L'idée de la Convention des Entreprises pour le Climat est simple : il faut trouver des entreprises volontaires pour lancer effectivement la transition écologique chez eux. Bilan : en 2023, 500 entreprises vont se lancer aussi. Récit.
Passer à l'action. C'était l'idée. La Convention des Entreprises pour le Climat (CEC) a été lancée en 2021 pour embarquer 150 entreprises volontaires dans la transition écologique. Le parcours se déroule en 12 jours étalés sur une année, 12 jours pendant lesquels les dirigeants vont élaborer leur feuille de route. Derrière ce projet, Eric Duverger, ancien cadre de chez Michelin, nous raconte comment cette première édition a fonctionné et de quoi elle a accouché pour 2023.
Quel était l’objectif de cette première Convention des Entreprises pour le Climat ?
Éric Duverger : La Convention des Entreprises pour le Climat (CEC) est une expérimentation qui veut créer un effet d'entraînement. L'idée était d’aider 150 entreprises à se lancer dans la transition écologique. Nous voulions créer avec elles les conditions qui nous permettent de sortir du triangle de l'inaction : des politiques qui ne veulent pas légiférer de peur de heurter les citoyens électeurs et faire perdre de la compétitivité aux entreprises ; des entreprises qui ne veulent pas risquer leurs parts de marché si ce n’est pas une attente des consommateurs ni une obligation légale ; et des citoyens qui pensent que seuls les grands acteurs du système peuvent faire bouger les choses. L’enjeu est de sortir de ces postures pour travailler sur un scénario commun qui n’existe encore nulle part. Et de fait, ça bouge. Le Conseil National de la Refondation, lancé par le président Macron, est une opportunité pour aller dans ce sens ; de même que le Gouvernement qui a décidé de former ses hauts fonctionnaires aux enjeux du climat... Ces initiatives sont importantes car les entreprises auront besoin que le politique embraye et vienne soutenir les efforts des dirigeants pionniers. Heureusement, les réseaux économiques et politiques suivent de près nos travaux, comme nous l’a démontré la réussite de notre cérémonie de remise du Rapport de la Conventions des Entreprises pour le Climat au Gouvernement en octobre 2022 ! Dans ce rapport de 160 pages, en libre accès sur notre site Internet, on trouve le récit du parcours, la description de notre théorie du changement et de notre méthodologie et surtout 30 des 150 feuilles de route des entreprises participantes, avec une analyse détaillée de ce qu'il en ressort.
Concrètement, que proposez-vous à vos participants ?
E. D. : En douze jours étalés sur 10 mois, ils sont confrontés aux réalités écologiques et sociales de la crise des limites planétaires, informés des possibilités de l’économie régénérative. Et ils étaient censés établir une feuille de route à l’issue de ces 10 mois pour construire leur stratégie de transition écologique à horizon 2030. Douze jours, cela peut sembler lourd dans l’agenda d’un dirigeant, mais c’est en réalité très court. Le changement, ils connaissent, ils l’ont beaucoup pratiqué avec le digital et les différentes crises et ils font ça toute la journée. Mais la transition écologique est un véritable changement culturel, c'est du change management à la puissance dix : elle remet en question parfois jusqu’à l'ADN de leur entreprise. Ces questions vont chercher tellement loin dans les impacts possibles sur la raison d’être même de leur entreprise, que s’accorder ce temps-là est le minimum.
Beaucoup de salariés voudraient faire bouger leurs organisations, mais votre parcours s’adresse uniquement aux dirigeants. Pourquoi ce choix ?
E. D. : La meilleure feuille de route n’est rien tant qu’elle n’a pas été déployée. Et pour qu’elle le soit, elle doit être soutenue par le top management. Nous avons travaillé avec des dirigeants de PME, d’ETI familiales, qui peuvent faire bouger leurs organisations, plus sûrement que les patrons des très grands groupes. Et un patron sensibilisé s’appuiera d’autant plus sur ses salariés promoteurs de ces sujets une fois qu’il aura lui-même compris leur importance…
Comment avez-vous établi les différentes séquences de votre programme ?
E. D. : La première session consiste à prendre conscience de la situation. Une étape douloureuse, mais indispensable. Pour les suivantes, beaucoup de sujets doivent être abordés : la finance, l'innovation et le marketing responsable, mais aussi des sujets plus spécifiques comme le biomimétisme... Il y avait aussi les sujets autour du leadership, car il faut embarquer les équipes, mais aussi les partenaires, les clients, les concurrents... C'était extrêmement dur de faire des choix. Chaque session nous a imposé de renoncer à certains sujets, d’autant qu’en France, l’écosystème des intervenants de qualité est foisonnant. Mais nous voulions aussi que les participants aient beaucoup de temps pour travailler ensemble, qu’ils puissent se challenger en petits groupes. C'était ce qu’il y avait de plus efficace et effectif pour eux.
