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Les intelligences artificielles peuvent-elles voler au secours de la transition écologique ?

L’IA est en passe de révolutionner certaines industries - de l'agriculture à l’industrie en passant par l’énergie – en permettant de réduire considérablement leurs impacts écologiques.

Connue pour être un élément constitutif de la pollution numérique, l'intelligence artificielle possède aussi de nombreux atouts pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables. Dans ce contexte paradoxal, comment mettre à profit les algorithmes pour transformer le mix ? Anne Varet est directrice scientifique et directrice exécutive à la prospective et à la recherche de l'ADEME (Agence de la transition écologique à Paris). Elle assure le pilotage des programmes de recherche sur la transition énergétique, mais aussi sur les questions d'économie circulaire, de bioéconomie, de pollution des sols et de l'air.

Pour commencer, pouvez-vous nous rappeler quels sont les avantages du numérique pour accélérer la transition énergétique ?

Anne Varet : Ils sont très nombreux. C'est tout ce qui relève de l'«IT for green ». Ce que nous observons à l'ADEME, c'est que l'apport du numérique est possible dans la plupart des domaines que l'agence traite, que ce soit la pollution de l'air, la décarbonation de l'agriculture, la protection des forêts, la rénovation des bâtiments, le développement de l'économie circulaire, l'industrie verte, les mobilités douces. Le périmètre dans lequel le numérique va pouvoir venir en appui est réellement vaste. Cette technologie permet non seulement d'adresser la transition énergétique, mais également la transition écologique au sens large.

Quel est le rôle spécifique que l'IA peut jouer ?

A. V. : Il y a d'abord un rôle assez classique basé sur les données, si tant est que nous puissions disposer de données de bonne qualité, ce qui reste un vrai sujet. À partir de là, l'IA peut vraiment révolutionner certaines approches. Elle peut augmenter les rendements de l'agriculture en limitant le recours aux intrants chimiques, recalibrer les chaînes logistiques pour les rendre plus performantes et moins émettrices, améliorer les dispositifs de collecte, de tri et de recyclage des déchets, et bien sûr, optimiser le réseau énergétique. Les enjeux liés à l'utilisation de cette technologie sont donc majeurs, car l'exploitation des données permet de simplifier les systèmes et les processus complexes de la transition énergétique et écologique. Sur ce point, le gain qu'elle apporte est évident.

Est-ce que cela veut dire que l'IA facilite la transformation du mix ?

A. V. : Oui, tout à fait. Aujourd'hui, l'IA est mise à profit pour appuyer la décentralisation énergétique. Elle est même considérée comme un élément indispensable pour opérer la transformation du réseau. Comme les systèmes énergétiques renouvelables deviennent extrêmement complexes, avec de multiples producteurs et de multiples consommateurs, l'IA permet de quantifier la production, de prévoir la demande, et d'aligner ce qui est produit avec ce qui est consommé. Elle va donc permettre de simplifier des fonctionnements qui, sans elle, seraient bien plus complexes. Elle est également très utile en matière de maintenance prédictive et de réparation des équipements. C'est de cette manière qu'elle améliore l'efficacité du réseau et qu'elle optimise les flux. Mais ça reste de l'IA analytique...

Qu'en est-il de l'IA générative ?

A.V. : L'IA générative représente un autre enjeu que nous sommes en train d'explorer et qui, de notre point de vue, peut également amener de réelles avancées. Pour accélérer la transition énergétique et gagner en efficacité, il y a de nouveaux matériaux qui vont pouvoir être découverts, conçus, et proposés grâce à cette nouvelle forme d'intelligence artificielle. Cela concerne principalement les batteries électriques, l'isolation des bâtiments, la construction des réseaux. Cependant, son coût environnemental est plus important.

Est-ce qu'il y a déjà des résultats tangibles ? Est-ce qu'on peut quantifier l'apport de l'IA ?

A.V. : Nous nous trouvons actuellement dans une phase transitoire où l'objectif premier est de recomposer le mix énergétique. C'est un vaste chantier. Les algorithmes vont permettre d'aller plus vite pour y parvenir. Ils vont sans doute également permettre de repenser les modèles économiques de l'énergie qui sont chamboulés par la décentralisation. C'est un enjeu qui n'est pas encore forcément couvert par la recherche, mais il va falloir s'y attaquer.

