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Vous avez dit designer ? Portrait d’un métier au-delà des clichés

© Gabriel Vasiliu

À quoi correspond réellement le métier de designer ? Si Philippe Starck ou Susan Kare viennent en tête quand on l’évoque, il est nécessaire de voir au-delà des poncifs. Portrait en cinq clichés déconstruits de ce métier protéiforme avec Strate, école de design.

Le design consiste à créer des objets beaux et onéreux

Oui, mais pas seulement. Un pan du design s’attache à créer des objets à la fois beaux et utiles, mais aussi « plus durables et éloignés d’une consommation de masse », souligne d’emblée Paul Colombat, le directeur de Strate. Le défi est surtout d’inscrire les projets dans un contexte, un point de douleur identifié : « C’est ce à quoi nous formons nos étudiants : gérer des problèmes complexes sur des sujets à forts enjeux sociétaux. » L’exemple du vieillissement démographique est à cet égard significatif : « Il y aura des conséquences sur le marché de l’emploi, la dépendance humaine, l’accompagnement dans le soin, poursuit le professionnel. Il faudra repenser les lieux de vie, certaines organisations, le travail, l’organisation du temps. Ce sont des domaines dans lesquels le designer a une expertise. » 

Première leçon, donc : le design ne porte pas que sur l’objet. Le design thinking s’attache par exemple aux processus de pensées et à l’organisation des systèmes. Cette méthode de gestion de l'innovation a été élaborée dans les années 1980 par Rolf Faste et est désormais intégrée à de nombreuses organisations. L’objectif ? Trouver des solutions et tester leur application rapidement. De même, le design fiction utilise des objets de design fictionnels comme support de pensées, notamment dans des exercices de prospective. Le design s’attache par ailleurs à faciliter l’expérience des utilisateurs d’un objet, d’un service, d’une application numérique, ou même d’un lieu. Paul Colombat évoque à cet égard le métro de Tokyo : « Au-delà du transport, l’expérience du voyage en ville est imaginée pour être la plus fluide et discrète : le design sonore, olfactif, signalétique… tout est pensé, jusqu’à l’humain». Un humain qui peut (évidemment) être autre chose qu’une machine à consommer. 

Le designer est au service du consumérisme

« Un bon design est bon pour les affaires », disait Thomas Watson Jr, fondateur d’IBM. Une affirmation que ne renierait pas Jonathan Ive, designer star de l’iPhone, dont l’annonce du départ d’Apple a coûté 9 milliards de dollars à l’entreprise en capitalisation boursière.

Pourtant, les pratiques du design ont évolué en même temps que la société et les aspirations des jeunes diplômés et apprentis, souligne le directeur de Strate. « Historiquement, le design avait besoin de matière première pour produire du neuf. De plus en plus, cette tendance laisse la place à l’upcycling et au réemploi». Une tendance forte pour se projeter dans le futur d’un métier en constante mutation ? « Les modèles se cherchent encore mais vont de plus en plus se solidifier», estime Paul Colombat. 

D’autres approches se développent. Ainsi, Geoffrey Dorne, designer (h)activiste, auteur des livres Hacker Citizen et Hacker Protester, défend une pratique engagée du design. « Comment utiliser le design pour répondre à des enjeux sociaux, politiques, à des idéaux, des engagements plutôt qu’à des client·es ? », interroge-t-il. Sa réponse ? Mettre ses compétences au service des personnes réfugiées, ou de la sensibilisation aux questions écologiques. Un militantisme assumé qu’il résume en une formule forte : « J’essaie de hacker le design.» 

Aussi engagé mais moins militant, Antoine Fenoglio, co-fondateur du studio Les Sismos, défend de son côté le « design with care ». Un design d’empathie fondé sur une méthode de conception créative autour des usages et de la prise en compte des fragilités individuelles, sociétales et environnementales. Une véritable philosophie résumée dans l’essai Ce qui ne peut être volé (Tracts Gallimard, 2022), co-écrit avec la philosophe Cynthia Fleury. Un ouvrage dans lequel la notion de collectif est essentielle, loin de l’image d’Epinal du designer-créateur-solitaire. 

Le travail du designer est solitaire et sédentaire

Au contraire ! Comme le pose Philippe Starck, « le design doit rester au service de l’usage ». Or, pour « comprendre l’usage et mieux le repenser, il est essentiel de rencontrer les futurs utilisateurs », abonde Paul Colombat. Le designer n’est donc pas un prescripteur isolé dans sa tour d’ivoire et tout-puissant. Au contraire, il ou elle se met au service d’un écosystème dans lequel il est intégré. 


Pour preuve, le design collaboratif se développe, et intègre l’utilisateur tout au long du processus. Une pratique qui infuse jusque dans les grandes entreprises. Decathlon imagine ses nouveaux produits avec ses utilisateurs et les sportifs passionnés, via la plateforme Cocréation. Avec Lego Ideas, Lego permet à sa communauté de fans de créer des modèles qui pourront être commercialisés. 


En parallèle persiste un design plus centré produit, porté par des marques comme Apple. «Mais même dans ce cas, le designer ne travaille pas seul. Il collabore avec des ergonomes, des professionnels de la couleur, des ingénieurs pour la réduction des matériaux, des UX designers pour l’interface», précise Paul Colombat. Pour le directeur du campus de Strate Lyon, le designer est « un aiguilleur du ciel, là pour coordonner plusieurs personnes et s’assurer que tout se passe bien.» Un métier qui se fait en coulisse et en équipe. «Le designer doit savoir collaborer avec des métiers qui ont une expertise qu’il n’a pas. À l’école, on apprend d’ailleurs à nos élèves à savoir s’entourer.» Une compétence toujours nécessaire, même à l’ère de l’intelligence artificielle.

L’IA va remplacer le designer

Les développements récents des IA génératives interrogent tous les secteurs, et le design ne fait pas exception. Mais plutôt que d’adopter une vision alarmiste, il convient plutôt de se demander comment s’emparer de ces nouvelles techniques. Ainsi, le designer spécialiste de l’interactivité Etienne Mineur aborde l’IA comme un « utilisateur qui essaye de trouver un usage et un moyen d’expression en utilisant ces technologies ». Dans un compte-rendu d’expérience publié sur son site, il se dit à la fois « bouleversé, enthousiaste et affolé » par ses expérimentations. Il explique garder l’esprit curieux et trouver dans ces interactions nouvelles une source d’inspiration. 

Pour Paul Colombat, l’IA est certes un outil supplémentaire de créativité, avec « une fonction de déambulation comme lorsqu’on cherche l’inspiration sur Internet ». Mais elle est surtout un formidable agent de productivité. Elle permet notamment « un gain de temps considérable sur la formalisation conceptuelle des idées et concepts. » 

La technologie est encore récente et les professionnels suivent ses évolutions de près. À Strate, des cours sont dispensés pour décrypter le fonctionnement des modèles et être capables de s’adapter à leurs prochaines itérations. L’école s’est aussi associée à des laboratoires pour créer une chaire de recherche sur le sujet. L’idée est donc de comprendre… pour mieux s’outiller : « Nous formons des chefs de projet et non des exécutants, et l’intelligence artificielle ne pourra pas vampiriser ce savoir-faire ». Nous voilà rassurés !


Strate c'est un ensemble de parcours de formation pour mettre le design au service d'un monde plus simple, plus juste, plus beau. Pour en savoir plus sur les différentes spécialités et formations proposées par Strate, c'est par ici.

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commentaires

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  1. Avatar Geoffrey dit :

    Merci pour la citation et bravo pour l'article synthétique et qui ne tombe pas les clichés.

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