
Sous couvert d’écologie, l’extrême droite peaufine sa com’ sur les réseaux. Une esthétique bucolique au service d’un discours bien plus toxique.
Des posts qui prônent le retour à la terre ou des « raids » en pleine nature. Des vidéos mettant en scène un régionalisme cliché où une « commu » – essentiellement blanche et hétéro – s’enfile des planches de charcuterie… Ces publications se sont frayé un chemin sur vos threads ? Pas de doute : les algos viennent de vous projeter dans la bulle des « éco-fachos ».
« Bio-civilisation » et fantasmes d’inquisition
Cette tendance, qui peut faire un sérieux nœud au cerveau (car, non l’écologie n’est plus le pré carré de la gauche), infuse de plus en plus sur les réseaux. Disclaimer : si vous imaginez que l’urgence climatique a eu raison des idées rances, préparez-vous à être déçus. Chez ces écolos version ultra-réac, nul ne renie les idées xénophobes. Ici, la crise environnementale, impossible à ignorer, est utilisée comme cheval de Troie.
Influenceur le plus en vue de cette tendance, Julien Rochedy, ancien président du Front national de la jeunesse, compte une audience croissante sur les réseaux (+ de 400 000 abonnés cumulés). Dans son dernier essai au titre équivoque (Surhommes et sous-hommes), il introduit le concept de « bio-civilisation », mix d’écologie et d’identité nationale, et hiérarchise les pays selon leur impact environnemental. Il y présente l'Occident comme vertueux et les pays en développement comme pollueurs (une vision contredite par les rapports de la Banque mondiale) et fantasme une « future inquisition écologique » où « le sous-homme sera la cible des nouveaux surhommes [...] qui devront le réduire sans pitié en esclavage et l’empêcher de se reproduire. » Ambiance.
Stratégie métapolitique
Cette réinterprétation flippante de l’écologie, inspirée de la nouvelle droite des années 60, va-t-elle gagner en écho à l’extrême droite ? Pour Antoine Dubiau, auteur d’Écofascismes et Docteur en géographie à l’Université de Genève, il s’agit surtout d’une stratégie d’influence « métapolitique ». La création d’une idéologie capable d’infuser les réseaux sociaux, et ce, via deux communautés. D’un côté, « des groupuscules d’extrême droite issus du militantisme violent comme le groupe Tenesoun, qui valorise depuis plusieurs années son attachement à une agriculture enracinée. » De l’autre, des assos traditionalistes qui ne s’affichent pas ouvertement d’extrême droite mais mettent en scène amour de la terre, valeurs familiales et défense des terroirs. « Il existe des circulations entre ces formes, par le biais d’échanges, d’invitations à des conférences, etc. », note le chercheur.
Convergence d’intérêt
Les vidéos de Rochedy, comme ces publis remplies d’amis blancs à la campagne et de potagers « enracinés localement » trouvent un écho certain. « Pas une hype, mais une petite musique qu'on entend de plus en plus par le biais d'influenceurs », décrit Mathieu Colin, chercheur à la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violent. Les déboires judiciaires du RN et la crise de leadership actuelle pourraient-ils ouvrir la porte à cette vision moins techno-solutionniste de l’écologie, ligne jusqu’à présent défendue par Marine Le Pen ?
« Il est fort possible que le RN continue à insister sur le tandem défense de l'environnement / protection des traditions, mais je doute que cela devienne une idéologie incontournable » tempère le chercheur. Plus qu’un virage net, Antoine Dubiau y voit une convergence d’intérêt : « Auprès de certains jeunes, le discours écofasciste est tout de même moins attrayant que le carbofascisme ou le technofascisme, qui exaltent la puissance occidentale masculine. Mais on peut imaginer un État carbofasciste qui favorise ces espaces d’expression. » La prochaine fois que vous tombez sur une vidéo d’un bambin blond, pieds nus dans la rosée, pensez-y : le storytelling de l’extrême droite s’écrit aussi avec des émojis tournesol.
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