Vous attaquez la seconde année du parcours, vous allez changer quelques éléments du programme ?
E. D. : Il y aura deux modifications majeures. La section qu'on appelle « entreprendre avec le vivant » viendra beaucoup plus tôt parce que c'est une clé pour aborder tous les autres sujets, d’autant que cette question peut être, sur certains métiers, très exigeante et très structurante. Autre modification : tout ce qui concerne l’embarquement des équipes. On l'a fait très tard, c’est une erreur qu’il faut corriger. Car nos dirigeants ont tout de suite compris qu’ils ne pourraient pas se permettre d’être trop décalés avec leurs collaborateurs. Certains se sont débrouillés, ont organisé des séminaires internes mais beaucoup ont eu des difficultés à le faire. Nous allons donc désormais leur fournir tout au long du parcours des outils de démultiplication, des ressources, des vidéos... pour qu’ils puissent partager les savoirs.
Vous mettez également à disposition toute une documentation à destination des entreprises qui voudraient organiser leur propre CEC.
E. D. : Effectivement, on a créé un guide méthodologique de déploiement qu'on donne à toutes les équipes, en France et désormais à l'étranger, qui veulent lancer une CEC. C'est un enjeu important de la transition écologique : même optimisée, une organisation en silo par exemple ne nous permettra pas de nous mettre sur la bonne trajectoire de transformation. Il faut créer des optimisations qui se fassent par écosystème, par chaîne de valeur. Donc notre méthode incite à travailler sur un mode plus coopératif et la démultiplication actuelle très forte pourra démontrer que la méthode est source de progrès très rapides.
Quels sont les résultats de la première édition ?
E. D. : Lors de la dernière session, nous avons proposé aux premiers participants de continuer l'aventure. Tous ont répondu présent. Nous avons donc créé une communauté des alumni pour qu’ils puissent entretenir le lien entre eux, se challenger, trouver de nouvelles idées et se soutenir dans la mise en place de leurs feuilles de route. Quand on se retrouve, on sent qu’on a vécu quelque chose de particulier ensemble. C'est cette énergie qui nous donne l’envie de continuer.
En 2022, vous étiez partis à 150, en 2023, vous serez combien ?
E. D. : Globalement, on va passer de 150 entreprises à 500 à la fin 2023. Cinq CEC vont se lancer en région et une dizaine de plus sont en préparation. Nous préparons aussi des CEC thématiques. Nous avons été sollicités par une quinzaine de secteurs mais, pour commencer, nous allons travailler sur trois qui ont une forte valeur systémique. En partenariat avec le Syntec, le syndicat de tous les cabinets de conseil, nous allons lancer une CEC sur le monde du consulting avec 30 cabinets de conseil, conseil en management, en organisation, en stratégie, et des directions générales et directions développement durable vont aussi faire le parcours. Le deuxième secteur concerne le monde de la finance avec des banques, des fonds d'investissement, la Banque de France, des régulateurs... Ce sujet est vraiment complexe, cela nous demande une grosse documentation, et nous démarrerons plutôt vers le mois mai. Quant à la troisième CEC, elle est tout juste en démarrage et s’intéresse à la création de nouveaux imaginaires. Elle concernera des boîtes de production, des agences de pub, des influenceurs, des médias. À la suite de ces parcours, tous les participants pourront démultiplier notre méthodologie auprès de leurs propres écosystèmes. Cela nous permettra de passer très vite à une échelle réellement impactante. Il faudra pour cela que nous puissions proposer des formats hybrides entre du digital et du présentiel.
Vous vous déployez sur le modèle des conférences TED, c’est-à-dire que vous ouvrez votre méthodologie pour que chacun puisse lancer son propre parcours CEC. Quel est votre modèle économique ?
E. D. : Pour l'instant, nous fonctionnons toujours sur un régime associatif loi 1901 qui s’appuie en grande partie sur du bénévolat. On commence à recevoir des donations de la part des entreprises participantes et des subventions.
Quels seraient vos besoins pour continuer ?
E. D. : Nous aurions besoin que soit créé un mécénat de l’économie écologique spécifique. Il y a beaucoup d'argent pour financer l’innovation, voire la culture, mais je crois important que le système puisse aller vers les acteurs à la pointe des impacts systémiques. Pour les grandes fortunes, ce serait un bon investissement de protéger leurs investissements en aidant à une grande bascule pour qu'il y ait encore une économie en 2030, 2040, 2050…
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