Cet été, Axel Dauchez quittait la présidence de Publicis France pour lancer Make.org. Le projet, très civic tech spirit, prend forme et, dans un climat préélectoral tendu, propose une voie particulièrement intéressante.
Comment percevez-vous les résultats de l'élection américaine ?
Axel Dauchez : Ce résultat révèle la fracture de la société américaine, qui plus qu’une fracture entre les citoyens et les élites, est aussi une fracture entre les Etats et les communautés. Cette élection démontre la difficulté de rassembler le peuple américain qui se réveille profondément divisé. Cette division le rendra difficilement gouvernable et cette impuissance nourrira à son tour le repli des citoyens sur leurs intérêts individualistes, corporatistes ou communautaristes en les éloignant de l’intérêt commun.
L’un des autres enseignements du résultat de cette élection, c’est la défaillance du système de mesure de l’opinion, qu’on ne peut aujourd’hui plus considérer comme un modèle fiable. C’est préoccupant, car ses erreurs de pronostics produisent leur propre impact médiatique et donc politique. Selon nous, l’opinion ne peut plus être mesurée dans une logique descendante mais bien ascendante.
A. D. : Notre projet s'articule autour de la massification d'opinions citoyennes afin de favoriser l'émergence de lignes directrices sur des sujets majeurs d'abord en France puis en Europe. Nous avons aujourd'hui le sentiment que nous entrons inexorablement dans une société de collaboration collective et qu'il s'agit d'un atout pour faire face à des enjeux majeurs aussi bien politiques que sociétaux. Nous pensons que cette collaboration collective doit être mise en œuvre dès maintenant sur le sujet majeur qu'est la gouvernance des Etats alors que la période apparaît comme instable et inintelligible pour la grande majorité des citoyens. Nous sommes convaincus qu'elle peut nous permettre d’introduire des forces de transformation réelle. Il est impératif que les citoyens reprennent confiance dans leur possibilité à transformer leur environnement.
A. D. : Sur internet, le marché du « clictivisme » est très important avec près de 7 millions de clics par mois (via des sites tels que change.org, avaaz, mais également les nombreux sondages proposés via les media). Ce sont de très gros volumes. Nous voulons aller plus loin en donnant du sens à cette participation.
A. D. : Notre premier enjeu est de faire émerger des propositions citoyennes de manière massive. Tout le reste en découle. Pour y parvenir, nous sommes sur un système de contributions simples. Nous avons mis en place une première initiative avec BFM et RMC. Chaque semaine, nous proposons sur leurs antennes une thématique sur un sujet de politique nationale. Les auditeurs sont invités à soumettre leurs solutions sur make.org, ou à venir consulter et à voter pour celles des autres. A partir des propositions recueillies, nous rédigeons une note de synthèse à destination des journalistes qui peuvent utiliser ces éléments à l’antenne. Ils commencent déjà à le faire et cela change leur manière d’interviewer les politiques. Mais le changement se fait aussi du côté des citoyens : leur rôle ne consiste plus uniquement à voter… il peuvent proposer des solutions. Quant aux élus, ils ne sont plus attendus sur l’expression de promesses, mais sur leur engagement concret à les mettre en place. Cela représente un véritable changement culturel pour l’ensemble des parties.
A. D. : La première victoire est qu’il en est sorti un volume important, bien au-delà de ce qu’on avait imaginé. On a eu une centaine de propositions par thématique, qui permettent d’obtenir une vision particulièrement riche de la géographie du sujet. Et nous avons vu émerger des idées nouvelles. Par exemple, sur le sujet « Comment garantir l’honnêteté de nos élus ? », plusieurs proposaient de donner une consistance presque légale aux promesses de campagnes.
A. D. : Tout le système n’a de sens que si nous suscitons un sentiment de démocratie permanente, une relation réelle entre la proposition et ce qui va se passer derrière. Nous avons réalisé un mapping de toutes les personnes impliquées, de près ou de loin, dans la prise de décision politique (la totalité des élus, des administrations, des associations, des journalistes, des influenceurs…), et nous pouvons donc relier telle ou telle proposition à la communauté de ceux qui travaillent sur le sujet. Plus une proposition émergera, plus on déclenchera de vagues d’informations en direction des personnalités déjà engagées sur la thématique. Notre but est d’obtenir de leur part une prise de position qu’on pourra retrouver sur le site.
Avec ces deux premières étapes - la massification des propositions citoyennes d’une part et ce que nous appelons le « crowdlobbying » d’autre part - nous voulons hacker l’agenda politique, et celui des media. Nous ne faisons pas cela dans une logique d’affrontement. A partir d’une proposition, chacun des agents pourra s’engager à la défendre et à mener une action réelle et transformative. Un élu pourra le faire, mais cela pourra prendre des formes extrêmement diverses. C’est là la magie du système : il est conçu pour devenir un operating system du mouvement politique en réconciliant l’agrégation de propositions simples avec la complexité du sujet.
A. D. : Nous proposons une nouvelle manière de produire de la data autour de la mesure de l’opinion : une analyse fine des signaux faibles et forts sur une population de change makers. C’est un marché qui représente plus de 500 millions en Europe.
A. D. : Nous avons un sujet énorme autour de l’indépendance, et de la transparence. Nous avons fait un système à deux niveaux. Nous avons un algorithme qui gère la visibilité des propositions qui sont soumises aux votes, et son impact n’est évidemment pas neutre sur le nombre de voix reçues… Nous publierons donc notre algorithme qui sera audité par EY et le lab. de science po. Ils publieront ensemble un rapport qui détaillera son impact réel sur les résultats. Le second niveau concerne notre mode de gouvernance. Il est primordial pour nous d’affirmer notre indépendance par rapport aux idées, aux élus. Nous aurons donc un rapporteur chargé de publier toutes les décisions prise par notre entreprise : qu’elles concernent les ressources humaines, le choix d’un prestataire, les rémunérations… Par ailleurs, nous aurons un comité de gouvernance constitué de cinq personnes ultra référentes et de 4 utilisateurs tirés au sort. Ils regarderont les décisions prises, et feront un rapport sur la conformité entre la réalité de la structure et la charte d’indépendance que nous avons défini.
A. D. : Etant les derniers venus, nous sommes très ouverts aux rencontres. Il existe trois typologies de civic tech. La majorité concerne la démocratie locale qui a la particularité d’être celle qui marche le mieux. Certains travaillent à l’optimisation du processus électorale : ils expliquent les enjeux, motivent l’engagement… D’autres portent des initiatives de démocratie directe avec la création d’un parti qui leur permettrait de s’insérer dans la compétition politique. Je crois que nous allons tous dans la même direction et que notre proposition est complémentaire. Nous avons rejoint le collectif Démocratie Ouverte, mais il faut sortir de l’ornière. Les civic tech ne sont pas assez visibles : il faut que nos actions soient à la taille du pays.
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