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Anticiper 2050 : la prospective au service des villes et des territoires de demain

© Cottonbro

2050, horizon à la fois lointain et imminent. Face aux défis climatiques, l’avenir de nos villes et territoires se dessine aujourd’hui. La prospective, démarche intellectuelle alliant rigueur méthodologique et vision systémique, éclaire cette trajectoire complexe. Au-delà d’une simple projection, elle articule exploration des futurs possibles et élaboration de stratégies concrètes, transformant l’incertitude en levier d’action pour l’aménagement territorial.

L’inaction n’est plus une option. Face à l’urgence climatique, nos territoires doivent s’engager dans une démarche d’anticipation active. Comme l’exposait Gaston Berger, fondateur de la prospective, l’enjeu est de « voir loin, large, profond, penser à l’homme et prendre des risques ». Sans cette vision stratégique, le futur qui se dessine est alarmant : accélération des événements extrêmes, multiplication des catastrophes naturelles et déstabilisation socio-économique profonde des territoires. « Imaginer le futur, sans pour autant chercher à le prédire, permet d’anticiper les événements et de se mettre en position d’agir, de prévenir et de réagir en tenant compte des incertitudes et des variables changeantes qui influenceront notre avenir, explique Sonia Guelton, membre du comité scientifique de la Chaire Économie de la transition écologique urbaine (Immobilier, Logement, Architecture, Aménagement) de l’Institut Louis Bachelier. Ça permet d’identifier les atouts et les faiblesses, de piloter dans la durée, de faire des économies dans l’action et non pas de réagir sous la contrainte. » 

Du silo à l’holistique

Cette démarche est cruciale pour les collectivités pour qui l’inaction ou l’action dans l’urgence pourraient s’avérer extrêmement coûteuses. France Assureurs estime le coût des sinistres climatiques à 10 milliards d’euros pour la seule année 2022, contre 3,6 milliards en moyenne annuelle sur la décennie précédente. Le GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) confirme cette analyse : plus l’action tarde, plus la charge sera lourde. Si nous devons impérativement intensifier nos efforts pour atténuer le réchauffement climatique, il est donc tout aussi décisif d’investir dès maintenant pour adapter nos territoires aux changements climatiques.

Pour cela, « il faudrait d’abord que les politiques intègrent une vision à long terme, rappelle Sonia Guelton. Il faudrait aussi que tous, professionnels et collectivités, nous réussissions à passer d’une approche en silos à une approche holistique. Notre connaissance est spécialisée, mais nous devons réussir à la replacer dans un système d’interconnaissance entre architectes, sociologues, urbanistes, juristes, écologues… Je pense que les pouvoirs publics ont un rôle à jouer, notamment dans les appels d’offres, dans la conduite de projets, pour montrer l’exemple. » Un point de vue également partagé par Gildas Couturier, Directeur des Grands projets chez CDC Habitat : « On ne peut pas tout traiter globalement et tout survoler, mais en aménagement, on part d’un sujet qui va s’entremêler à d’autres problématiques, qui vont nous obliger à prendre en compte différents aspects. Cela amène à avoir une autre vision de l’urbanisme, à ne pas être qu’un pur technicien se concentrant sur sa spécialité. »

Prévoir sur la donnée

Cet exercice de prospective, des territoires— comme les agglomérations du Grand Annecy, de Toulouse ou des territoires du Grand Est… – l’ont réalisé. L’État également, concernant par exemple l’érosion côtière et ses conséquences sur les territoires littoraux. Plusieurs organismes ou professionnels s’y sont aussi prêtés.

L’ADEME propose ainsi quatre scénarios explorant des chemins différents : le premier, dit « Génération frugale », implique des transformations importantes du quotidien (déplacement, chauffage, alimentation…) ; la transition étant conduite par la sobriété et la mise en place de nouvelles pratiques comportementales, organisationnelles et technologiques. Le second scénario suppose la mise en place de coopérations territoriales entre ONG, institutions publiques, secteur privé et société civile pour évoluer vers un système économique durable (consommation mesurée, partage généralisé) permettant des investissements massifs dans les solutions d’énergies renouvelables. Le troisième (assez proche de nos modes de vie actuels) explore quant à lui le développement de technologies vertes en les déployant plus largement pour répondre aux défis environnementaux. Le dernier scénario, enfin, fait le pari de la réparation des systèmes sociaux et écologiques avec plus de ressources matérielles et financières pour conserver un monde vivable (mais avec le risque d’une augmentation de la consommation d’énergie et d’impacts forts sur l’environnement).

Pour être cohérents, ces scénarios s’appuient sur l’expérience et la connaissance des professionnels et des collectivités, ainsi que sur des milliers de données collectées en libre-service ou payantes — foncières, démographiques, géographiques, constructives - proposées par des organismes (tels que le CEREMA ou par l’IGN), des observatoires ou des consultants spécialisés. Certains bailleurs, comme CDC Habitat, ont également élaboré des outils, comme le Plan d’Adaptation au Changement Climatique, s’appuyant sur une cartographie d’exposition du patrimoine aux aléas climatiques actuels et à venir (inondations, tempêtes, sécheresses, mouvements de terrain…), pour réussir à anticiper l’avenir de son patrimoine.

Transformer sans révolutionner

Ces projections — qui ne sont jamais des prédictions — peuvent parfois s’avérer difficiles, voire impossibles à concrétiser. « Dans les années 2010, il y a eu toute une période pendant laquelle les aménageurs entendaient parler de la smart city, se souvient Gildas Couturier. Des développements ont eu lieu, sur des thématiques particulières, comme l'éclairage public, où l'innovation technique a permis de diversifier les solutions d'éclairage, en les adaptant à leur contexte urbain tout en réduisant les consommations. Néanmoins, sur d'autres aspects, les collectivités se sont montrées plus prudentes, craignant de se retrouver avec des systèmes techniques qu’elles ne savaient pas du tout gérer. La smart city ne s'est donc pas déployée autant que les promoteurs l'annonçaient. »

La leçon à retenir, c’est donc que pour que les scénarios proposés par la prospective fonctionnent, ils doivent être facilement intégrables aux projets et aux politiques urbaines, ainsi qu’aux habitudes des habitants. « Mais même avec les meilleures intentions, les gens ne changeront pas leurs habitudes du jour au lendemain, explique Gildas Couturier. L’écoquartier de la Bonne à Grenoble en est une illustration : il a été construit avec une forte ambition de diminution des consommations énergétiques des bâtiments. Et finalement, on s’est rendu compte après enquête qu’elles étaient bien supérieures à ce qui était prévu. Pour que cela fonctionne, il faut accompagner l'appropriation par les habitants de ces changements ».

Au-delà des scénarios et des outils méthodologiques, la question essentielle concerne les priorités pour construire les territoires de demain. Comment équilibrer durabilité, adaptabilité et réversibilité des usages pour garantir l’habitabilité des villes en 2050 ? Sonia Guelton répond avec lucidité : « Nous sommes dans une civilisation où les usages changent très vite. Je crois que pour que nos petits-enfants puissent vivre leur vie demain, il faut prévoir les reconversions et les adaptations, mais sans sacrifier au présent et en préservant des espaces de mémoire. Il nous faut réconcilier habitabilité et préservation des écosystèmes, trouver des solutions mettant en symbiose l’humain et la nature, sur le long terme. »  

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