bord-lmer-3

Bailleurs : « Intégrons le risque climatique de manière globale »

Face au réchauffement climatique et à la maintenance nécessaire de leur parc, les bailleurs sont confrontés à de multiples défis pour améliorer l’efficacité énergétique des logements existants ou neufs mais aussi adapter le patrimoine aux risques climatiques. Entre obligations réglementaires, volonté d’amélioration de leur patrimoine et impératif d’anticipation, quelles sont les solutions à leur disposition ?

En 2023, la température mondiale a progressé de 1,43 °C, soit + 0,26 °C en dix ans, selon le dernier rapport du GIEC. Quels que soient les scénarios d’émission, il estime que le réchauffement de la planète atteindra +1,5 °C dès le début des années 2030. Pour limiter ce réchauffement, il faut donc accélérer la baisse des émissions nettes de CO2 pour les ramener à l’objectif de neutralité fixé par le Plan Climat Européen d’ici 2050. Tous les secteurs sont concernés, en particulier celui du bâtiment, l’un des plus consommateurs de matières premières et d’énergies (avec 43 % des consommations énergétiques nationales et 23 % d’émissions de CO2). Une transition d’autant plus nécessaire que l’élévation des températures entraîne des conséquences directes sur le logement, la sécurité et le confort des habitants, en particulier dans les villes : îlots de chaleur, fragilisation des bâtiments, risques d’inondations… 

Parmi les acteurs de la chaîne, les bailleurs et constructeurs ont un rôle clé à jouer en adoptant des mesures d’atténuation plus ambitieuses. À leur disposition pour structurer leur démarche de décarbonation du patrimoine, plusieurs mesures de planification gouvernementales (Stratégie nationale bas carbone (SNBC), Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), Programmation pluriannuelle de l’énergie), et des outils sectoriels (comme le PSSED ou PrioRéno, respectivement mis en place par L’USH et la Caisse des Dépôts), en corrélation avec les échéances liées à la loi Climat et Résilience et aux diagnostics de performance énergétique (DPE) classant les logements de A à G. 

Atténuer, anticiper, préserver 

Dès 2018, CDC Habitat a mis en place un Plan Stratégique Énergétique visant à diminuer les consommations énergétiques de son parc, stratégie renforcée en 2023 avec le Plan Stratégique Climat du Groupe pour limiter l’impact carbone de son patrimoine. « L’axe de départ était la réduction de nos consommations pour s’aligner sur la Stratégie nationale bas carbone, se rappelle Alain Cauchy, directeur de la mission décarbonation du groupe CDC Habitat. Mais, les réglementations évoluant— avec la mise en œuvre d’une taxonomie verte, et dernièrement le passage à la CSRD ; le contexte géopolitique se durcissant — avec les risques de pénurie et d’augmentation des coûts de l’énergie… Nous nous sommes dit qu’il fallait intégrer le risque climatique de manière plus globale. Plus cohérent avec les enjeux et obligations actuels, notre Plan Stratégique Climat porte donc désormais sur trois piliers : l’atténuation — comment réduire les effets sur le climat — l’adaptation, puisque les aléas climatiques sont déjà présents et s’amplifieront encore ; et enfin, la préservation de la biodiversité ou plus largement des ressources.

Sur le terrain, ces différentes mesures de planification se traduisent par la mise en action de programmes de rénovation portés par les bailleurs et visant à la réduction des émissions de GES ; en priorité par l’éradication des passoires énergétiques : isolation par l’extérieur, remplacement des menuiseries ; et en prolongement par la décarbonation du mix énergétique : raccordement au réseau de chaleur urbain ou installation de chaudières biomasse, intégration d’énergies renouvelables ou de dispositifs hybrides... Pour CDC Habitat, « Grâce aux réhabilitations thermiques déjà réalisées, notre parc se situe en moyenne en étiquette C [consommations] et également C [émissions de GES] », déclare Alain Cauchy.

