
Et si, pour éviter les critiques, le plus simple était de ne rien dire ? Face à la peur du bad buzz, aux régulations renforcées et au retour d’un climat politique défavorable, de plus en plus d’entreprises optent pour le greenhushing : une stratégie de silence sur leurs engagements écologiques. Ce repli pourrait freiner l’élan collectif dans la lutte pour le climat.
Fatiguées d’être accusées de greenwashing, certaines entreprises ont trouvé la parade : ne plus rien dire. C’est le principe du greenhushing, ou l’art de taire ses engagements environnementaux pour éviter les polémiques. Aujourd’hui, cette stratégie de l’«éco-silence» se développe massivement. Une étude du cabinet South Pole révèle qu’en 2023, 58 % des 1 400 entreprises interrogées dans le monde ont réduit leur communication sur leurs objectifs climatiques.
Pour Céline Puff Ardichvili, directrice générale de Look Sharp, agence de communication, agence de communication, les raisons sont multiples : « Il peut s’agir d’une forme d’humilité, où l’on souhaite agir plutôt que communiquer. Mais plus souvent, c’est une manière d’éviter qu’on regarde ce qui se cache sous le capot. Et en évitant de s’exposer aux critiques et au débat public, on empêche tout avancement sur le sujet. »
Au micro de France Info, François Gemenne, membre du GIEC, alertait sur l’effet domino du greenhushing : « Certaines entreprises considèrent qu’une posture discrète est la stratégie la plus pragmatique à appliquer dans le contexte actuel. Cela risque d’avoir un effet performatif : dans un marché concurrentiel, les entreprises s’imitent. Si plus personne ne communique, cela pousse les autres à ne rien faire non plus. »
Face à la réglementation, la menace
Pour expliquer la tendance, de nombreux acteurs évoquent une judiciarisation du greenwashing. En France, la loi Climat et résilience interdit depuis le 1er janvier 2023 aux annonceurs d’affirmer dans une publicité qu’un produit est « neutre en carbone » ou « respectueux de l’environnement » sans que soit publié son bilan GES. De la même manière, le greenwashing est désormais qualifié de « pratique commerciale trompeuse » dans le Code de la consommation. Et la France n’est pas la seule à serrer la vis - l’Union européenne suit la même voie avec plusieurs projets de directives dans les cartons.
Dans ce contexte, certaines entreprises préfèrent couper le micro avant d’être prises en faute. Mais pour Thierry Libaert, de la nuance s’impose : « En France, on ne peut pas vraiment parler de greenhushing généralisé. Au contraire : selon Kantar, les investissements bruts en communication RSE ont augmenté de 15 % en un an. Les entreprises continuent de communiquer, les règles demeurant peu contraignantes, car rarement suivies de sanctions.» Un avis partagé par Céline Puff Ardichvili : « En cas de publicité mensongère, le citoyen peut saisir le jury de déontologie publicitaire, mais les sanctions sont moins dissuasives qu'un réel bad buzz réputationnel. »
D’après Thierry Libaert, spécialiste de la communication environnementale et conseiller au CESE (Comité Economique et Social Européen), le greenhushing sert avant tout d’outil de pression politique. Certaines entreprises agiteraient la menace du silence comme levier de négociation : « Il y a quelques mois, au Sommet européen des consommateurs, le directeur général de Business Europe – principal lobby des entreprises à Bruxelles – déclarait qu’il fallait freiner la régulation publicitaire sur les questions environnementales, faute de quoi les entreprises cesseraient toute communication sur ce thème. »
La trumpisation de la communication ?
Au-delà des contraintes légales, le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche a contribué à installer un climat profondément hostile aux politiques RSE. L'administration Trump elle-même a été accusée de retirer des données climatiques essentielles des sites gouvernementaux. Anticipant le démantèlement annoncé des normes environnementales - censé « faciliter le business » - de nombreuses entreprises ont préféré se mettre en retrait dès novembre dernier. La coalition Climate Action 100+, qui pousse les plus gros pollueurs à rendre des comptes, a ainsi vu fondre ses rangs : les branches investissement de BlackRock, JP Morgan Chase et bien d’autres ont toutes décampé.
Pour Céline Puff Ardichvili, le trumpisme économique a un double effet : « D’un côté, cela pousse certaines entreprises à s’autocensurer, et d'autres à un je-m’en-foutisme assumé. Un autre effet de bord : les messages de celles qui tentent de communiquer avec précision et sincérité perdent en visibilité voire en crédibilité face à des éléments de désinformation démultipliés par les algorithmes. Le Sans compter que le recul des engagements dans les secteurs pétroliers, agricoles ou bancaires donne une excuse à certaines entreprises pour ne plus être proactif dans leur communication.» Malgré ce climat tendu, Thierry Libaert reste confiant : « Les entreprises ont le sens du business. Et les études montrent que leurs engagements écologiques et sociaux sont encore des facteurs clés de leur réputation globale. »
Une étude parue dans PNAS Nexus, revue de la National Academy of Sciences, confirme le rôle-clé de la communication environnementale. D’après les chercheurs, plus une entreprise est transparente sur ses engagements, plus les citoyens se montrent optimistes et enclins à soutenir des politiques publiques ambitieuses. À l’inverse, le flou renforce la défiance. Preuve, s’il en fallait, que le discours des entreprises - lorsqu’il est fiable, donc contrôlé - joue un rôle clé pour faire bouger les lignes.
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