
Tempêtes, inondations, canicules, incendies et sécheresses… Les événements météorologiques extrêmes se multiplient avec le dérèglement climatique et font peser davantage de menaces sur le réseau électrique. Si dès sa création en 2000, RTE a dû faire face aux conséquences des « tempêtes du siècle » et rehausser les standards de sécurité, aujourd’hui, les équipes sont mobilisées pour adapter le réseau et le prémunir des autres conséquences météorologiques du changement climatique.
A la fin du mois de décembre 1999, les tempêtes Lothar et Martin dévastent une partie de l’Europe, faisant 140 victimes dans plusieurs pays. En France, pratiquement un quart du réseau électrique français est touché durement : 38 lignes de 400 kV, une centaine de lignes 225 kV et 184 postes électriques sont hors service, plus de 1 000 pylônes haute et très haute tension sont endommagés. Environ 3,5 millions de foyers et de clients dans l’industrie et les services sont privés de courant. Une mobilisation sans précédent s’organise pour rétablir le courant au plus vite. Même si l’incroyable solidarité nationale et européenne va permettre de rétablir l’alimentation électrique dans les jours qui suivent, cela conduit à une prise de conscience globale de la fragilité du réseau électrique face aux aléas climatiques de grande ampleur.
L’adaptation au changement climatique : les leçons de la tempête de 1999
Hasard du calendrier, RTE (le gestionnaire du réseau de transport d’électricité) naît quelques mois plus tard, en juillet 2000, en vertu de l’application d’une directive européenne qui sépare les activités de production, de transport, de distribution et de fourniture d’électricité. Dès sa création, l’entreprise doit donc affronter les conséquences des « tempêtes du siècle » et lancer un programme de sécurisation mécanique du réseau. Objectif : renforcer sa résistance dans le cas où un phénomène similaire se reproduirait. Il faut remettre sur pied ce qui a été détruit en se basant sur de nouveaux standards imposés par la vitesse et l’intensité phénoménales des vents de 1999, mais aussi en tenir compte pour dimensionner les futurs ouvrages. Pour réaliser ce programme, il a fallu cartographier toutes les lignes à renforcer, élargir la zone géographique concernée aux régions soumises à la corrosion en bord de mer par exemple, et définir sur cette base un « réseau cible sécurisé ». En d’autres termes, il s’agit d’un maillage solidaire de lignes électriques capables de maintenir l’alimentation du pays de façon sécurisée.
L’immense chantier va durer 15 ans : 2,8 milliards d’euros de budget, 48 000 km de lignes, 7 900 traversées et 57 000 MW sécurisés, 2 millions d’heures de travail, qui ont rendu le réseau résistant à des vents violents de 180 km/h. Dans la continuité de ce retour d’expérience, le tout nouveau Schéma de développement du réseau (SDDR) à horizon 2040 de RTE fait de l’adaptation du réseau au changement climatique l’un de ses trois piliers principaux. Alors qu’elle doit par ailleurs renouveler des infrastructures vieillissantes (65 000 pylônes ont entre 70 et 105 ans), l’entreprise veut profiter de cette opportunité pour faire du « deux en un ». En d’autres termes, RTE va réaliser des travaux qui permettront à la fois de renouveler le réseau de transport d'électricité et de rendre 80 % des infrastructures résilientes au changement climatique d’ici 2040, puis 100 % d’ici 2060. Au total, 23 500 km de lignes aériennes, 85 000 pylônes, soit un quart du réseau aérien, seront renouvelés sur l’ensemble du territoire et dans tous les milieux (montagne, campagne, littoral, zones urbaines, etc.) pour un montant de l’ordre de 24 milliards d’euros sur les quinze prochaines années. « Les infrastructures que nous construirons entre 2025 et 2040 seront pour partie encore en service en 2100, souligne Chloé Latour, directrice stratégie et régulation chez RTE, lors de la présentation du SDDR. Elles doivent donc pouvoir supporter les phénomènes d’un climat à +4° C à cette échéance. »
De nouvelles menaces identifiées : les canicules et les inondations
Les pouvoirs publics ont mandaté dans le cadre du Plan national d’adaptation au changement climatique tous les gestionnaires de grandes infrastructures pour qu’ils s’adaptent au changement climatique. Pour RTE, ce dernier a en effet un impact réel et concret : l’importance accrue des canicules est une nouvelle menace sur la sécurité des infrastructures. Les fortes températures diminuent en effet la performance des matériels en faisant chauffer les câbles conducteurs du réseau de transport, un phénomène qui peut conduire à une diminution du volume d’électricité acheminé et au dangereux rapprochement des câbles du sol, d’où la nécessité de surélever les lignes. Avec la canicule (et les incendies qu’elle peut engendrer ou aggraver), les inondations représentent l’autre grand risque pour le réseau électrique français. Les dégâts qu’elles provoquent sont nombreux : submersion d’ouvrages, corrosion, glissements de terrain susceptibles d’emporter des câbles souterrains voire des pylônes comme c’est le cas près d’Avignon, où une ligne à haute tension est menacée par les multiples crues de la rivière Durance. « Cette ligne qui était loin du cours d'eau naturel se retrouve quasiment les pieds dans l'eau dans certaines parties de son tracé, explique Khalid Abdallaoui, directeur de la maîtrise d'ouvrage chez RTE, au micro de TF1. [...] Les fondations historiquement étaient à huit mètres et aujourd'hui, on a été chercher la roche dure jusqu'à 25 mètres de profondeur pour ancrer très profondément le pylône dans le sol. »