En 2025, les investissements dans les énergies renouvelables vont dépasser pour la première fois ceux réalisés dans le charbon. Cette montée en puissance très concrète est-elle due à la mise à profit de l'IA ?

A.V. : Il y a effectivement un basculement qui est en cours. Mais il est lié à la dynamique de déploiement des systèmes, des infrastructures et des équipements qui est soutenue au niveau mondial depuis de nombreuses années par des financements importants, et notamment en France par l'ADEME. C'est ce qui fait qu'on arrive à des baisses de coûts tellement importants que les énergies renouvelables deviennent extrêmement compétitives. Après, la question centrale est de savoir comment l'IA peut parvenir à harmoniser l'ensemble du système, car plus il y aura de décentralisation, plus il y aura de petits producteurs qui seront aussi des consommateurs. C'est là où cette technologique va jouer un rôle crucial, au point qu'elle va devenir indissociable du déploiement des renouvelables.

Il y a cependant un paradoxe car l'IA est hyper énergivore. Plus cette technologie sera mise à profit, plus il y aura d'émissions de CO2, ce qui ne va pas dans le sens de la transition énergétique...

A.V. : C'est certain. Cependant, il faut quand même opérer une distinction. Ce que font actuellement les énergéticiens, que ce soit Engie ou EDF, en mettant au point des applications qui fonctionnent grâce au Big Data, et qui permettent de réaliser de véritables innovations de rupture, est clairement énergivore, mais ça l'est beaucoup moins que l'IA générative. Il faut que l'utilisation de cette nouvelle forme d'intelligence artificielle soit dictée par des finalités claires et socialement entendables, et pas uniquement par des finalités de divertissement, au risque de devoir faire à l'avenir des arbitrages entre ce qui est utile et ce qui ne l'est pas. Et c'est là où la question de la sobriété rentre nécessairement dans l'équation.

Est-ce que cela veut dire que la sobriété énergétique doit aller de pair avec la sobriété numérique ? Il faudrait pouvoir utiliser l'IA à la juste proportion de ce qui est réellement nécessaire...

A.V. : C'est en effet la logique sous-jacente dans la parole de l'ADEME. À partir du moment où l'IA peut aider à la sobriété énergétique, cela veut dire que cette technologie est utile. L'intérêt et le gain sont évidents. Il n'y a pas de débat. Pour autant, il faudrait appliquer le même mouvement que celui que suivent actuellement tous les déploiements technologiques. Dans la téléphonie par exemple, on va de plus en plus vers du réemploi, du reconditionnement, des appareils plus durables parce qu'utilisés plus longtemps. Il faut tendre de la même manière vers la sobriété. Ça ne fera pas tout, mais ça permettra quand même d'avoir une IA moins émettrice.

À quelles évolutions peut-on s'attendre dans un avenir proche ?

A.V. : Il faut rapidement se poser la question de savoir comment limiter la consommation énergétique de l'IA, et notamment de l'IA générative. Il faut également intensifier les travaux de recherche qui permettent de réduire l'impact du numérique au sens large. Après, il est possible d'aller beaucoup plus loin car la sobriété peut également être encouragée par la régulation. Est-ce qu'il y a des mesures allant dans ce sens qui peuvent être mises en place ? Est-ce que c'est quelque chose qui pourrait être entendable et acceptable par les usagers ?

L'autre point que je retiens des échanges que je peux avoir avec des spécialistes de ces sujets, que ce soient des chercheurs de l'INRIA ou du CNRS, c'est qu'il est difficile de prévoir les progrès qui vont être réalisés. Aujourd'hui, il y a des avancées majeures qui peuvent être faites en l'espace de trois mois. La dynamique est particulièrement rapide. Il faut donc composer avec une part d'incertitude. La seule chose qui est certaine en revanche, c'est que l'enjeu est bel et bien de pouvoir déployer les énergies renouvelables dans la sobriété, et cela vaut donc nécessairement pour la mise à profit du numérique.

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  1. Avatar Pierre-Etienne Baridn dit :

    Merci pour cet article qui équilibre le débat et positionne l'IA comme option pour une économie responsable et durable

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