Robotique militaire, drone de combat, soldat augmenté, cyberguerre… Dans les armées, le rapport homme-machine a un temps d’avance, et préfigure des questions que cette relation pose. Rencontre avec Pierre Servent.
« La numérisation de l’espace de bataille a transformé les postes de commandement en véritable salle de trader » reconnait Pierre Servent, journaliste, auteur expert en stratégie militaire.
Est-ce les machines qui mènent désormais les combats ? Pas si simple.
Certes, un pilote de drone peut tuer à distance depuis le Nevada. « Fire and forget » dit-on, et la pratique ne manque pas de soulèver encore de nombreux débats éthiques. Certes, la cyberguerre a dématérialisé les conflits en les ouvrant sur le champs de l’informatique. Pourtant, les combats restent ancrés sur le terrain, et ne donnent pas toujours l’avantage à celui qui est, technologiquement, le mieux équipé.
Les israéliens l’ont vécu avec le Hezbollah. Le camp libanais savait être très inférieur en moyens, et savait également que le premier objectif viserait à détruire ses moyens de communication. Aussi, en plus de son réseau moderne, le Hezbollah avait installé des systèmes filaires datant de 14/18. Pour les couper, les israéliens n’avaient pas d’autres moyens que d’aller physiquement sur le terrain. « Or, quand on va au contact, le fort devient faible : le rapport à la mort n’est pas le même. Certains combattants considèrent que mourir est la plus juste des récompenses. C’est ce que l’on appelle le pouvoir égalisateur de la guérilla ».
Par ailleurs, l’intelligence du commandement n’a rien perdu de ses galons. Au contraire.
Si les nouvelles technologies ont fluidifié le partage des informations, elles ont aussi généré de nouvelles complexités. « Aujourd’hui, un officier doit être à la fois un militaire aguerri, un diplomate, un communiquant, un psychologue, maîtriser les enjeux de la coopération internationale et savoir utiliser tous les outils à sa disposition… » Et plus on monte dans la hiérarchie, plus cette complexité est patente. « Dès lors qu’on entre dans une zone de conflits, on doit désormais intégrer plusieurs niveaux d’analyse : stratégique, tactique, opératif. » Si la stratégie reste dictée par le pouvoir politique, la tactique consiste à choisir la manière d’atteindre les objectifs fixés, et l’opératif doit assurer la cohérence de l’ensemble pour ne pas générer d’effets négatifs, sur l’opinion publique par exemple.
Et ces deux dernières dimensions reviennent à tous les corps d’armée, et se distribuent à tous les échelons. « Les militaires doivent gérer un contexte d’une très grande complexité et faire preuve d’une maturité énorme. »
A l’heure où un tweet, une vidéo, peut provoquer l’emballement médiatique, chaque soldat se doit d’intégrer les enjeux de sa fonction. Chacun peut être amené à jouer le rôle du « caporal stratégique », et mettre son pays sur la sellette. « Le soldat israélien qui a abattu un palestinien blessé au sol a été ce caporal stratégique, et son geste a eu un impact énorme sur la perception médiatique du conflit. »
Par ailleurs, aussi sophistiquées que puissent être les machines, la plupart des choix ne sont pas au bout d’un raisonnement algorithmique. Comme dans l’affaire du vol 1549 d’US Airways, quand le commandant Chesley Sullenberger décide, contre toute logique, d’amerrir sur le fleuve Hudson. Aucune machine, aucun ordre d’un supérieur ne pouvait mieux que lui juger de la faisabilité de cette option… et ni l'un, ni l'autre ne lui aurait conseillé de s'y risquer. Pourtant il l’a fait, et les faits lui ont donné raison.
Alors, avec ou sans machine, pour le meilleur comme pour le pire… « la guerre restera sans doute une affaire d’homme. »
Pierre Servent sera l'un des speakers de L'Echappée Volée qui se déroulera les 12, 13 et 14 mai prochain. Plus d'informations ici.
A lire : Les présidents et la guerre, Pierre Servent, éditions Perrin, 2017
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