Côté RTE, on a déjà commencé un travail minutieux d’analyse des infrastructures, le but étant de sélectionner parmi les plus anciennes celles qui seront le plus exposées au changement climatique pour démarrer le programme de renouvellement et d’adaptation. D’après Chloé Latour, « 50 % des lignes renouvelées d’ici 2030 sont situées en Centre-Val de Loire, Nouvelle-Aquitaine et Occitanie ». Cette dernière région cumule ainsi des lignes construites dans les années 20 et une plus grande exposition aux incendies. Globalement, aujourd’hui 37 % des lignes sont exposées au risque de chaleur extrême et 18 % des postes électriques sont exposés au risque de crue centennale, mais le programme présenté dans le SDDR vise à faire en sorte que ces chiffres tombent à 0 % et 7 % en 2060 (avec des solutions pour les 7% de postes restants permettant d’éviter tout risque pour l’alimentation en électricité en cas de crue). La plupart des travaux s’appuieront sur le réseau existant afin de le moderniser. Il s’agit par exemple de remplacer des équipements obsolètes par des plus récents, capables en outre de résister à des températures plus élevées. A chaque fois, les standards de sécurité sont rehaussés pour correspondre aux nouvelles projections du SDDR, telles que l’évolution des températures maximales auxquelles les câbles aériens doivent résister, qui passent de 65 à 85° pour les ouvrages neufs ou réhabilités.
Face aux inondations, RTE préconise des solutions au cas par cas, en fonction de chaque poste électrique et de chaque fleuve. Le gestionnaire du réseau va notamment surélever certains postes électriques pour les rendre moins vulnérables aux inondations et renforcer les fondations de certains ouvrages pour maintenir la fourniture d’électricité sur tout le territoire en cas de crue centennale.
Deux exemples : l’Île-de-France et les vallées des Pyrénées
Mieux encore que le « deux en un » cité plus haut, les vallées des Pyrénées illustrent la possibilité de générer un triple bénéfice lors de la réhabilitation locale du réseau. Les infrastructures électriques des vallées de la Neste, du Louron et d’Aure, construites principalement dans les années 1920, font partie des plus anciennes de France. Leur rénovation est urgente pour éviter la dégradation de la qualité de l’électricité, limiter les risques liés aux vagues de chaleur et permettre l’intégration des énergies renouvelables, comme le solaire, tout en modernisant les installations hydrauliques existantes. D’ici 2030, RTE prévoit la construction d’un nouveau poste électrique à Arreau, le remplacement de 6 lignes aériennes vétustes par 4 lignes souterraines, et la réduction d’une ligne aérienne double à une seule, avec des tracés optimisés. Ce projet, adapté au changement climatique, réduit l’impact visuel du réseau et améliore sa résilience, pour un coût global d’environ 200 millions d’euros sur la période 2025-2030.
En Île-de-France, le réseau doit faire face à des défis similaires, mais avec une densité de population bien supérieure, alors que certaines lignes dépassent 80 ans d’âge en 2025. Il comprend plus de 2 050 km de lignes aériennes, dont 25 % exposées aux fortes chaleurs, et 6 000 pylônes, dont un tiers en acier noir sujet à la corrosion. Pour répondre aux défis de vétusté, de corrosion, de chaleur et de croissance de la consommation, RTE lance un programme de modernisation sur 30 ans. D’ici 2030, deux projets pilotes renouvelleront 200 km de lignes pour 250 millions d’euros, servant de modèle pour la suite. À l’horizon 2055, tous les couloirs aériens seront adaptés au changement climatique, ce qui représente environ 1 000 km de lignes et 2 000 pylônes à remplacer pour la somme prévisionnelle de 2 milliards d’euros.
A l’échelle du pays, les travaux de renouvellement du réseau vont se dérouler en trois phases d’investissements : une première période de stabilisation avec une enveloppe de 900 millions d’euros par an jusqu’en 2030, une deuxième phase de doublement des investissements jusqu’en 2040 afin d’atteindre l’objectif d’un réseau résilient à 80 %, et enfin une dernière phase de consolidation pour atteindre 100 % de résilience en 2050. Des travaux coûteux donc, mais nécessaires et qui coïncident avec les enjeux d’intégration des nouvelles installations de production et de consommation bas-carbone au réseau électrique et d’adaptation au changement climatique. Comme l’énonce le président du Directoire de RTE, Xavier Piechaczyk, « ce plan est d’abord un véritable plan d’aménagement et d’équipement du territoire national, qui concerne l’ensemble des régions. Mais il est aussi un acte industriel et souverain car la transformation du réseau doit être synonyme de croissance économique et d’emplois en France et en Europe. L’évolution du réseau fait impérativement partie de l’équation d’une France qui se réindustrialise, tout en se décarbonant. »
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