À Sarcelles, l’opérateur vient ainsi d’achever la rénovation énergétique des résidences Paul Valéry et Provence dites « Les Biscottes », construites en 1960. Pour améliorer leur enveloppe, leurs anciennes façades ont été déposées, pour être ensuite remplacées par des panneaux préfabriqués intégrant déjà l’isolant et la finition en bardage. « Cette technologie offre la possibilité de remplacer intégralement la façade en milieu occupé, mais également de réduire le temps de chantier et les nuisances pour nos locataires : moins d’échafaudages, moins de poussière et moins de bruit, affirme Christophe Chanu, directeur de la maîtrise d’ouvrage et de la rénovation urbaine de Grand Paris Habitat, l’une des entités de CDC Habitat. Aujourd’hui, les 2 700 m2 de façade bois installés capturent 52 tonnes de C02 et permettent aux résidences de passer d’une étiquette énergétique D à B et d’une étiquette d’émissions de gaz à effets de serre E à A. » 

Résidence Les Biscottes - ©Vincent Krieger

Du réemploi et de la pédagogie

Afin de pousser plus loin la décarbonation des bâtiments lors de leur rénovation, les chantiers peuvent aussi donner lieu à des innovations : « Nous utilisons des matériaux biosourcés ou des matériaux issus de l’économie circulaire, indique Christophe Chanu. Certains granulats peuvent ainsi être reclassés pour fabriquer du béton, des sanitaires peuvent être reconditionnés à neuf... Sur le chantier des Biscottes, on a aussi réutilisé des marches en granito des résidences qui avaient été démolies. Pour nous, le bénéfice est important : c’est moins cher que du neuf et le poids carbone est proche de zéro. »

En parallèle, les bailleurs misent aussi sur la maintenance préventive comme autre levier de sobriété énergétique, avec l’entretien ou le remplacement de certains équipements. Sur ce point, les habitants sont de plus en plus impliqués : « Nous devons encourager les bonnes pratiques des locataires et pour cela faire preuve de pédagogie, observe Alain Cauchy. Expliquer pourquoi les températures de consigne sont fixées à 19 °C pendant la journée et peuvent être abaissées la nuit ; communiquer sur les gestes utiles prévenant les déperditions énergétiques... On peut aussi agir sur le chauffage individuel avec l’effacement électrique : grâce à des boîtiers disposés sur leur chauffage, les locataires peuvent définir de courtes périodes de coupure de chauffage, non perceptibles à l’échelle du logement. » 

Une nécessaire adaptation

Pour autant, et même si la maintenance préventive et la rénovation sont des étapes cruciales pour prolonger la durée de vie des bâtiments, les actions d’atténuation ne suffisent pas à elles seules. Les défis posés par le réchauffement climatique nécessitent en effet des actions anticipées et une adaptation constante des infrastructures pour les professionnels des bâtiments, pour la sécurité des biens et la santé des occupants. En 2022, l’institut d’urbanisme Paris Région a ainsi réalisé une étude des vulnérabilités franciliennes aux effets du changement climatique, quand du côté de l’État ou des villes — comme à Angers, Strasbourg ou Paris – certains réfléchissent ou ont déjà mis en place des plans d’adaptation au changement climatique

Du côté des professionnels du bâtiment, les initiatives existent aussi avec le développement d’outils tels que Bat-ADAPT (Observatoire de l’Immobilier Durable), QualiRésilience (CERQUAL Qualitel Certification) ou chez CDC Habitat, le Plan d’Adaptation au Changement Climatique. Celui-ci s’appuie sur une cartographie d’exposition du patrimoine aux aléas climatiques actuels et à venir (inondations, tempêtes, sécheresses, mouvements de terrain…), un outil de Diagnostic de Performance de la Résilience (DPR) des bâtiments et un catalogue de préconisations associées. « Nous avons, en première approche, superposé la géolocalisation de notre patrimoine à une carte des catastrophes naturelles ayant déjà eu lieu, puis à une projection d'occurrence des aléas climatiques fondée sur les deux scénarios du GIEC, explique le directeur de la mission décarbonation du groupe CDC Habitat. Nous savons désormais caractériser notre patrimoine au regard d’une exposition à différents aléas d’ici 2050 ; pour ensuite croiser ces informations avec les caractéristiques techniques du patrimoine dont nous disposons et programmer des travaux. Grâce à cette analyse, nous connaissons leur niveau de vulnérabilité via un score de criticité, et nous savons où et comment prioriser les diagnostics sur sites (DPR). » Avec cet outil, CDC Habitat a pour objectif de diagnostiquer les 500 sites les plus critiques d’ici 2027.

Mieux, il est maintenant également utilisé pour la conception de projets neufs afin de choisir les zones les moins exposées aux aléas climatiques. Et demain ? « Ces plans d’adaptation pourraient connaître une nouvelle accélération grâce à l’intelligence artificielle, s’enthousiasme Alain Cauchy. II y aura sans doute de l’aide à la décision et une évolution de nos outils de programmation pour intervenir de manière plus pertinente en fonction des objectifs qu’on se donne. »

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
Podacast : En immersion
commentaires

Participer à la conversation

Laisser un commentaire