en plein vol. Du moins, selon la réclame, de jour et par beau temps… Pendant que des milliers d'ingénieurs de par le monde (surtout aux US) travaillaient à des moteurs plus puissants, plus fiables, sur des avions "terrestres", la France, terre de gestionnaires aménageurs, a décidé d'investir dans une maousse hydrobase proche de Paris (les plans des projets trainent sur le net). Trois sites en concurrence, cinq ans de travaux en perspective pour une France au top des voyages en avion. Enfin, en hydravion.
Les allemands ont bloqué net le projet (ils avaient besoin du béton pour autre chose…). Et, après la guerre, fini les hydravions ! Un DC6 traversait l'atlantique à plus de 500 km/h, avec tout au plus une "pause pipi" en Islande. Le projet a été couvert par l'amnésie administrative (nous ? des hydravions à Paris ? Jamais !) avant de couler le premier m3 de béton. C'est un peu dommage, ça aurait fait des super-ruines pour les amateurs d'urbex…
Et vous, maintenant ? Quelle "évidences éternelles" vous vous conduire à amocher la vie des gens, à leur imposer un "cadre de vie" qu'ils vont devoir supporter durant des décennies ? Qu'elles erreurs allez vous enkyster jusqu'à pouvoir dire "je ne pouvais pas deviner" ?
Je vous propose un scénario, qui a pris du retard par rapport à mes prévisions (le covid et tout ça…) mais qui "tient" toujours la route :
Depuis des années 90, des équipes bossent sur la miniaturisation des leds (composants sur lesquels on bosse depuis 1955 !), au point d'en faire des lasers (si le nombre d'atomes est suffisamment réduit, les photons produits sont cohérents, faute de "place" pour qu'il en soit autrement). Et le rendement (en lumen par watt) se prend un "coup de pied au cul". Seulement… le rendement en fabrication patauge.
Avec des ambitions moindre, on sait fabriquer en série des diodes led "à point quantique", équipant certains téléviseurs. Il s'agit de panneaux de 5 m de large (comme les LCD) que l'on vient découper à la bonne taille.
La recherche continue… Ce n'est qu'une question de temps avant que l'on ne sache fabriquer des panneaux similaires, mais avec des milliards de lasers, adressables individuellement, capables aussi bien d'émettre de la lumière que d'afficher une image. Au début, on en fera des télés. La routine, mais surtout la baisse des coûts le long de la courbe d'apprentissage. Avec des dalles de la taille d'une plaque de BA13 (placoplâtre), on en viendra à couvrir des cloisons, des plafonds et peut-être même des sols. Pour afficher une lumière douce, complétée par des images et de la vidéo. Avec 100 W maxi.
Ça fait partie de vos "transformations à opérer" ? Qui va encore vouloir d'une fenêtre ? Qui permet de voir un "monde extérieur" sans rapport avec la réclame des aménageurs (beau temps permanent, verdure, poussettes dans un monde sans enfant, rares voitures même pas brûlées…). Les fenêtres, ça ne sert à rien, à part rendre dépressif, donc pas de construction "en hauteur".
Les habitants "en pavillon" s'en sortiront bien : ils habiteront dans leur sous-sol (et mettrons leur chaudière à l'étage).
Pour les immeubles, ce qu'exigeront les gens, c'est de tout raser, creuser u trou, et y empiler des appartements. Avec des panneaux solaires au dessus. Vous y êtes prêts ? Le fisc non plus…